Philippe Rivet-Paume: histoire d’un ancien parachutiste au Liban
Le Collectif Liban France (CLF) réunit, sur la Côte d’Azur, une admirable mosaïque de Libanais, Franco-Libanais et Français autour de projets communs. Philippe Rivet-Paume en fait partie. Car cet ancien parachutiste français qui a connu l’enfer de la guerre au Liban dans les années 80 y est retourné après deux missions, pour y vivre jusqu’en 2020. Autour de lui s’est regroupé un solide réseau appelé les «Anciens du Liban», dont la nostalgie du Liban d’antan demeure vivace et dont l’objectif est de célébrer la mémoire des Français morts au Liban.

Les souvenirs remontent à la surface, pêle-mêle, nostalgiques puis plus précis au fur et à mesure que Philippe Rivet-Paume raconte son arrivée au Sud-Liban, en avril 1981, pour une mission de six mois au sein de la Force intérimaire des Nations Unies (Finul). Il tombe sous le charme du pays du Cèdre dont, dit-il: «L’hospitalité est à nulle autre pareille.» À Naqoura, le jeune volontaire de dix-huit ans apprend les bases du métier. Puis de retour en France, il s’engage dans l’armée et devient parachutiste au troisième régiment d’infanterie de marine (RPIMA) de Carcassonne.
Quand en septembre 1983, le jeune parachutiste apprend que le 3e RPIMa va se joindre à la Force multinationale de sécurité à Beyrouth (FMSB) dans le cadre de l’opération Diodon IV [ces militaires avaient pour objectif de participer au maintien de la paix, décidé par l’ONU], il est fou de joie de retourner au Liban. Mais cette fois-ci, ce sera à Beyrouth, dans le secteur stratégique de Tayouneh. Il découvre tous les coins et recoins du quartier de Badaro où il est affecté au poste «Goélette» et où il effectue des patrouilles, fait du renseignement mais aussi de l’instruction auprès de l’armée libanaise. Il sourit à l’évocation de l’épicier qui l’accueille chaleureusement à son passage et lui offre un café ou une manouché. Il se souvient aussi «des cassettes pour enregistrer les tirs entre l’Armée libanaise et Amal» comme pour emporter avec lui quelque chose de ces mois intenses vécus dans la guerre.
Jusqu’au jour fatal où les soldats français et américains sont pris en cible, le 23 octobre 1983, par le Mouvement de la révolution islamique libre: «C’était un dimanche, précise Philippe Rivet-Paume; nous avons entendu la première explosion vers six heures du matin. Il y avait, au loin, une épaisse colonne de fumée. Puis la deuxième explosion a retenti. Nous avons appris à la radio qu’il y a eu deux attentats-suicides qui ont frappé les contingents américain et français, et que le Drakkar s’est effondré.» Les soldats français se rendent immédiatement sur les lieux pour secourir les blessés et dégager les cadavres. L’ancien parachutiste en garde un souvenir douloureux. «En dégageant les corps, on cherchait les plaques pour les identifier», dit-il, avant d'ajouter: «On parle d’une camionnette piégée qui aurait franchi les blocs de béton, mais on sait bien qu’il n’y a jamais eu de camionnette.» L’attentat du Drakkar avait fait parmi le contingent français 58 morts et 15 blessés.


Le 21 décembre 1983, second choc. Philippe Rivet-Paume a la gorge nouée quand il relate la mort de son ami Philippe Chabrat au poste de commandement «Frégate» à l’ancien stade Armand du Chayla (nom du premier ambassadeur de France après l’indépendance du Liban): «Il était 18h30 quand une camionnette a foncé sur la Frégate. Chabrat était à l’entrée, il a donné l’alerte, mais n’a pas eu le temps de tirer. La camionnette a franchi les merlons puis a explosé. Chabrat a été tué par l’effet de souffle. Je suis arrivé très vite sur place avec mon capitaine. Il y avait un immense cratère, 16 paras blessés, 14 civils libanais tués et 12 blessés.»
Deux mois plus tard, inconsolable, Philippe Rivet-Paume rentre en France avec l’image d’un Liban qu’il aime malgré tout: «Ce pays est exceptionnel. Ce mélange d’orients et d’occidents, cette générosité, cette ouverture des Libanais ont fait que je me suis senti chez moi, que je m’y suis attaché», confie-t-il.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. L’ancien parachutiste revient au Liban, une vingtaine d’années plus tard, après avoir travaillé dans la sécurité, en Afrique surtout. En 2006, il est chargé de protection du délégué de l’Union européenne à Beyrouth pour une mission de deux ans. À peine arrivé à Beyrouth, il retourne à Tayouneh et Badaro où il retrouve les postes «Goélette» et «Chalutier». L’émotion l’étreint. Le quartier n’est plus le même. Et pourtant, Philippe Rivet-Paume se sent au pays du Cèdre comme un poisson dans l’eau. Il y rencontre sa future épouse, et son attachement pour le Liban est tel qu’il s’y installe et se dit «Libanais d’adoption».
Le 23 octobre 2013, c’est lui qui, lors de la cérémonie des 30 ans de l’attentat du Drakkar, scande à chaque nom de soldat: «Mort pour la France». Il crée, en 2014, un réseau qui rassemble sur Facebook tous ceux qui ont servi au Liban, et qui, dit-il, «ont le mal du Liban» et n’hésitent pas à partager expériences, photos et témoignages. La nostalgie et l’amour du Liban demeurent, au fil des années, immuables. Et depuis, il veut rendre hommage à son ami Philippe Chabrat, par l’apposition d’une plaque commémorative dont il souhaite se charger, au Grand-Lycée franco-libanais. Dix ans déjà qu’il multiplie ses contacts en France et au Liban pour réaliser cette noble initiative de mémoire, et il lui tient à cœur de la conduire à son terme.
Aujourd’hui, une petite fenêtre s’est ouverte, car à l’approche du quarantième anniversaire des attentats, le proviseur du Grand-Lycée franco-libanais s’est dit favorable à l’idée de poser une plaque en mémoire du parachutiste Chabrat au stade Du Chayla. Parallèlement, une démarche est initiée par l’USJ (département des Relations internationales) pour la mise en place d’une plaque en mémoire des morts de l’USJ lors de ce même attentat, et il y a une volonté de faire un événement commun. Mais le feu vert n’est pas encore donné. «Ce serait l’aboutissement inespéré de nombreuses démarches souvent rejetées pour des raisons sécuritaires», dit-il avec une lueur d’espoir dans les yeux.
Il y a peu, Philippe Rivet-Paume a organisé avec son ami Yann Baly – auteur d’un livre coécrit avec Emmanuel Pezé en hommage au président assassiné, Bachir Gemayel, paru en 2022 aux éditions Pardès –, le premier Salon du livre des écrivains combattants et du livre historique à Orange. Vingt-six auteurs ont répondu présents et parmi les ouvrages exposés, il y avait, ce 29 avril 2023, Le Souffleur, le sous-marin oublié, coécrit par Erwan Savin et Marc Langleur, autour de l’enquête sur l’épave d’un mystérieux sous-marin français coulé par une torpille anglaise, le 25 juin 1941 au large de Beyrouth, avec à son bord 51 hommes d’équipage. Il ajoute: «Ce Salon fait œuvre de mémoire et nous espérons bien le voir perdurer.»
Commentaires
  • Aucun commentaire