Mort de Nahel, une affaire à dimension politique
Au cours des derniers jours, la France a été secouée par des événements d'une gravité sans précédent, plongeant le pays dans un état de choc profond. Les émeutes survenues à la suite du décès de l'adolescent Nahel, âgé de 17 ans et accusé de multiples délits, ont laissé une empreinte indélébile sur le paysage social et politique.

Les événements de juin 2023 ne manqueront pas d'être comparées à ceux de 2005, qui avaient profondément marqué aussi la politique française. Les troubles de 2005 avaient engendré des dégradations similaires, bien que sur une durée plus longue. Ils avaient débuté sous la présidence de Jacques Chirac et avaient duré exactement 20 jours.

À l'époque, le déclencheur avait été le décès de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés après s'être réfugiés dans un poste électrique pour échapper à un contrôle de police en banlieue. Cet épisode avait été précédé des déclarations fermes du ministre de l'Intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy, qui promettait de «nettoyer» les banlieues en se débarrassant des «racailles».

Selon l'analyse de Pierre Mathiot, dans une interview accordée à l’Écho, «cette période de 2005 a marqué le début de la stratégie électorale de Nicolas Sarkozy en vue de l'élection présidentielle de 2007, durant laquelle il a réussi à séduire une partie de l'électorat de Jean-Marie Le Pen au premier tour». «Toutefois, il s'agissait d'un bénéfice politique à court terme qui n'a pas pu être maintenu lors des élections de 2012 et qui reste aujourd'hui un point faible pour son parti, Les Républicains (LR)», observe le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite.

La mort du jeune Nahel soulève plusieurs questions qui devraient être repensées par les responsables gouvernementaux, dont a priori celles de l’immigration. Cette affirmation trouve un appui solide dans un récent sondage réalisé par l'institut Elabe pour BFMTV, révélant que 63% des Français jugent la politique migratoire du président Macron trop « laxiste ». Depuis 2017, de nombreux observateurs constatent un changement d'opinion de l'électorat de droite, qui se tourne de plus en plus vers les positions de l'extrême droite lepéniste, celle-ci s'efforçant de se dédiaboliser afin de se présenter comme une alternative crédible et viable aux figures issues des partis traditionnels.

Les émeutes de ces derniers jours, déclenchées par le décès d'un adolescent d'origine algérienne ayant des antécédents judiciaires (conduite sans permis, refus d’obtempérer, excès de vitesse ou encore trafic de stupéfiants), soulèvent une préoccupation grandissante quant à leur impact sur l'opinion publique de droite. En effet, ces événements pourraient renforcer le soutien aux positions fermes de l'extrême droite, qui condamne fermement les atteintes aux biens publics et privés.

Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, Marine Le Pen a cherché à se placer en position de force, dénonçant l'inaction gouvernementale et appelant l'exécutif à décréter l'état d'urgence afin de rétablir l'ordre, décision que le président Macron ne prit pas la peine de prendre. Une telle décision était à la fois essentielle et largement attendue, tant par la population française, victime des dommages causés par les émeutes, que par les forces de l'ordre débordées.


Sans compter que ces évènements remettent en question les capacités des forces de l'ordre et soulèvent des interrogations quant à leur véritable autorité dans le maintien de l'ordre public. D’ailleurs, selon un deuxième sondage réalisé par l’institut Elabe pour BFMTV, plus de 9 Français sur 10 condamneraient les violences commises contre les policiers dans le cadre des émeutes qui ont éclaté, une cause que ne cesse de défendre la droite extrême incarnée notamment par Marine Le Pen, favorable dans les sondages.

Parallèlement, dans la configuration politique actuelle, les partis de gauche se trouvent confrontés à des difficultés pour trouver leur positionnement. Alors que certains, en particulier le Parti socialiste, peinent à se faire entendre en raison d'un manque de leadership et d'influence politique, la gauche radicale représentée par La France insoumise (LFI) adopte une posture délicate à maintenir.

Jean-Luc Mélenchon, à la fois dirigeant de LFI et figure majeure de la coalition des gauches (Nupes), fait l'objet de critiques de toutes parts pour n'avoir pas condamné de manière inconditionnelle les violences et les pillages. En effet, il a refusé de faire appel au calme, considérant les scènes d'émeutes comme une manifestation de «pauvres qui s’insurgent». La gauche, déjà divisée et fracturée, se retrouve dans une position encore plus délicate, car les dirigeants des partis hésitent à s'en prendre à M. Mélenchon de peur d'être accusés d'avoir fait démanteler la Nupes. Ce facteur se présente comme un nouvel échec pour les partis progressistes, après des mois de contestation sociale pacifique contre la réforme des retraites, dont ils n'ont pas su tirer profit.

Dernier fait notable : depuis l’incident, deux appels aux dons ont été lancés sur les réseaux sociaux. Le premier, visant à soutenir la famille du jeune homme franco-algérien, a dépassé le seuil des 200,000 euros en moins de 24 heures. Le second, initié par le polémiste d'extrême droite Jean Messiha en soutien à la famille du policier responsable du tir mortel, a dépassé le million d'euros (atteignant 1,5 million) dans le même laps de temps, révélant la polarisation de l’opinion publique française.

Près de 3243 interpellations, 5000 véhicules incendiés, 1000 bâtiments dégradés et 700 policiers blessés plus tard, la situation semble être retournée à la normale. Tous les regards sont alors rivés sur les conséquences politiques de tels évènements. Une réalité s'impose : le paysage politique actuel diffère grandement de celui de 2005, alors que le principal parti d'extrême droite, le Rassemblement National, a considérablement évolué vers une démarche de normalisation.

Désormais deuxième force politique à l'Assemblée nationale, il a transmis le discours ouvertement raciste, xénophobe et identitaire qu’incarnait son fondateur Jean-Marie Le Pen à Éric Zemmour, porte-étendard de la « Reconquête ». C'est dans cette situation que plusieurs analystes entrevoient les premières conséquences politiques de cette semaine de violences : cela pourrait augmenter les chances d'Éric Zemmour de renforcer la représentation de son parti lors des élections européennes de l'année prochaine, ainsi que les chances du Rassemblement National de représenter la plus grande délégation française au Parlement européen.

En attendant, tout scénario demeure possible pour les élections présidentielles de 2027, Marine Le Pen restant au stade actuel favorite dans les sondages...
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