Beyrouth jour 18
Je ne vous ai pas encore emmenés à Bourj Hammoud.

C’est principalement ici que, fuyant le génocide de 1915, les Arméniens se sont installés. Ils ont monté des cabanes dans ce qui était alors une zone de marais. Le provisoire, comme toujours dans les histoires d’exil, s’est installé dans la durée. Les cabanes sont devenues des maisons et des immeubles. Une ville est née. Les rues portent le nom de villes arméniennes: Erevan, Marach, Arax… Mihran a toujours vécu ici, mais dans les années 70, il allait régulièrement à Anvers et ramenait, bien cachés dans ses bagages, des diamants bruts qu’il faisait tailler par des artisans de Bourj Hammoud. "Anvers, c’est mon troisième pays. Après l’Arménie, bien sûr, et le Liban." Mihran connaît aussi un peu la France où, affirme-t-il, "il n’y a que deux Charles: De Gaulle et Aznavour". Les autres? Il balaye l’affaire d’un revers de la main et commande un autre café. "Il n’y en a pas d’autres." Voilà.

Dans les ruelles adjacentes du quartier, beaucoup d’ateliers de confection ont mis la clé sous la porte. Chahan tient une petite fabrique de chaussures, mais l’effondrement vertigineux de la livre libanaise lui a fait perdre une partie de ses clients. Heureusement, il lui reste Lido Shoes, installé à quelques rues de là, mais il ne sait pas combien de temps encore il pourra tenir comme ça. Dans sa minuscule mercerie, Verkine n’attend même plus vraiment le client. Elle déplore que "les jeunes ne savent plus coudre et les dames âgées n’ont plus les moyens". Partout, ce sont les mêmes histoires de vies qui se débattent dans une crise dont personne ne voit le bout.




Il faut la foi de Georges pour ne pas perdre totalement espoir dans ce marasme ambiant. Il tient une librairie, spécialisée dans les livres religieux. Il a commencé "avec dix dollars" et à 17 ans, en enregistrant sur cassette les homélies du prêtre de son quartier. Georges dit que "la vie continue" et qu’il faut "toujours avancer". Il n’attend pas grand-chose des élections prévues pour mai. "On gagnera quelques points, mais ça ne fera pas le changement". Il a cinq enfants.

Son aîné, 14 ans, a été blessé au genou le jour de l’explosion au port. "Souvent, il me dit qu’il ne veut pas mourir ici." Alors, Georges essaie de le rassurer, mais "quand il a vu à la télé les images des affrontements à Beyrouth le 14 octobre, ça a fait remonter toutes ses émotions, toutes ses peurs". Même la foi de son père dans un avenir qui, forcément, sera un jour meilleur, ne le tranquillise pas. Il travaille dur au collège, espère partir étudier à l’étranger.

Il rêve d’Amérique.

Prochain article le jeudi 6 janvier
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