Que restera-t-il du Soudan?
Le conflit armé au Soudan entre dans sa troisième semaine et semble s’enliser. La situation représente un risque majeur pour la population, déjà vulnérable aux crises humanitaires, et une menace pour l'unité du pays, déjà séparé de sa partie sud en 2011.

Au Soudan, la "guerre des généraux" qui oppose l'armée régulière dirigée par le général Abdel Fattah al-Bourhane, à la tête de la junte depuis 2021, aux Forces de soutien rapide (FSR), un groupe paramilitaire dirigé par Mohammed Hamdane Daglo dit «Hemedti», risque de s’étendre vers les régions tribales.

Depuis le début des affrontements, le risque de dislocation de l'appareil de l'État est de plus en plus présent. Les violences, les combats, les attaques contre les civils et les infrastructures publiques ont fragilisé les structures de l'État, menaçant la stabilité et l'unité du pays.

La crise humanitaire qui en résulte, a un impact dramatique sur la population, en particulier les femmes et les enfants. La communauté internationale devrait prendre des mesures urgentes pour éviter une aggravation de la situation et soutenir les efforts visant à trouver une solution politique et durable à la crise.

En cas de non-règlement du conflit, on pourrait s’attendre à la résurgence des velléités indépendantistes régionales, en particulier dans les régions de Darfour, du Kordofan et du Nil Bleu.

Rappelons que dans ces régions du Soudan, les milices tribales n’ont jamais cessé d’exister. Avec un gouvernement central affaibli, le moment est propice pour une implosion généralisée.

Le débordement au Darfour serait l’escalade la plus grave depuis 2021. D’ailleurs, ces derniers jours, la province est le théâtre d’affrontements violents entre tribus rivales, ainsi qu’entre l'armée et les FSR. Des voix s’élèvent demandant aux milices tribales locales de maintenir l’ordre en l’absence des forces de sécurité gouvernementales.

Par ailleurs, plusieurs acteurs régionaux et internationaux seront probablement amenés à jouer un plus grand rôle avec l’intensification des combats. Le pays n'ayant jamais été à l'abri des ingérences étrangères.

El-Jeneina, chef-lieu du Darfour de l'Est, région meurtrie par des années de massacres et de guerres.


En effet, en 2019, après des mois de protestations populaires, l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ont saisi l'opportunité de s'implanter au Soudan en précipitant le renversement du régime d'Al-Bachir. Leurs rivaux, le Qatar et la Turquie, ayant tendance à soutenir les régimes proches des Frères musulmans, figuraient parmi les principaux soutiens du dictateur islamisant.

Mais, alors que l'Arabie Saoudite était toujours en faveur du général Al-Bourhane, les Émirats arabes unis ont joué un rôle plus ambigu. Ils ont encouragé l'ascension de Mohammed Hamdane Daglo contre les forces islamistes, sans pour autant couper les liens avec son rival. D’ailleurs, maints observateurs estiment que sans les largesses des Émirats, "Hemedti" n'aurait pas pu acquérir les capacités militaires dont il dispose aujourd'hui.

Simultanément, la Russie, qui renforce progressivement son rôle africain aux dépens des Européens, agit par le biais de Wagner, une société privée de sécurité liée au Kremlin. Le groupe de mercenaires se range du côté des Forces de soutien rapide dans les affrontements en cours. Wagner aurait fourni une assistance militaire et technique aux FSR, notamment en matière de surveillance, de renseignement et de formation. La présence de Wagner au Soudan soulève ainsi des inquiétudes quant à l'escalade du conflit et à l'influence russe dans la région.

Pour leur part, les États-Unis ont adopté jusqu'à présent une position de neutralité depuis le début des affrontements. En garant du processus politique depuis la chute d'Omar al-Bachir en 2019, Washington cherche à maintenir une distance vis-à-vis des deux camps.



Enfin, si l’Union africaine, l’ONU et les autres acteurs régionaux ne parviennent pas à imposer un cessez-le-feu par une relance immédiate des négociations, on peut s’attendre à un embrasement général et un éclatement du Soudan en trois États.

Un État à l’est qui longerait la mer Rouge, et qui profiterait de la façade maritime convoitée par les Chinois et les Émiratis. Un deuxième, à l’ouest, formé par la grande région aurifère du Darfour. Et, finalement, un troisième État au centre, un Soudan réduit à sa plus simple expression, privé du pétrole du sud, des ressources de l’ouest et de tout accès maritime à l’est.

Les conséquences d'une telle fragmentation du pays pourraient être désastreuses, entraînant une instabilité régionale accrue et un affaiblissement, voire une disparition à jamais, de l'unité nationale.

A présent, tant qu’il y a équilibre des forces militaires sur le terrain, la poursuite des affrontements est sans issue, et donne l’allure d’une guerre civile de longue haleine. Surtout qu’un régime à deux têtes peinerait sûrement à survivre.
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