L’essai de Frantz Vaillant,
Auteur d’une biographie, Roland Topor ou le rire étranglé, d’essais, Léo Ferré, droit de réponse et Georges Franju, le dictionnaire d’une vie et récompensé par les Lauriers de l’audiovisuel 2011 pour son remarquable documentaire Un certain Monsieur Joinet, Frantz Vaillant ne pouvait ignorer la voix étouffée des enfants d’auteurs ou d’artistes illustres. «Je me suis intéressé à eux parce que j’ai pressenti qu’il y avait un chemin de solitude. Leur enfance était faite d’amour, mais aussi de beaucoup d’absence. Pour ces enfants de parents célèbres, il s’agit de papa et maman particuliers, à la disponibilité rare. Je montre dans mon ouvrage combien certains ont été sacrifiés sur l’autel de l’art et de ses exigences temporelles», confie-t-il.
Un choix éclectique d’auteurs et d’artistes qui reflètent deux siècles de créativité française et dont on peut dire qu’il a été suggéré par la sensibilité de l’essayiste: «Parce que je les aime, dit-il tout simplement. Et, aussi, parce que j’ai fouillé dans les archives et trouvé des documents susceptibles d’être habillés pour faire cette biographie. J’aurais aimé évoquer le fils de Romain Gary, mais Diego Gary n’a jamais accepté aucune interview. Quand on aime un artiste, on l’aime complètement jusqu’à ses défauts. Il m’a semblé intéressant de rendre hommage à leur œuvre, mais aussi à leurs enfants.»
Picasso et son fils Paulo
A-t-il rencontré une réticence à raconter leur cheminement, de la part de ceux qu’il désigne par « ayant droit » ? "Peut-être Catherine Camus, parce qu’elle s’est déjà beaucoup exprimée sur son enfance. En revanche, et je l'en remercie, elle a accepté avec bienveillance de lire ce que j’avais écrit, non pour censurer, mais pour éventuellement corriger. Dans l'ensemble, j’ai rencontré un certain enthousiasme de la part de ces enfants de personnalités parce que précisément, cet ouvrage leur permettait de prendre un peu de lumière et de parler enfin d’eux", dit-il.
L’auteur, avec doigté, remet les pendules à l’heure, pourchasse les préjugés et révèle une tout autre réalité. Contrairement à ce que l’on croit, les héritiers n’eurent pas une enfance gâtée, loin de là : « Ils ont vécu à l’ombre de leur parent prestigieux et ont capté un peu de lumière qui commence avec leur patronyme. Beaucoup ont eu des chemins bouleversés. J’insiste sur la solitude qu’ils ont souvent endurée. Je ne pense pas que ce sont des enfants de la chance. C’est une malédiction sucrée d’avoir un nom célèbre. Si on les reçoit, c’est rarement eux que l’on invite mais plutôt ce qu’ils représentent. En approchant une fille ou un fils d’artiste, beaucoup de personnes veulent ouvrir une petite porte dérobée pour accéder à cette célébrité et savoir des choses que le commun des mortels ne sait pas. J’ai parlé des artistes parce qu’une interaction a lieu entre les parents et leurs enfants et cette interaction avec les enfants de célébrités est toujours inattendue, sinon passionnante. Ainsi, beaucoup m’ont révélé des choses étonnantes, comme par exemple Patrick Vian, le fils de Boris Vian, au sujet de son génial papa" dit-il.
Et, pour plus de précision, Frantz Vaillant replace pertinemment les choses dans leur contexte sociologique : "Le concept de l'adolescence apparaît vers 1850. Le respect légitime auquel ont droit les adolescents d’aujourd’hui, cet état particulier mi-enfant mi- adulte, commence à s'imposer vraiment dans les années 1950 avec l'arrivée, par exemple, de l'argent de poche et du rock n'Roll. Il permettra de prendre en considération les besoins particuliers des ados, comme cette faim de liberté et les premiers émois sexuels... Mais les enfants d'artistes n'ont pour ainsi dire pas le droit de se plaindre publiquement. Ils grandissent dans un milieu social privilégié, et, pour cette raison même, les privilèges dont ils jouissent leur interdisent de chouiner, de crainte d’être accusés d’indécence et de vouloir salir l'image de l'artiste qui les fait vivre. Mais une cage, même dorée, reste une cage. Je crois que la pudeur, parfois, est une prison", explique-t-il.
Bousculant les idées préconçues, l’auteur soulève une problématique: «Il est vrai que le fait de bénéficier d’un patronyme célèbre permet d’aborder la société avec des portes déjà entrouvertes, parce que vous avez un crédit de confiance. Mais les choses ne sont pas si simples. Ce crédit se paie très cher et les taux d’intérêt sont exorbitants.»
Il raconte d’une voix amusée la genèse de son essai: «À l’origine, je faisais une interview d’un éditeur pour le magazine Culture Prime [un média social culturel 100 % vidéo créé par les six entreprises de l’audiovisuel public français] et, en discutant avec le directeur des éditions du Cerf, Jean-François Colosimo, j'ai évoqué le destin étonnant de certains enfants d'artistes. Il m'a écouté très attentivement. Il m'a dit : « Ah, c'est bien ça ! On fait le livre ! » Il semblait un peu stupéfait d'apprendre que Georges Verlaine, le fils de Paul Verlaine, était contrôleur dans le métro parisien et que Picasso avait un fils, Paulo, qui était son chauffeur."
Frantz Vaillant nous révèle quelques exemples de vies malmenées, de destins brisés dont on ne soupçonnait pas l’existence: «Michel, le fils unique de Jules Verne, fut mis en pension à cinq ans parce que son père ne le supportait pas. Puis plus tard, dans une colonie pénitentiaire. Georges Verlaine ne reverra jamais son père après ses huit ans. Le poète génial était un mari violent. "Colette de Jouvenel, la fille de Colette, fut expédiée à la campagne où ses parents venaient très rarement lui rendre visite. Maud Linder, la fille de Max Linder – surnommé « le roi du rire » et seul maître avoué de Charlie Chaplin –, se retrouva orpheline à seize mois après le suicide de ses parents. Elle fut longtemps partagée entre l’admiration pour ce génie qu’était son père et le rejet de ce terrible salaud qui tua sa mère avant de se donner la mort dans une chambre d'hôtel, près des Champs-Elysées. Paulo Picasso, lui, resta toute sa vie un obligé immature et irresponsable."
À la question de savoir si les enfants de l’ombre ont du ressentiment pour leurs géniteurs, l’auteur répond par la négative et avance l’exemple de Mathieu Ferré, fils de Léo: «Il fait vivre l’œuvre de son père dont il a sorti des inédits. Il effectue un travail formidable pour que vive encore Léo Ferré. Tous ces écrivains et artistes sont des êtres exceptionnels, et le temps donné à l’art est mathématiquement du temps qu’on ne donne pas à ses enfants. Mathieu Ferré l’a très bien compris.»
Jacques Prévert et sa petite- fille
Cependant, si les enfants veulent épouser le même parcours artistique que leur père ou mère, cela peut susciter un sentiment de rivalité, ajoute-t-il: «Pour certains d’entre eux, il y a un bras de fer qui s’engage avec le disparu. Il peut arriver que certains enfants d’artistes prennent leur revanche et décident de ne pas faire vivre l’œuvre de leur père ou mère.»
Beaucoup se sont retrouvés, sans l’avoir voulu, héritiers ou ayant droit, et l’auteur de préciser: «Pour peu que le défunt ait été mêlé à un terrible scandale, l’ayant droit se retrouve à rendre des comptes qu’il n’a jamais pris au sujet d’une existence qui n’est pas la sienne. Catherine Camus a une très belle expression, elle parle d’ayant devoir, ce qui veut dire: je suis ayant droit de mon père ou de ma mère, à charge pour moi de faire vivre cette œuvre qui désormais me nourrit. C’est plutôt un devoir et non pas spécialement une chance.»
Infatigable, Frantz Vaillant poursuit ses projets d’écriture: «En ce moment, je suis en train d’achever un roman. Pour cet essai, À l'ombre des étoiles, peut-être y aura-t-il un second tome, qui sait ? Cela dépendra de l'accueil du public. » conclut-il.
Alice Djermakian
Auteur d’une biographie, Roland Topor ou le rire étranglé, d’essais, Léo Ferré, droit de réponse et Georges Franju, le dictionnaire d’une vie et récompensé par les Lauriers de l’audiovisuel 2011 pour son remarquable documentaire Un certain Monsieur Joinet, Frantz Vaillant ne pouvait ignorer la voix étouffée des enfants d’auteurs ou d’artistes illustres. «Je me suis intéressé à eux parce que j’ai pressenti qu’il y avait un chemin de solitude. Leur enfance était faite d’amour, mais aussi de beaucoup d’absence. Pour ces enfants de parents célèbres, il s’agit de papa et maman particuliers, à la disponibilité rare. Je montre dans mon ouvrage combien certains ont été sacrifiés sur l’autel de l’art et de ses exigences temporelles», confie-t-il.
Un choix éclectique d’auteurs et d’artistes qui reflètent deux siècles de créativité française et dont on peut dire qu’il a été suggéré par la sensibilité de l’essayiste: «Parce que je les aime, dit-il tout simplement. Et, aussi, parce que j’ai fouillé dans les archives et trouvé des documents susceptibles d’être habillés pour faire cette biographie. J’aurais aimé évoquer le fils de Romain Gary, mais Diego Gary n’a jamais accepté aucune interview. Quand on aime un artiste, on l’aime complètement jusqu’à ses défauts. Il m’a semblé intéressant de rendre hommage à leur œuvre, mais aussi à leurs enfants.»
Picasso et son fils Paulo
A-t-il rencontré une réticence à raconter leur cheminement, de la part de ceux qu’il désigne par « ayant droit » ? "Peut-être Catherine Camus, parce qu’elle s’est déjà beaucoup exprimée sur son enfance. En revanche, et je l'en remercie, elle a accepté avec bienveillance de lire ce que j’avais écrit, non pour censurer, mais pour éventuellement corriger. Dans l'ensemble, j’ai rencontré un certain enthousiasme de la part de ces enfants de personnalités parce que précisément, cet ouvrage leur permettait de prendre un peu de lumière et de parler enfin d’eux", dit-il.
L’auteur, avec doigté, remet les pendules à l’heure, pourchasse les préjugés et révèle une tout autre réalité. Contrairement à ce que l’on croit, les héritiers n’eurent pas une enfance gâtée, loin de là : « Ils ont vécu à l’ombre de leur parent prestigieux et ont capté un peu de lumière qui commence avec leur patronyme. Beaucoup ont eu des chemins bouleversés. J’insiste sur la solitude qu’ils ont souvent endurée. Je ne pense pas que ce sont des enfants de la chance. C’est une malédiction sucrée d’avoir un nom célèbre. Si on les reçoit, c’est rarement eux que l’on invite mais plutôt ce qu’ils représentent. En approchant une fille ou un fils d’artiste, beaucoup de personnes veulent ouvrir une petite porte dérobée pour accéder à cette célébrité et savoir des choses que le commun des mortels ne sait pas. J’ai parlé des artistes parce qu’une interaction a lieu entre les parents et leurs enfants et cette interaction avec les enfants de célébrités est toujours inattendue, sinon passionnante. Ainsi, beaucoup m’ont révélé des choses étonnantes, comme par exemple Patrick Vian, le fils de Boris Vian, au sujet de son génial papa" dit-il.
Et, pour plus de précision, Frantz Vaillant replace pertinemment les choses dans leur contexte sociologique : "Le concept de l'adolescence apparaît vers 1850. Le respect légitime auquel ont droit les adolescents d’aujourd’hui, cet état particulier mi-enfant mi- adulte, commence à s'imposer vraiment dans les années 1950 avec l'arrivée, par exemple, de l'argent de poche et du rock n'Roll. Il permettra de prendre en considération les besoins particuliers des ados, comme cette faim de liberté et les premiers émois sexuels... Mais les enfants d'artistes n'ont pour ainsi dire pas le droit de se plaindre publiquement. Ils grandissent dans un milieu social privilégié, et, pour cette raison même, les privilèges dont ils jouissent leur interdisent de chouiner, de crainte d’être accusés d’indécence et de vouloir salir l'image de l'artiste qui les fait vivre. Mais une cage, même dorée, reste une cage. Je crois que la pudeur, parfois, est une prison", explique-t-il.
Bousculant les idées préconçues, l’auteur soulève une problématique: «Il est vrai que le fait de bénéficier d’un patronyme célèbre permet d’aborder la société avec des portes déjà entrouvertes, parce que vous avez un crédit de confiance. Mais les choses ne sont pas si simples. Ce crédit se paie très cher et les taux d’intérêt sont exorbitants.»
Il raconte d’une voix amusée la genèse de son essai: «À l’origine, je faisais une interview d’un éditeur pour le magazine Culture Prime [un média social culturel 100 % vidéo créé par les six entreprises de l’audiovisuel public français] et, en discutant avec le directeur des éditions du Cerf, Jean-François Colosimo, j'ai évoqué le destin étonnant de certains enfants d'artistes. Il m'a écouté très attentivement. Il m'a dit : « Ah, c'est bien ça ! On fait le livre ! » Il semblait un peu stupéfait d'apprendre que Georges Verlaine, le fils de Paul Verlaine, était contrôleur dans le métro parisien et que Picasso avait un fils, Paulo, qui était son chauffeur."
Frantz Vaillant nous révèle quelques exemples de vies malmenées, de destins brisés dont on ne soupçonnait pas l’existence: «Michel, le fils unique de Jules Verne, fut mis en pension à cinq ans parce que son père ne le supportait pas. Puis plus tard, dans une colonie pénitentiaire. Georges Verlaine ne reverra jamais son père après ses huit ans. Le poète génial était un mari violent. "Colette de Jouvenel, la fille de Colette, fut expédiée à la campagne où ses parents venaient très rarement lui rendre visite. Maud Linder, la fille de Max Linder – surnommé « le roi du rire » et seul maître avoué de Charlie Chaplin –, se retrouva orpheline à seize mois après le suicide de ses parents. Elle fut longtemps partagée entre l’admiration pour ce génie qu’était son père et le rejet de ce terrible salaud qui tua sa mère avant de se donner la mort dans une chambre d'hôtel, près des Champs-Elysées. Paulo Picasso, lui, resta toute sa vie un obligé immature et irresponsable."
À la question de savoir si les enfants de l’ombre ont du ressentiment pour leurs géniteurs, l’auteur répond par la négative et avance l’exemple de Mathieu Ferré, fils de Léo: «Il fait vivre l’œuvre de son père dont il a sorti des inédits. Il effectue un travail formidable pour que vive encore Léo Ferré. Tous ces écrivains et artistes sont des êtres exceptionnels, et le temps donné à l’art est mathématiquement du temps qu’on ne donne pas à ses enfants. Mathieu Ferré l’a très bien compris.»
Jacques Prévert et sa petite- fille
Cependant, si les enfants veulent épouser le même parcours artistique que leur père ou mère, cela peut susciter un sentiment de rivalité, ajoute-t-il: «Pour certains d’entre eux, il y a un bras de fer qui s’engage avec le disparu. Il peut arriver que certains enfants d’artistes prennent leur revanche et décident de ne pas faire vivre l’œuvre de leur père ou mère.»
Beaucoup se sont retrouvés, sans l’avoir voulu, héritiers ou ayant droit, et l’auteur de préciser: «Pour peu que le défunt ait été mêlé à un terrible scandale, l’ayant droit se retrouve à rendre des comptes qu’il n’a jamais pris au sujet d’une existence qui n’est pas la sienne. Catherine Camus a une très belle expression, elle parle d’ayant devoir, ce qui veut dire: je suis ayant droit de mon père ou de ma mère, à charge pour moi de faire vivre cette œuvre qui désormais me nourrit. C’est plutôt un devoir et non pas spécialement une chance.»
Infatigable, Frantz Vaillant poursuit ses projets d’écriture: «En ce moment, je suis en train d’achever un roman. Pour cet essai, À l'ombre des étoiles, peut-être y aura-t-il un second tome, qui sait ? Cela dépendra de l'accueil du public. » conclut-il.
Alice Djermakian
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