Assaillis de toutes parts d’informations souvent contradictoires portant sur la bataille présidentielle, nombre de Libanais accueillent avec prudence, comme l’aurait fait Saint Thomas, l’optimisme qui pointe à l'horizon sur ce plan de temps à autre. Ils ne croiront au dénouement heureux que lorsqu’ils en auront été témoins. Cela pourrait être bien le cas, cette fois-ci, dans un très proche avenir, si l’on en croit les indices apparus il y a quelques jours et qui laissent supposer que l’on est arrivé, peut-être, à la dernière ligne droite.
Dans les faits, il ressort de plusieurs sources toutes concordantes qu’un accord de principe sur la candidature de l’ancien ministre Jihad Azour aurait été conclu entre l’opposition – les Forces libanaises, les Kataëb, le bloc de Michel Moawad, le PSP et des députés indépendants – et le Courant patriotique libre de Gebrane Bassil.
M. Azour (qui était proche de feu Rafic Hariri et du courant du Futur) aurait effectué récemment une visite express à Beyrouth où il aurait rencontré, selon l’agence al-Markazya, le chef du législatif Nabih Berry, M. Bassil, le leader des Kataëb, Samy Gemayel, l’ancien chef du gouvernement Fouad Siniora, ainsi que des députés indépendants et du bloc Joumblatt. Et cerise sur le gâteau, l’ancien député Elie Ferzli a affirmé dans une interview télévisée que M. Azour a tenu au moins deux réunions avec le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammed Raad.
De là à souligner que la partie est jouée et que les dés sont jetés, il n’y a qu’un pas que plusieurs observateurs n’hésitent pas à franchir. A tort, cependant, car le petit grain de sable risque encore d’enrayer la dynamique en marche. En réalité, ce sont plusieurs petits grains de sable qui menacent de remettre en cause l’optimisme apparu ces derniers jours. Ces grains de sable se situent essentiellement au niveau du CPL.
Bassil et le précédent de 2006
Les directoires des Forces libanaises et des Kataëb accueillent en effet avec prudence la position de M. Bassil concernant la candidature de M. Azour. Ils craignent que le chef du CPL entretienne l’illusion qu’il s’est engagé résolument sur la voie d’une entente avec l’opposition afin d’exploiter cette carte pour faire monter les enchères avec le Hezbollah en lui réclamant un surcroît d’acquis et de privilèges s’il appuie l’élection d’un président qui graviterait dans le giron de la formation pro-iranienne. M. Bassil chercherait ainsi à se livrer à un «marché» pour satisfaire ses petits calculs politiciens et réducteurs, sans tenir compte outre mesure de l’état d’effondrement généralisé dans lequel se débat le pays depuis plusieurs années.
Les appréhensions des FL et des Kataëb, notamment, sont d’autant plus justifiées que le chef du CPL a des précédents en matière d’atermoiement et de double jeu. En 2006, il avait mené ainsi des pourparlers de façon concomitante, et discrète, avec le Hezbollah et le chef du Courant du futur, Saad Hariri. C’était alors, pour lui, au plus offrant… Il finira par s’engager résolument sur la voie du Hezbollah, faisant fi des principes souverainistes qu’affichait le CPL. On connait la suite de l’histoire. Sauf qu’à l’époque, la manœuvre était peut-être tolérable du fait que le pays n’était pas plongé dans le marasme généralisé et intégral dont pâtissent aujourd’hui les Libanais.
Le chef du CPL serait-il en train de se livrer à ce même double jeu cynique et hautement destructeur à l’ombre de la conjoncture présente? Une certaine incertitude persiste à ce propos, et c’est ce qui a amené le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, à appeler ouvertement M. Bassil à annoncer publiquement et sans détours, et surtout sans plus tarder, son adhésion à la candidature de M. Azour.
Les tous prochains jours devraient lever le doute qui plane sur ce plan, encore que plusieurs responsables politiques, dont notamment le député Fady Karam (Forces libanaises), affirment que M. Bassil a bel et bien fait le choix d’une entente avec l’opposition autour de la candidature de M. Azour.
Barrer la route à Kanaan
À en croire des sources souverainistes, le chef du CPL aurait tranché en définitive en faveur de M. Azour dans un but purement partisan et égocentrique, à savoir barrer la route de Baabda au député du Metn-Nord Ibrahim Kanaan, l’un des piliers du bloc du CPL mais dont les rapports avec M. Bassil ne sont pas, et n’ont jamais été, particulièrement chaleureux.
Les chances de M. Kanaan d’accéder à la présidence ne sont pas dans ce contexte négligeables du fait qu’un bon nombre de députés du bloc aouniste seraient opposés au choix de M. Azour. Ils avancent comme argument que celui-ci était proche du courant du Futur et qu’en tout état de cause, il serait plus normal que le CPL s’emploie à négocier avec l’opposition la candidature de l’un de ses membres qui soit en bons termes avec le camp souverainiste. Et sur ce plan, M. Kanaan serait le mieux placé vu qu’il pourrait bénéficier du soutien des Forces libanaises, d’autant qu’il avait été en 2016 l’artisan, avec le député Melhem Riachi, de la réconciliation entre les FL et le CPL. De surcroît, lors de la campagne assidue menée par la suite par M. Bassil contre les FL, M. Kanaan ne s’est jamais aligné sur les positions hostiles aux FL.
Ce sont précisément ces atouts dont bénéficient M. Kanaan qui auraient poussé le chef du CPL à soutenir M. Azour. La question reste de savoir si ce choix sera avalisé par le groupe de députés aounistes qui ont constamment adopté une attitude très réservée et distante à l’égard de M. Bassil. C’est dans ce cadre que s’inscrit sans doute la récente déclaration du député Alain Aoun qui a affirmé que «la page de Jihad Azour était tournée» et que l’entente avec l’opposition devrait porter sur un candidat issu du bloc du CPL. Selon certains observateurs généralement bien informés, une réunion devrait grouper sous peu les principaux ténors aounistes, en présence de MM. Bassil et Kanaan, afin de tenter d’aboutir à une position unifiée.
C’est cette dissonance au sein du CPL qui laisse planer encore une incertitude sur l’accord conclu autour de la candidature de M. Azour. La situation pourrait se décanter davantage à ce propos à la lumière de l’entretien que le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, aura mardi prochain à l’Élysée avec le président Emmanuel Macron. Dans l’attente, les Libanais suivront sans doute l’exemple de Saint Thomas.
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