Nonobstant la décision qui leur a permis de recouvrer leur liberté, les fonctionnaires du port de Beyrouth, suspectés d'homicide volontaire dans l'affaire de l'explosion du 4 août 2020, sont en mesure, d’un point de vue juridique, de réintégrer leur poste. Bien qu’elle ait indigné un grand nombre de Libanais, la décision du ministre sortant des Transports et des Travaux publics, Ali Hamiyé, de permettre aux fonctionnaires (hormis ceux de première catégorie) de reprendre leur travail, n’est pas entachée d’illégalité. Elle est toutefois politisée, selon certains observateurs et juristes.
Arrêtés pour négligence et homicide volontaire au lendemain de l’explosion survenue au port de Beyrouth pendant près de deux ans, 17 fonctionnaires ont été libérés sous caution le 25 janvier dernier, sur ordre (contesté) du procureur général de la République, Ghassan Oueidate. Ils réclament aujourd’hui la reprise du travail. Mardi, Mohammad el-Mawla, président du Mina, qui gère l’arrivée des navires, et garde judiciaire du hangar n°12, dans lequel le nitrate d’ammonium à l’origine de la déflagration était conservé, a été informé de la décision selon laquelle il reprendrait le travail. Les autres fonctionnaires réintégrés à leurs postes sont les suivants: Michel Nahoul, employé à la direction générale du port, Samer Raad, ingénieur directeur des opérations portuaires, Moustapha Farchoukh, chef du département des marchandises et Mohammad el-Awf, responsable de la sécurité du port. Détenteur de la nationalité américaine, ce dernier a quitté le Liban pour les États-Unis, au lendemain de sa libération, malgré l’interdiction de voyager émise à son encontre.
«Tant qu’une condamnation n'a pas été prononcée à leur encontre, rien ne les empêche, d’un point de vue légal, de retrouver leur bureau. C’est le principe de présomption d’innocence. Au regard de la loi, ils sont aujourd’hui libres», indique un juriste interrogé par Ici Beyrouth, sous couvert d’anonymat. Néanmoins, «ces fonctionnaires auraient dû être remplacés par d’autres, le temps qu’un jugement soit rendu à leur égard. Ils sont accusés dans le cadre d’une affaire que devrait normalement instruire le juge Tarek Bitar, lequel aurait dû lui-même ordonner ou non leur libération», suggère une autre source.
Il convient de souligner que, selon le juriste susmentionné, «la rémunération de ces fonctionnaires n'a pas été interrompue. Or, en vertu de la règle selon laquelle “pas de traitement sans travail” et étant donné que rien dans les textes de loi ne les empêche de retrouver leur poste, ils sont censés exécuter leur travail».
Dans les faits
Au mois de janvier, le Premier ministre sortant, Najib Mikati, publie deux circulaires dans lesquelles il demande aux ministres sortants des Finances, Youssef Khalil, et des Transports, Ali Hamiyé, de notifier les fonctionnaires de première catégorie remis en liberté par le procureur Oueidate de se placer à la disposition de la présidence du Conseil des ministres.
Il a également réclamé que les fonctionnaires d'autres catégories soient placés à la disposition de leurs ministres concernés. La procédure de notification n’a pas été lancée.
Au mois d’avril dernier, le ministre sortant Ali Hamiyé s’est tourné vers la Commission de législation et de consultation du ministère de la Justice. Celle-ci devait émettre un avis consultatif au sujet de la demande de réaffectation des fonctionnaires du port de Beyrouth, qu’elle a rendu le 25 avril. Elle a considéré que les fonctionnaires (hormis ceux de première catégorie) pouvaient reprendre leur travail. Pour cela, elle s’est fondée sur le fait qu’aucun fonctionnaire n’a été notifié conformément à la demande du Premier ministre du gouvernement intérimaire et que, par conséquent, aucun d’entre eux n’a été mis à la disposition du ministre concerné. «Dans toute situation, la commission en question ne peut rendre qu’un avis consultatif, et la décision finale dans ce cas précis revient au ministre sortant des Transports et des Travaux publics», déclare le juriste. Assertion confirmée par le ministre sortant de la Justice, Henri Khoury.
À la question de savoir quelles seraient les conséquences d’un refus de M. Hamiyé de réaffecter les fonctionnaires à leur poste, un avocat interrogé par Ici Beyrouth répond: «Une telle décision aurait été passible de recours devant le Conseil d’État pour abus de pouvoir. Le code de la fonction publique et, plus précisément, le statut général des fonctionnaires ne permet en aucun cas à un ministre de s’opposer à l’exercice de leur fonction en cas d’accusation.»
Il semble que la décision de libération — largement controversée et critiquée pour son illégalité – prise par M. Oueidate préparait le terrain pour réaffecter à leur poste des fonctionnaires qui, en temps normal, devraient être soumis à des interrogatoires pour homicide volontaire. Interrogatoires qui n’ont pas eu lieu, le juge chargé du dossier ayant été écarté et faisant l’objet d’une action en justice pour «usurpation d’identité» par celui qui a pris les décisions à sa place, à savoir le procureur général de la République.
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