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Le renouveau a toujours été d’abord un retour aux sources.
Romain Gary
Retour à Beyrouth au terme de longues années. Trop longues années d’absence.
L’on revient à Beyrouth comme l’on revient sur ses lieux oniriques.
Et c’est comme si le Temps s’était suspendu aux haleines du Rocher immuable de Raouché.
Un saut vertigineux depuis les sommets de ce Rocher, que ce retour à Beyrouth.
Une route tracée d’avance.
D’emblée, la voix de Beyrouth me saisit. Mélange de klaxons et de bruit de moteurs pétaradants où s’en vient se greffer un heureux babil, inédit mélange d’anglais, de libanais et de français.
L’oreille sursaute, re-connait ce langage unique au monde, épouse le galbe des intonations, le roulement des «R» en français, les «yaani» qui ponctuent chaque phrase, impulsant un rythme mélodieux entêtant.
Voix de Beyrouth. Je te re-connais.
T’ai-je vraiment oubliée?
Non.
Toutes ces années, j’ai agi en automate, faisant comme si, me prêtant à l’illusoire jeu qui consiste à faire la sourde oreille. À assourdir la voix de Beyrouth. À l’étouffer sous d’autres voix. Question de survie. Refoulement nécessaire pour ne pas hurler le manque de Beyrouth.
Car Beyrouth est un manque féroce capable de vous dévorer tant ses appétits sont insatiables.
Beyrouth. Le temps est passé…
Il fuit, le temps, et sans retour, disait Virgile.
Et pourtant, re-tour à Beyrouth en dépit du temps qui a fui.
Place de l’Étoile.
En son habit de pierre jaunâtre, l’Horloge me nargue, moi, rare visiteur arpentant les rues vides ornées de part et d’autre de rideaux de boutiques baissés.
Et c’est comme si le rideau s’était baissé sur la ville, emprisonnant les tentacules de la mémoire.
Les aiguilles semblent figées sur midi, un midi gorgé de soleil et qui s’en vient boire un ciel bleu indigo.
Me viennent à l’esprit ces mots d’Amine Maalouf: À l’opposé des arbres, les routes n’émergent pas du sol au hasard des semences. Comme nous, elles ont une origine.
Retour aux origines de mes routes.
Beyrouth, route de mes déroutes, me déroute à nouveau. Comme par le passé. Comme toujours.
J’ai connu naguère ce lieu communément qualifié de «ville fantôme» pour ses bâtisses détruites par des années de conflits; pour ses vitrines éventrées par des impacts d’obus.
J’ai connu naguère ce lieu reconstruit, qualifié de «Downtown» pour ses bâtisses rutilantes, ses cafés grouillant de vie, ses boutiques de luxe. Un pied de nez aux sinistres années de guerre. Une victoire sur le Temps.
Retour à Beyrouth.
Mes yeux emplis de larmes fixent la tour abritant l’Horloge.
Place de l’Étoile, c’est une «ville fantôme» autre qui s’offre à moi.
Ne suis-je pas moi-même un fantôme égaré dans les limbes du passé?
Un soldat de l’armée libanaise se rapproche de moi, me demande d’une voix emplie de sollicitude, si tout va bien.
Je me contente de bouger la tête, en signe de négation.
Les mots ne viennent pas.
Les fantômes ne parlent pas.
Je quitte les lieux sans un regard en arrière.
Il est des retours qu’aucun mot ne saurait dire.
Comme le dit Gibran Khalil Gibran, il y a un moment où les mots s’usent. Et le silence commence à raconter.
Un jour, je m’en fais le serment, je dirai Beyrouth.
Et, de mot en mot, de souffle en souffle, de page en page, naitra un silence. Qui racontera.
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