L’éditorial – Une République par intérim

Dans exactement deux semaines, le 1ᵉʳ août prochain, la Banque du Liban passera sous le régime de l’expédition des affaires courantes… À l’ombre d’un gouvernement lui aussi contraint d’expédier les affaires courantes… Et d’un Parlement réduit à la pratique très libanaise de «la législation de la nécessité»… L’intérim dans les plus hautes sphères de la République a en outre déjà atteint le poste très sensible de directeur de la Sûreté générale, et il risque – si le blocage se poursuit de la sorte – d’englober à la fin de l’année le poste encore plus sensible de commandant en chef de l’armée.  
À la base de tout ce dysfonctionnement qui s’étend pernicieusement comme un cancer: l’absence d’un chef de l’État. Comme c’est en temps de crise aigüe que l’on réalise l’importance des choses qui viennent à manquer, jamais ce titre de «chef de l’État» n’aura revêtu toute sa dimension constitutionnelle et macro-politique autant que dans le contexte présent… Malgré tout ce qui se dit sur la marginalisation de la fonction du président de la République. Cela explique l’acharnement de ce que l’on qualifie aujourd’hui d’«axe obstructionniste» – l’axe du Mal, plutôt – à vouloir tenter de vider, dans la pratique, la fonction de chef de l’État de sa substance, ou à banaliser l’absence de président de la République.
Les tentatives de sape de la Magistrature suprême avaient commencé sous l’impulsion du régime syrien, à l’époque du père Assad, avec les prorogations, totalement injustifiées et imposées sans consulter personne, des mandats d’Elias Hraoui et d’Emile Lahoud. Le Hezbollah prendra ensuite la relève en banalisant, là aussi sans justification avouable, le non-respect de l’échéance constitutionnelle portant sur l’élection du président de la République, le but étant d’essayer aussi de vider, encore et encore, la fonction de chef de l’État de sa substance, mais aussi de faire vaciller l’ensemble du système politique en place.
Ce torpillage répétitif de l’échéance présidentielle ainsi que le vide sciemment créé au niveau des hautes fonctions étatiques s’inscrivent manifestement dans le prolongement de la stratégie de déconstruction mise en place patiemment, de façon orchestrée, par le parti chiite. En sa qualité de fidèle serviteur du wali el-faqih et des «gardiens de la Révolution islamique», la formation pro-iranienne prend ainsi depuis pratiquement 2005 le pays en otage dans un double objectif: d’une part, imposer son tempo sur la scène locale, dans l’espoir de contraindre les composantes sociocommunautaires du pays à se soumettre à sa vision du système politique et de la place du Liban dans la région; et, d’autre part, assurer aux mollahs de Téhéran le contrôle de la carte libanaise pour la marchander dans un éventuel package deal qui serait conclu avec l’Occident et/ou les pays du Golfe.

Face à cette stratégie obstructionniste liée, par le biais du Hezbollah, au bon vouloir du Guide suprême de la Révolution islamique, il apparaît sans l’ombre d’un doute que la clé en vue d’un déblocage au Liban se trouve en Iran et non pas entre les mains du parti chiite. De ce fait, les pays amis du Liban, en l’occurrence le groupe des Cinq qui se sont réunis lundi à Doha pour plancher sur une sortie de crise, doivent faire au régime iranien une «proposition qu’il ne pourrait refuser», pour reprendre l’expression du film «Le Parrain» – toute analogie étant fortuite.
L’objectif à atteindre dans ce contexte devrait être de convaincre, ou plutôt de contraindre, le pouvoir iranien à intervenir auprès de son suppôt libanais afin qu’il mette un terme à sa stratégie de déconstruction et qu’il tisse des rapports équilibrés et bien compris avec ses partenaires locaux. Objectif, certes, particulièrement ambitieux – chimérique, diront certains – mais incontournable si l’on désire réellement sortir le pays du Cèdre de l’abîme.       
 
 
 
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