Soulèvement au Kazakhstan : en 24 heures, une profusion de théories pro-russes
La Russie a envoyé des «forces de maintien de la paix» pour défendre son allié kazakh, en proie à d’importantes manifestations. Le président kazakh a appelé à «vaincre la menace terroriste».

Kassym-Jomart Tokayev, le président du Kazakhstan, a demandé mercredi l’aide de la Russie pour réprimer les émeutes en cours dans le pays, œuvre de «gangs terroristes entraînés à l’étranger». Le régime est confronté à des manifestations qui ont débuté dimanche dans l’Ouest après une hausse du prix du gaz. Des dizaines de manifestants ont été tués par la police ces dernières heures, et plus d'un millier ont été blessés.

«Des groupes d’éléments criminels battent nos soldats, les humilient, les traînant nus dans les rues, agressent les femmes, pillent les magasins», a dénoncé Tokayev dans une allocution télévisée mercredi. La porte-parole de la Maison Blanche Jen Psaki a critiqué les «folles allégations de la Russie» sur une responsabilité supposée des Etats-Unis dans les émeutes qui secouent le Kazakhstan, qui relèvent «de la stratégie de désinformation russe».

La chaîne du Kremlin Russia Today (RT) n’a pas tardé à basculer en mode guerre en inondant ses plateformes de contenus favorables au président kazakh, parlant de «bandes internationales» et «d’assaillants éliminés». La chaîne a consacré sa "une" toute la journée de jeudi sur des membres des forces de l’ordre «décapités» par les manifestants anti-régime.

La Russie a indiqué qu’elle avait envoyé immédiatement des «forces de maintien de la paix» au Kazakhstan, via l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC). Comme l’a rappelé sur Twitter le gépolitologue Nicolas Tenzer, «alors que l’OTAN, une alliance défensive, protège ses membres de manière collective contre les attaques extérieures, l’OTSC se déploie contre les citoyens des États qui en font parti, le maintien de la paix s’apparentant à une répression».

Ce genre de récit confusionniste n’a en réalité rien de surprenant ni de novateur. Le régime Assad avait procédé de la même manière dès les premiers jours de l’insurrection, en qualifiant ses adversaires de terroristes et en propageant des allégations complotistes farfelues. A titre de comparaison, Bouthaina Chabaane, la conseillère médiatique d'Assad, avait parlé «d'islamistes kidnappeurs d'enfants à la solde de l'étranger», sur la chaîne Sky News, en 2013, au moment où le régime était menacé de représailles fatales. Plus récemment, les manifestations pro-démocratie en Biélorussie avaient elles aussi été ciblées et diabolisées par la Russie, alors que son allié Alexandre Loukachenko était sur la sellette.


Relais pro-russes sur la Toile

Vingt-quatre heures après le soulèvement populaire inattendu dans la capitale économique du pays à Almaty, les influenceurs et propagandistes pro-russes se sont déchaînés sur la toile et les réseaux sociaux en propageant immédiatement des justificatifs pour le régime kazakh. Si les kazakhs se sont mobilisés pour dénoncer une hausse du coût de la vie, après une hausse des prix du gaz, pour les relais de Poutine, ce soulèvement n’a rien de spontané. Parmi les théories en vogue, la compagnie américaine Chevron qui exploite le pétrole kazakh souhaiterait un «changement de régime» ; un complot serait opéré par le MI6 sur le modèle de l’Euromaidan ukrainien ; ou encore, une «révolution de couleur» propagée par l’Occident comme en Géorgie, en Biélorussie et en Ukraine serait à l’ordre du jour.

Pour les pro-russes qui y voient la main de Washington, le timing n’est pas anodin dans ce soulèvement, certains expliquant que les Etats-Unis «ouvrent un nouveau front contre la Russie» au Kazakhstan pour torpiller les négociations à venir. Joe Biden et Vladimir Poutine doivent en effet se rencontrer la semaine prochaine pour clarifier leurs positions, notamment au regard de la crise ukrainienne qui envenime leurs rapports. Joe Biden a de nouveau assuré à l’Ukraine qu’il défendrait son intégrité territoriale en cas d’invasion russe du pays. En 2013, lors de l’Euromaidan (manifestations pro-européennes) en Ukraine, les médias russes et leurs relais avaient concentré leurs efforts pour dépeindre une opposition ukrainienne tantôt noyautée par des groupes néonazis, tantôt dirigée en coulisse par les Juifs (selon Alexander Zakharchenko, leader pro-russe de Donetsk) et par George Soros, une cible récurrente de cette théorie antisémite encore en vogue en Ukraine et dans les pays de l’ex-bloc soviétique.

Pour Benjamin Norton du site à la ligne «anti-impérialiste» The Grayzone, régulièrement épinglé pour ses fausses informations, «il est évident que les manifestations violentes au Kazakhstan sont le fruit d’une ‘révolution de couleur’ contre la Russie et la Chine». Celui-ci s’en prend aussi à Nexta, selon lui, «un média polonais dirigé par les Occidentaux dans sa tentative de coup d’État ratée contre le Bélarus». Nexta a joué un rôle important dans la documentation du soulèvement contre le régime de Loukachenko, lors des manifestations réprimées par le pouvoir, en mai 2020. La Biélorussie, plongée dans un blackout médiatique, avait les yeux rivés sur Nexta qui avait réussi à déjouer la stratégie du pouvoir. Son co-fondateur Roman Protassevitch a ensuite été arrêté à l’issue d’un guet-apens rocambolesque tendu par Loukachenko, impliquant un détournement d’un avion de Ryanair.

Le retour en force de ces théories complotistes et de la sémantique de guerre favorable à la Russie tend à démontrer que celle-ci fera tout pour conserver son influence sur les ex-républiques soviétiques, jusqu’à y intervenir militairement, en un temps record.

Ici Beyrouth, avec contexte AFP
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