La nationalité libanaise «vendue» à des réfugiés syriens
À vendre: carte d'identité et nationalité libanaises, actes de naissance, extraits d’état civil libanais. Les moukhtars de certaines régions et villages du Akkar et de la Békaa vont même jusqu’à «louer» les services de familles libanaises à des nouveau-nés syriens. Ce commerce anormal rapporte dans un pays en proie à une crise qui ne fait que s'aggraver depuis 2020. Il montre dans le même temps l’ampleur de la corruption à laquelle des élus n’hésitent pas à se livrer.

Dans un Liban où la boîte de Pandore ne semble pas vouloir se refermer, les abus se multiplient sous la façade construite par les instances et les organismes internationaux: «humaniser» la crise des réfugiés.

Humaniser, certes, mais contrôler aussi, ce qui n’est pas le cas. Et, à ce niveau, les autorités libanaises assument une grande part de responsabilité. Le fait d'humaniser la crise des réfugiés, cette mission dans laquelle les Nations unies sont engagées, semble cacher une volonté internationale de «soft-implantation» de ces deniers au pays du Cèdre. Un agenda en voie de concrétisation puisque de nouvelles naissances sont actuellement non seulement enregistrées à l’état civil libanais, mais le sont sous des identités libanaises usurpées, voire souvent vendues.

Il convient de souligner dans ce contexte que le nombre réel de déplacés syriens installés au Liban depuis 2011 n'est pas connu. Ils seraient près de 850.000 à s'être inscrits auprès du HCR et près de deux millions qui vivent au Liban. Le nombre de naissances est estimé à 250.000 par an pour les Syriens au Liban, contre 54.000 pour les habitants du pays.

Des moukhtars libanais «vendus»

L’équation en rapport avec le trafic dénoncé est simple: «Pour trois millions de livres libanaises, un enfant syrien peut obtenir un acte de naissance libanais falsifié», explique à Ici Beyrouth le chef du Mouvement de la Terre, Talal Doueihy. Une somme largement supérieure à celle qu’aurait versé un citoyen libanais pour se voir remettre le même document, mais qu’un Syrien qui touche des aides – fournies par les Nations unies – ou qui travaille peut facilement sacrifier.

Un véritable réseau de naturalisation de Syriens semble être mis en place. Aux frais des actes de naissance, s’ajoutent les «frais» du moukhtar, versés en pots-de-vin, mais aussi ceux (en dollars frais) des familles libanaises à qui l’on propose «l’adoption» (illégale) d’enfants syriens. «Ce qui signifie que la famille donne son nom au bébé, qui obtient de la sorte la nationalité libanaise», ajoute M. Doueihy.

Complices dans ce processus de «naturalisation» indirecte, certains moukhtars qui ont vendu leur conscience professionnelle contre une poignée de sous, contribuent de ce fait à l’implantation des réfugiés syriens dans le pays. «Au Akkar, 70 à 120 actes de naissance falsifiés ont été octroyés à des enfants nés de parents syriens», confie le chef du Mouvement de la Terre. Il importe dans le même contexte de rappeler que tout acte de naissance est authentifié par un médecin, une sage-femme ou un hôpital et que de tels actes frauduleux engagent également leur responsabilité.

En temps normal, et avant 2018, un nouveau-né qui a vu le jour dans le pays devait être enregistré au Liban dans l’année qui suit sa naissance, faute de quoi le recours aux juridictions compétentes pour ce faire s’imposait par la suite. Un processus coûteux et complexe auxquels n’ont normalement pas accès les réfugiés syriens, par manque de moyens.


Pour leur faciliter l’existence, sous la pression internationale alors que la guerre en Syrie se poursuivait, le gouvernement libanais avait supprimé en 2018, le délai d’un an pour les enfants syriens né dans le pays, entre janvier 2011 et février 2018. Il est ainsi devenu possible à ces derniers de se faire enregistrer sans recourir aux procédures judiciaires jadis exigées, lorsque le délai d’un an est dépassé.

Pour les déplacés syriens démunis, une telle démarche est importante. Pour chaque enfant syrien dont la naissance est enregistrée à l’état civil libanais, une aide financière est perçue, dans le cadre des multiples prérogatives mises à leur disposition par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Intégration, implantation, invasion

Or, tous les réfugiés syriens ne vivent pas dans la misère au Liban. Certains y mènent une vie des plus normales, facilitée par une activité professionnelle, les autorités libanaises n’imposant pas de restrictions au travail des Syriens. Ce sont surtout ceux-là qui œuvrent, par tous les moyens, à fournir la nationalité libanaise à leur descendance. Il faut dire qu’ils peuvent se passer des aides financières susmentionnées, leur priorité étant une «stabilité» durable.

Interrogé par Ici Beyrouth, l’ancien ministre de l’Intérieur Marwan Charbel indique que «ce sont ces derniers qui déboursent des sommes importantes aux moukhtars dans les différents villages libanais, notamment à Machta Hassan et Machta Hammoud au Akkar ainsi que dans la Békaa, contre un faux document certifiant que l’enfant né de parents syriens est effectivement Libanais». Pour rendre la démarche plus crédible, ils «louent» les services de familles libanaises dans le besoin. Contactées par des ONG ou par le moukhtar lui-même, celles-ci acceptent d’«adopter» l’enfant syrien, de l’enregistrer sous leur nom et de se faire passer pour ses parents, contre de l’argent. «Nous avons envoyé au Parquet une note d’information judiciaire pour qu’une enquête puisse être ouverte à ce sujet. C’est la démographie du pays qui est en jeu», s’insurge M. Doueihy.

Reste à savoir si le ministère de l’Intérieur va se saisir du dossier et convoquer les moukhtars impliqués dans ce trafic – mise en vente de l’identité et de la nationalité libanaises – pour qu’une enquête administrative soit menée afin que les coupables soient déférés devant la justice… ou ce qu’il en reste.

Échange d’identités

«Je te donne de l’argent, tu me donnes ton identité.» C’est ainsi que l’on peut donc résumer ce trafic de documents officiels, condamné par la loi. Or, il ne s’agit pas du seul trafic en place. À cause de la crise qui a exacerbé la pauvreté dans le pays, des Libanais ont, eux aussi, eu recours aux cartes des réfugiés pour pouvoir accéder aux hôpitaux. Donnant donnant. Se faisant passer pour des Syriens, qui bénéficient de privilèges qui leur sont assurés par l’ONU à cause de leur état de réfugiés, certains ont souvent dû «emprunter» cette pièce d’identité afin de se faire soigner dans un pays où aller chez le médecin est devenu un luxe pour les plus démunis.
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