Une querelle de baigneurs sur la plage de Saïda vient de poser des questions lancinantes: qui donc a l’autorité d’interdire ou d’accorder des
Une amie de Baaqline, pour faire le point de la situation, m’avait fait parvenir la parodie suivante:
Si dans le canton chrétien, on organise des festivals de bouffe et de musique, et si l’on y danse à la queue leu leu,
Et si dans le canton chiite, on procède à des manœuvres militaires pour éradiquer Israël de la surface de la terre,
Dans le canton sunnite, en revanche, on poursuit le jihad contre les tenues indécentes sur les plages,
Et dans le canton druze?… Dans le canton druze, on observe et on est attentif à ce qui se passe chez les autres…
La querelle des maillots indécents à Saïda étant significative, j’appelais aussitôt Adonis, le poète exilé à Paris, pour lui dire qu’il avait eu quelque part raison. N’avait-il pas dénoncé haut et fort une mainmise religieuse tentaculaire sur l’espace public? La conférence qu’il avait tenue avait suscité des protestations dans le milieu des intellectuels. C’était il y a plus de vingt ans. Nous étions en pleine période haririenne, et le magicien des mots n’avait pas hésité à dire que «Beyrouth n’était plus dans Beyrouth» et qu’églises et mosquées régissaient désormais nos mentalités domestiquées.
Les derniers événements sont venus confirmer ses appréhensions. Le rigorisme religieux vient de l’emporter, le président de la municipalité de Saïda ayant décrété que la consommation d’alcool est prohibée sur le sable fin et qu’on ne peut accéder à la plage qu’en tenue décente, autrement dit les femmes ne peuvent s’y exposer en maillot de bain, encore moins en bikini.
Baigneuses, baigneurs, vous qui voulez profiter du soleil et de l'eau, allez fréquenter les plages de Batroun au Nord-Liban. Là au moins, il ne viendrait pas à l'idée d'un chanoine de vous interdire d'innocents plaisirs.
Ainsi, pour faire trempette, nous en sommes réduits à nous délocaliser pour éviter un espace quadrillé par l'inquisition des dévots.
La mer toujours recommencée.
«Ihticham» et principe d’autorité
À la veille des présidentielles, on aurait pu croire que le pays était divisé entre le «parti de l’étranger» et celui des souverainistes, entre les partisans du 8-Mars et ceux du 14-Mars. Or voilà qu’à partir d’une plage de Saïda, c’est l’indécence désormais qui départage entre Libanais. Comme s’il n’y avait pas assez de sujets de discorde sur la place publique! Or certains insinuent que toute cette affaire relève du complotisme: une mise en scène, une diversion, alors que l’essentiel se déroule ailleurs.
C’est fort possible, mais cette digression, si l’on peut la désigner ainsi, ne doit pas être envisagée à la légère. Elle est en mesure de susciter un débat que les ONG de la postmodernité et la société civile ont intérêt à suivre. Car par-delà les clichés et slogans d’usage, cette querelle a soulevé la question épineuse de l’Autorité. C’est le moment où jamais pour les laïcistes de faire preuve de leurs talents de chicaniers.
Les bigots qui cherchent à imposer la décence (al-ihticham) prétendent que tout a été dit une bonne fois pour toutes et qu’eux seuls sont habilités à interpréter «ledit» de la Révélation. Sur le bord opposé, se tiennent ceux qui contestent le dogmatisme, qui mettent en doute ledit principe d’autorité et qui, au nom de la raison, récusent l’immobilisme et la rigidité archaïque.
En somme, c’est un choc de cultures, mais rien qu’entre vacanciers à Saïda!
L'inquisiteur sur la plage.
Le zonage avant la partition
La cohabitation harmonieuse entre adeptes de l’authenticité et inconditionnels de l’occidentalisation n’a jamais été aisée. Alors, comme il y a des lieux à usage résidentiel et d’autres à usage commercial ou industriel, il est temps pour le législateur d’allouer des plages aux «vertueux» et d’autres aux délurés. Ce serait à la carte. Une ségrégation équitable désignerait des zones qui seraient exclusives, et d’autres mixtes. Le zonage, outil de règlementation et de contrôle de l’utilisation du sol est affaire de services fonciers. Nous y acculer, ce serait nous donner un avant-goût des délices de la partition.
Youssef Mouawad
yousmoua47@gmail.com
Une amie de Baaqline, pour faire le point de la situation, m’avait fait parvenir la parodie suivante:
Si dans le canton chrétien, on organise des festivals de bouffe et de musique, et si l’on y danse à la queue leu leu,
Et si dans le canton chiite, on procède à des manœuvres militaires pour éradiquer Israël de la surface de la terre,
Dans le canton sunnite, en revanche, on poursuit le jihad contre les tenues indécentes sur les plages,
Et dans le canton druze?… Dans le canton druze, on observe et on est attentif à ce qui se passe chez les autres…
La querelle des maillots indécents à Saïda étant significative, j’appelais aussitôt Adonis, le poète exilé à Paris, pour lui dire qu’il avait eu quelque part raison. N’avait-il pas dénoncé haut et fort une mainmise religieuse tentaculaire sur l’espace public? La conférence qu’il avait tenue avait suscité des protestations dans le milieu des intellectuels. C’était il y a plus de vingt ans. Nous étions en pleine période haririenne, et le magicien des mots n’avait pas hésité à dire que «Beyrouth n’était plus dans Beyrouth» et qu’églises et mosquées régissaient désormais nos mentalités domestiquées.
Les derniers événements sont venus confirmer ses appréhensions. Le rigorisme religieux vient de l’emporter, le président de la municipalité de Saïda ayant décrété que la consommation d’alcool est prohibée sur le sable fin et qu’on ne peut accéder à la plage qu’en tenue décente, autrement dit les femmes ne peuvent s’y exposer en maillot de bain, encore moins en bikini.
Baigneuses, baigneurs, vous qui voulez profiter du soleil et de l'eau, allez fréquenter les plages de Batroun au Nord-Liban. Là au moins, il ne viendrait pas à l'idée d'un chanoine de vous interdire d'innocents plaisirs.
Ainsi, pour faire trempette, nous en sommes réduits à nous délocaliser pour éviter un espace quadrillé par l'inquisition des dévots.
La mer toujours recommencée.
«Ihticham» et principe d’autorité
À la veille des présidentielles, on aurait pu croire que le pays était divisé entre le «parti de l’étranger» et celui des souverainistes, entre les partisans du 8-Mars et ceux du 14-Mars. Or voilà qu’à partir d’une plage de Saïda, c’est l’indécence désormais qui départage entre Libanais. Comme s’il n’y avait pas assez de sujets de discorde sur la place publique! Or certains insinuent que toute cette affaire relève du complotisme: une mise en scène, une diversion, alors que l’essentiel se déroule ailleurs.
C’est fort possible, mais cette digression, si l’on peut la désigner ainsi, ne doit pas être envisagée à la légère. Elle est en mesure de susciter un débat que les ONG de la postmodernité et la société civile ont intérêt à suivre. Car par-delà les clichés et slogans d’usage, cette querelle a soulevé la question épineuse de l’Autorité. C’est le moment où jamais pour les laïcistes de faire preuve de leurs talents de chicaniers.
Les bigots qui cherchent à imposer la décence (al-ihticham) prétendent que tout a été dit une bonne fois pour toutes et qu’eux seuls sont habilités à interpréter «ledit» de la Révélation. Sur le bord opposé, se tiennent ceux qui contestent le dogmatisme, qui mettent en doute ledit principe d’autorité et qui, au nom de la raison, récusent l’immobilisme et la rigidité archaïque.
En somme, c’est un choc de cultures, mais rien qu’entre vacanciers à Saïda!
L'inquisiteur sur la plage.
Le zonage avant la partition
La cohabitation harmonieuse entre adeptes de l’authenticité et inconditionnels de l’occidentalisation n’a jamais été aisée. Alors, comme il y a des lieux à usage résidentiel et d’autres à usage commercial ou industriel, il est temps pour le législateur d’allouer des plages aux «vertueux» et d’autres aux délurés. Ce serait à la carte. Une ségrégation équitable désignerait des zones qui seraient exclusives, et d’autres mixtes. Le zonage, outil de règlementation et de contrôle de l’utilisation du sol est affaire de services fonciers. Nous y acculer, ce serait nous donner un avant-goût des délices de la partition.
Youssef Mouawad
yousmoua47@gmail.com
Lire aussi
Commentaires