«Ce qu’est le christianisme», guide pour une Église en crise
De son vivant, le pape émérite Benoît XVI n’a pas toujours été compris. Personne, cependant, ne peut nier la lucidité de sa pensée et la force de ses arguments, que son ouvrage posthume «Ce qu’est le christianisme» rassemble avec brio.

Le nom de Jean-Paul II est désormais associé à celui du Liban, comme s’il en était l’un des pères fondateurs. Nul avant lui n’avait parlé du Liban avec la même profondeur de vision, sinon le patriarche Howayek, Michel Chiha et Charles Malek.
En accolant au nom du Liban le mot «message», il a résumé en un titre l’essence de notre vocation historique. En précisant que les racines historiques du Liban sont de nature religieuse, il a une fois pour toutes assis le pays sur des bases évangéliques, du moins pour ce qui touche au rôle spécifique que doit jouer dans son édification l’Église maronite. Le chrétien est d’abord un être-pour les autres; l’Église une institution dans laquelle transparaît la présence surnaturelle de Dieu.
C’est de ce Jean-Paul II que parle, dans un chapitre de son ouvrage posthume, Ce qu’est le christianisme, l’un des hommes qui l’ont le mieux connu: le pape Benoît XVI. Le pape émérite a expressément demandé que ce livre, offrant une variété d’articles et d’études d’inégale longueur, soit publié après sa mort, comme un guide pour des croyants désorientés par l’état du monde étroitement interconnecté, mais où la question morale reste en suspens; un monde où la vérité de Dieu devient plus difficile à cerner.
Différents cercles intellectuels ont demandé que soient accolés au nom de Jean-Paul II les termes «le Grand», analyse Benoît XVI. Deux papes seulement se sont vus conférés ce titre, qui a une connotation politique, poursuit-il. Politique «au sens où, à travers ses réalisations politiques, quelque chose du mystère de Dieu lui-même est révélé».
L’un de ces papes est Léon Ier (440-461) qui, lors d’une entrevue avec le chef des Huns, Attila, a obtenu de celui-ci qu’il épargne Rome, la ville des apôtres Pierre et Paul. «Sans armes, sans pouvoir militaire ou politique, il a réussi à persuader le terrible tyran d’épargner Rome, grâce à la force de sa foi. Dans la lutte de l’esprit contre le pouvoir, l’esprit s’était montré plus fort ».
«Le pouvoir de la foi s’est révélé être une force qui, à la fin de 1989, a renversé le système de pouvoir soviétique et a permis un nouveau départ. Il ne fait aucun doute, assure Benoît XVI, que la foi du pape a été un élément important pour briser ce pouvoir.»
Ce chapitre du livre du pape émérite est l’un de ceux qui devraient être les plus chers à un Libanais, confronté aujourd’hui à une impasse politique qui semble insoluble. À des degrés divers, tous les chapitres de cet ouvrage sont aussi passionnants, sans exclure celui qui porte sur les scandales sexuels au sein de l’Église. La presse du monde entier nous en abreuve. Il ne se passe pas un mois sans qu’un nouveau cas d’abus soit signalé. Raison supplémentaire d’écouter le pape émérite parler des «proportions dramatiques» prises par la crise des fondements et de la présentation de la morale catholique, à la fin des années 1980 et 1990. Face aux changements sociaux, l’Église fut par moments sans défense, avoue-t-il.
Signe des temps

«Cependant, poursuit Benoît XVI, le fait que l’’idée de la miséricorde de Dieu devienne de plus en plus centrale et dominante – à partir de sœur Faustine (canonisée par Jean-Paul II en l’an 2000, NDLR), est un signe des temps. (…) Le pape François est en parfait accord avec cette ligne. Sa pratique pastorale s’exprime précisément dans le fait qu’il nous parle continuellement de la miséricorde de Dieu. (…) À mon avis, sous le vernis de l’autosatisfaction et de la confiance en soi, l’homme d’aujourd’hui est en attente de la miséricorde.»
Dialogue islamo-chrétien
L’ouvrage consacre à l’islam un seul court chapitre, pour dire que si «l’impératif de la miséricorde» semble commun à l’islam et au christianisme, le dialogue islamo-chrétien part souvent de «bases erronées».
«Alors que le Coran est considéré comme directement inspiré par Dieu, explique le pape émérite, il n’est pas possible de parler d’une inspiration verbale de la Bible. La signification et l’autorité de chacune de ces parties ne peuvent être correctement appréhendées que dans leur ensemble et à partir de la lumière de l’événement qu’est le Christ.»
«Tout cela signifie que la foi chrétienne n’est pas une religion du Livre, ajoute-t-il. L’Écriture sainte ne parle que dans la communauté vivante de l’Église. (…) Lire la Bible à la lettre ne tient pas debout.» Et le pape de demander que le dialogue tienne compte de ces différences structurelles entre le christianisme et l’islam.
Pour Benoît XVI, «le temps de l’Église»  que nous vivons correspond à l’exode du peuple hébreu dans le désert, quarante années durant. «Nos temps, dit-il, ne sont pas le temps d’une transformation cosmique (…), mais le temps de la liberté. (…) Cela veut dire aussi le temps dans lequel le mal continue à avoir du pouvoir – le temps des victoires, mais aussi le temps des échecs de l’amour et de la vérité (p 96).»
D’autres passages du livre surprendront, choqueront ou même scandaliseront. Ainsi, du déclin de la participation à la célébration eucharistique dont parle le chapitre «Réflexion sur la communion», le pape émérite décrit comment «il est devenu communément admis» que l’eucharistie «soit distribuée par politesse, à l’occasion des fêtes familiales ou des célébrations telles que des mariages ou des enterrements».
Écrit par intervalles pendant son séjour au monastère Mater Ecclesiae au Vatican, après son renoncement, le livre, qui reste grand public, aborde les éléments fondamentaux de la religion chrétienne. Il se lit chapitre par chapitre, sans continuité entre un chapitre et l’autre, en fonction de l’intérêt que représente le sujet pour le lecteur.
Dans un monde «qui fait de l’homme le créateur de soi» et nourrit son désir de «recréer le monde contre sa vérité» et où les rapports de l’homme à la transcendance ont radicalement changé, au point où c’est l’homme qui, désormais, demande des comptes à Dieu, «en raison de toutes les horreurs du monde et de la misère humaine, toutes choses qui, en dernière analyse, dépendraient de lui», la lecture de cet ouvrage s’impose.
Commentaires
  • Aucun commentaire