L’éditorial – Dialoguer pour dialoguer ?  
Pour dialoguer il faut être deux. Elémentaire… Sauf qu’en période de profonde crise existentielle engageant le sort de tout un peuple, initier un dialogue sérieux implique que chacun des protagonistes devrait avoir pour volonté, réelle, d’aboutir à un résultat, à une sortie de crise. Sinon, nous versons pleinement dans la supercherie.

Cela s’applique à l’approche prônée par ceux qui mènent campagne pour l’élection d’un président de la République «qui soit en mesure de prendre langue avec le Hezbollah et le régime syrien»… Un argument qui cache mal d’autres desseins inavoués constituant la partie invisible de l’iceberg. Le marché de dupe à cet égard réside non pas dans la personnalité ou l’identité du potentiel chef de l’État, mais dans le passé et le profil de ses possibles interlocuteurs.

Le président de la République pressenti pourrait avoir toutes les bonnes intentions imaginables; à quoi servirait cependant son dialogue avec le Hezbollah lorsque ce parti n’est pas maître de ses propres décisions et s’en remet aveuglément au Guide suprême de la Révolution islamique à Téhéran pour les décisions à caractère stratégique, comme l’explique très clairement le «numéro deux» de la formation pro-iranienne, le cheikh Naïm Kassem, dans son remarquable ouvrage de référence présentant la genèse, les fondements et la doctrine du Hezbollah.

Il suffit de scruter scrupuleusement les prises de position des hauts responsables hezbollahis pour comprendre que le «parti de Dieu» ne joue pas sur le terrain libanais. Pour lui, le pays du Cèdre ne représente qu’une simple petite pièce sur l’immense échiquier régional de l’Iran; de ce fait, tout dialogue avec ce parti reste totalement tributaire des calculs et de la stratégie des mollahs iraniens. Les impératifs de l’État libanais qui pourraient être par conséquent soulevés par le président de la République, aussi proche soit-il du directoire du Hezbollah, pèseraient très peu dans la balance pour ceux qui se font l’instrument de Téhéran.

Il n’est pas superflu de rappeler dans ce contexte que le parti chiite est passé maître dans l’art de ne pas respecter ses engagements… Et sa signature. À titre de rappel, il a balayé d’un revers de main la teneur de l’accord qui avait été conclu lors de la conférence de Doha, en 2008, sous l’égide de la communauté arabe et internationale. Le Hezbollah s’était alors engagé à ne pas provoquer la chute du gouvernement qui devait être formé sous la présidence de Saad Hariri après l’élection du général Michel Sleiman à la Première Magistrature de l’Etat. Quelques mois plus tard, ce même Hezbollah (avec ses alliés) provoquait la chute du cabinet Hariri!


Comment pourrait-on oublier, en outre, que lorsque le président Michel Sleiman avait élaboré durant son mandat la fameuse Déclaration de Baabda, stipulant que les factions libanaises devaient se tenir à l’écart des conflits régionaux, le Hezbollah avait signé très officiellement ce document, mais s’était rétracté quelques jours plus tard!

À l’ombre d’une telle ligne de conduite par essence obstructionniste, initier un dialogue reviendrait à dialoguer pour dialoguer, sans espoir d’aboutir à un résultat…

C’est cette même logique qui sous-tend la position de ceux qui font valoir aussi que le Liban a besoin d’un président qui puisse traiter avec le régime syrien. Cela revient à occulter un épisode-clé qui fut, entre autres, à l’origine de la guerre libanaise: en 1973, le président Sleiman Frangié devait donner l’ordre à l’armée libanaise de mettre un terme aux débordements des organisations palestiniennes armées qui sapaient quotidiennement l’autorité de l’État central. Les troupes de Yarzé, faisant usage de l’aviation militaire, avaient ainsi lancé une vaste offensive contre les camps de Beyrouth et étaient sur le point de trancher sur le vif pour mettre au pas l’OLP. Le régime de Hafez Assad entreprit toutefois de fermer les frontières avec le Liban afin d’imposer l’arrêt de l’opération menée par les forces régulières. Le président Frangié fut contraint de faire marche arrière et de céder face aux pressions de Damas alors qu’il était la personnalité libanaise qui entretenait les rapports les plus solides et les relations les plus étroites avec Hafez Assad.

La politique des États ne saurait être fondée, exclusivement, sur des relations d’amitié, rétorqueront certains en commentant l’épisode de 1973 et l’attitude d’Assad, à l’époque, à l’égard de son grand ami feu Sleiman Frangié. Certes… Mais alors pourquoi faudrait-il que l’on tente de nous convaincre, aujourd’hui, du contraire?
Commentaires
  • Aucun commentaire