Élections turques: vers la fin du règne d’Erdogan ?
©(Adem ALTAN / AFP)
Chute de la livre, économie en berne, séisme... Jamais le contexte politique n’avait été aussi peu favorable au président turc Recep Tayyip Erdogan. Candidat à sa propre réélection après 20 années passées au pouvoir, il se sent menacé par la perspective des élections présidentielles et législatives prévues le 14 mai. Face à lui, une coalition de six partis menée par Kemal Kiliçdaroglu, un homme politique expérimenté, à la fois député et président du Parti républicain du peuple (CHP), mais qui est critiqué pour son manque de charisme. Dans les sondages, l’opposition bénéficie d’une légère avance par rapport à Erdogan, mais en dépit de ces sondages, connus pour leur manque de fiabilité, l’issue reste incertaine.

À bien des égards, les quelque 64 millions d’électeurs turcs vont devoir se prononcer davantage sur le soutien ou non à Erdogan, plus qu'en faveur d'une opposition disparate dont le principal objectif commun est le retour au système parlementaire et la chute du président. Cependant, Kemal Kiliçdaroglu a reçu un soutien de poids du principal parti kurde (HDP), souligne le chercheur Bayram Balci (CNRS). « Le fait de ne pas avoir présenté un candidat aux élections présidentielles, c’est un soutien à l’opposition », précise-t-il, ajoutant que « le vote kurde peut être assez déterminant pour le résultat des élections ». Disposant d’environ 10% d’électeurs, le parti HDP pourrait être un faiseur de roi dans ces élections, mais rien n’assure que le vote kurde ira entièrement à l’opposition.

C’est pourtant la situation économique qui reste le principal enjeu de l’élection, tant la situation s’est détériorée ces dernières années. Avec une inflation évaluée à 50%, après un pic à 85% en octobre, la population souffre d’une forte baisse de son pouvoir d’achat. La plupart des économistes estiment que les chiffres de l’inflation sont sous-évalués et culmineraient autour de 85% à 100%. Une situation qui a terni la légitimité du gouvernement d’Erdogan qui avait su, par le passé, assurer une prospérité économique au pays. Un bilan économique peu favorable, largement critiqué par l’opposition.



Côté programme, Erdogan met en avant une continuité idéologique, avec pour objectif la reprise économique et le développement de l’influence internationale de la Turquie. Il s’appuie également sur son bilan, soulignant que son parti a "institutionnalisé la stabilité politique, une des conditions principales du développement démocratique et économique". À termes, il souhaite faire de la Turquie « une des 10 plus grandes économies du monde ».

De son côté, Kemal Kiliçdaroglu prône le retour à la démocratie, qu’il estime menacée en raison du système présidentiel mis en place en 2018 par Erdogan et qui donne de larges pouvoirs au président. Outre le retour au système parlementaire, il semble soutenir le recours à une politique monétaire stricte, basée notamment sur des coupes budgétaires. Des mesures impopulaires que l’opposition se garde de mettre en avant, privilégiant la critique du bilan du président Erdogan. Kemal Kiliçdaroglu a également dénoncé « l'incompétence » et la corruption de ses adversaires.


Autre point noir de la candidature d’Erdogan, la gestion du double séisme de magnitude 7,8 qui a fait près de 45 000 morts en Turquie. De nombreux Turcs avaient dénoncé la lenteur des opérations de secours organisées par le gouvernement. Une ironie lorsque l’on sait que l’AKP d'Erdogan est arrivé au pouvoir, en partie, du fait de la mauvaise gestion du séisme de 1999 à Izmit.

Pour autant, trois mois après le dernier séisme, la colère semble s’être dissipée. « On a le sentiment que la colère qui a fait suite au tremblement de terre est un peu passée, malheureusement, car les gens oublient », confirme à Ici Beyrouth Bayram Balci, précisant que « malgré tout, Erdogan a su apporter de l’aide. D’autant que les régions touchées étaient déjà acquises en partie à l’AKP ». Malgré l’ampleur de la catastrophe, les Turcs semblent donc avoir tourné la page.

Kemal Kilicdaroglu s'exprimant après avoir été confirmé comme candidat conjoint de l'opposition turque pour se présenter contre le président Recep Tayyip Erdogan (Adem ALTAN/AFP)

Les deux parties s’accordent cependant sur la critique de la présence de près de 3,5 millions de réfugiés syriens en Turquie. L’opposition promet de négocier avec Damas le retour des réfugiés en Syrie. De son côté, Erdogan a annoncé un plan de réinstallation des réfugiés syriens dans les zones non-contrôlées par le gouvernement au nord de la Syrie. Des annonces populistes et peu réalistes au vu de la situation en Syrie, mais qui visent davantage à contenter une opinion publique de plus en plus excédée par la présence des Syriens.

La candidature de Kemal Kiliçdaroglu reste remise en cause par ses détracteurs en raison de son manque de charisme. Un point qui pourrait cependant jouer en sa faveur, analyse Bayram Balci. « On lui reproche son absence de charisme, mais le peuple turc en a marre d’un chef charismatique comme celui qui les gouverne depuis longtemps. Le pays ne souhaite pas forcément une personnalité forte, mais plutôt quelqu’un qui rassemble ». Et c’est justement cette capacité de rassemblement de l’opposition qui fait de Kemal Kiliçdaroglu une alternative crédible pour une partie de l’électorat turc.

À 2 jours des élections présidentielles et législatives, rien n’est joué. Entre un président fort au pouvoir depuis 20 ans comme Recep Tayyip Erdogan et un démocrate rassembleur mais peu charismatique comme Kemal Kiliçdaroglu, l’électorat turc peine à trancher.
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