Paris dénonce une vaste attaque de désinformation russe
La France a lancé mardi une sévère accusation contre la Russie en dévoilant les moyens mis en œuvre par Moscou pour mener une vaste opération d'ingérence numérique parmi les grands quotidiens français. Ces accusations mettent en exergue les efforts menés par la Russie pour tenter de manipuler les opinions publiques occidentales.

La France a accusé mardi la Russie d'être derrière une vaste opération d'ingérence numérique à travers notamment la publication de faux articles de grands quotidiens français hostiles à l'Ukraine, des agissements relevant de la "guerre hybride" de Moscou.

"Les autorités françaises ont mis en évidence l'existence d'une campagne numérique de manipulation de l'information contre la France impliquant des acteurs russes et à laquelle des entités étatiques ou affiliées à l'Etat russe ont participé en amplifiant de fausses informations", a dit la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna dans une déclaration lue par la porte-parole du ministère.

Voici plusieurs exemples d'ingérence numérique opérée par des hackers russes sur les sites de médias européens dans le but de propager de la désinformation et induire en erreur l'opinion publique. (AFP)

Paris est en "lien étroit" avec ses alliés "pour mettre en échec la guerre hybride menée par la Russie", a-t-elle ajouté.

La campagne a visé plusieurs sites de médias, mais aussi celui du ministère des Affaires étrangères et d'autres sites gouvernementaux, en créant des sites miroirs, a précisé la porte-parole Anne-Claire Legendre.

La détection le 29 mai d'un site miroir du ministère affirmant, à tort, que la France allait instaurer une taxe pour financer l'aide à l'Ukraine a accéléré la décision des autorités de rendre l'affaire publique, selon une source gouvernementale s'exprimant sous couvert d'anonymat.

Jusqu'ici, Paris a suivi une doctrine prudente en matière d'attribution d'attaques numériques.

Cette déclaration française d'ailleurs, "ne constitue pas une attribution" aux autorités russes, uniquement accusées pour l'instant d'avoir participé à l'amplification du phénomène, a précisé la source gouvernementale. Mais "nous voulons envoyer un message clair que nous sommes en mesure de détecter et procéder à des contre-mesures", a-t-elle ajouté.

La ministre a souligné "l'implication d'ambassades et de centres culturels russes qui ont activement participé à l'amplification de cette campagne, y compris via leurs comptes institutionnels sur les réseaux sociaux".

Jusqu'ici, les autorités n'ont toutefois pas relevé "d'impact sur l'opinion publique qui est tout à fait résiliente face à ces campagnes", selon Anne-Claire Legendre.



L'opération dévoilée par le gouvernement est plus précisément "la seconde phase d'une campagne déjà connue, mais avec des modes d'action plus sophistiqués destinés à contourner les contre-mesures et être moins visibles", explique à l'AFP une source sécuritaire impliquée dans le dossier.

Il s'agit de l'opération Doppelgänger (dans certains folklores européens, un Doppelgänger est le double maléfique d'une personne), déjà documentée en 2022 notamment par le géant américain Meta.


Fin septembre, la maison mère de Facebook a annoncé avoir démantelé sur sa plateforme une opération " d'influence secrète" provenant de Russie pour amplifier la visibilité de ces articles issus de sites pirates, pour laquelle ses promoteurs, deux sociétés de conseil en marketing et technologie de l'information, avaient dépensé 105.000 dollars.

"Meta espérait que son rapport mettrait fin aux opérations, ce ne fut pas le cas", explique la source sécuritaire.

Au moins quatre quotidiens français, le Parisien, Le Figaro, Le Monde et 20 minutes, ont été victimes de l'opération mais d'autres grands médias ont aussi été visés, notamment allemands (Der Spiegel, Bild, Die Welt...) ou italiens.

Les hackers produisaient de faux articles sur une page en tout point identique à celles du site officiel de ces médias, mais avec un nom de domaine différent, par exemple .ltd au lieu de .fr.

La copie est telle qu'un clic sur les liens hypertexte qu'elle contient renvoie aux articles du vrai journal. La pratique est baptisée "typosquattage".

Ces faux articles sont ensuite diffusés via les réseaux sociaux en essayant de pousser leur viralité, qui semble faible pour l'instant.

"Le Monde ne peut que condamner ces agissements intolérables et se féliciter que les auteurs de ces tentatives de manipulation soient désormais identifiés", a commenté sur le site du journal son directeur Jérôme Fenoglio.

"On a trouvé des dizaines de noms de domaines achetés par les Russes pour faire du typosquattage. On n'a pas affaire à des gens qui agissent à dose homéopathique. Ils sont au début d'un processus d'industrialisation", explique à l'AFP la source sécuritaire.

La structure initiale de l'opération est baptisée RRN, du nom du site pro-russe RRN.world (Reliable Recent News) créé quelques mois après le début de la guerre en Ukraine et qui a partagé de nombreuses intox, notamment sur une soi-disant mise en scène du massacre de Boutcha.

Outre le typosquattage, l'opération se traduit par d'autres actions d'influence comme la production de dessins animés anti-Zelensky ou de narratifs pro-russes et de désinformation via certains sites dits de "réinformation".

"Il n'y a pas de doute que l'objectif était de mener une campagne de désinformation d'ampleur contre l'opinion française", selon la source gouvernementale.

Cette opération s'inscrit dans une pratique déjà ancienne d'actions d'influences russes.

Malo Pinatel, avec AFP
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