«#MeToo», vocifère la Constitution de Taëf!

Notre résilience nationale appelle au lancement d’un mouvement sur le modèle de celui de «#MeToo», un mouvement qui encouragerait la prise de parole aussitôt que notre Constitution est violée, qui dénoncerait la profanation de la Loi fondamentale et qui désignerait les coupables. Et c’est d’autant plus urgent que notre Magna Carta est systématiquement malmenée, voire piétinée, depuis trente ans, par ceux qui ont l’obligation de la préserver. Les «agressions dont elle est l’objet étant plus courantes que ce qu’on est supposé croire», il est indispensable de donner à nos concitoyens la possibilité de s’exprimer sur le sujet, à charge pour eux de briser les chaînes de l’omerta.
Aux États-Unis, l’affaire Weinstein a déclenché en 2017 un courant d’opinion défiant la loi du silence en cas d’agression sexuelle. Et au Liban, n’y aurait-il donc pas une affaire précise de «viol» de la Constitution qui cristalliserait autour d’elle tous les éléments d’un scandale institutionnel? Alors au choix, serait-ce la prorogation indue du mandat présidentiel d’Élias Hraoui ou de celui d’Émile Lahoud? À moins de préférer l’épisode incongru de l’approbation «pour une seule fois et à titre exceptionnel» des lois éléctorales scélérates taillées à l’avantage de certains affidés du régime syrien! Cela dit, notre choix se serait à l’évidence porté sur des affaires de taille: nous n’allions pas nous attarder sur les petits viols! Mais n’y a-t-il eu que de petits viols quand Ghazi Kanaan foulait aux pieds notre Charte fondamentale? Et n’y a-t-il eu que des fautes vénielles quand les prédateurs et les larrons en foire ne pouvaient qu’appartenir au camp de la moumanaa? (1)
Larrons en foire et autres parjures
Si la Constitution est la règle la plus élevée de l’ordre juridique, c’est bien parce qu’elle établit nos droits fondamentaux, d’une part, et que, d’autre part, elle définit les institutions étatiques et organise leurs relations.
Mais, comme dirait l’autre, les règles sont faites pour être transgressées; alors on ne compte plus combien de fois on a contrevenu à l’esprit de Taëf depuis l’adoption des révisions constitutionnelles majeures. Quand on pense que ces dernières étaient censées instaurer l’équité entre entités confessionnelles et apporter l’apaisement après les années de turbulence civile et d’horreurs aveugles et sanglantes!
Le régime syrien et ses séides avaient fait de la Constitution «leur chose», une chose malléable à merci. Et évidemment nos chefs d’État successifs, qui en vertu d’un serment solennel s’étaient faits les «garants» de la Loi fondamentale, se sont révélés parjures. Mais qu’avions-nous à espérer de récipiendaires qui devaient passer un test d’aptitude auprès des maîtres de l’heure pour pouvoir remporter le siège de président de la République?
Un #MeToo ou #Balancetonporc.
Pour ce qui est du cadre normatif
Cependant, pour un constitutionnaliste, une violation peut se qualifier par un sens fort comme par un sens atténué (2). Dans ce dernier cas, il s’agit de l’inobservation d’une règle et de la méconnaissance d’une obligation légale ou conventionnelle, la «violation étant alors assimilée à un manquement et son contraire étant le respect et l’application de la règle». En revanche, le fait pour les législateurs de se retirer physiquement de l’hémicycle, dans l’idée de torpiller le quorum, relève d’une violation au sens le plus fort. Et un tel blocage du processus institutionnel constitue une «atteinte caractérisée à une règle fondamentale». C’est un acte illicite qui entrave le cours naturel de la démocratie dans un État de droit; un acte qui constitue une fraude à l’esprit des lois, une interruption du processus constitutionnel qui confine à l’insurrection! Et c’est d’autant plus grave que la violation émane d’une partie des législateurs, alors que c’est bien «de la Constitution que ces législateurs tiennent leur pouvoir et qu’ils ne peuvent se l’autoriser sans saper le fondement même de leur autorité». (3)
Le brigandage d’Éphèse pour rappel

 Notre histoire ecclésiastique n’a pas omis de nous rappeler le deuxième Concile d’Éphèse où, en l’an de grâce 449, passions, rivalités politiques et rancunes personnelles l’emportèrent sur les préoccupations théologiques. Cent quarante prélats, ceux-là même qui se devaient de garder le dogme, allaient commettre le «brigandage» le plus illustre des annales religieuses.
Ce fut un tel précédent que notre Assemblée nationale allait, faut-il le croire, s’en inspirer à partir de 1992, date fatidique qui vit l’accession de M. Nabih Berri au perchoir. En 2007, l’indéboulonnable président, sous de faux prétextes et au mépris des textes constitutionnels, avait fermé le Parlement, siège de la volonté populaire, de la même manière qu’un épicier aurait fermé sa boutique pour rupture de stock. D’autres scandales allaient ponctuer sa longue carrière. Le dernier en date de ces tours de passe-passe fut la tenue de séances législatives alors que la Chambre était supposée se prononcer en priorité sur l’élection d’un nouveau président de la République. Prestidigitation ou escamotage, l’illustre Houdini ou David Copperfield, prince de l’illusion, n’auraient pas fait mieux!
David Copperfield avait escamoté la statue de la Liberté.
D’où l’urgence d’un hashtag #MeToo ou d’un autre #balancetonporc (4) qui demanderait des comptes!
y[email protected]
1- Ariane Vidal-Naquet, «F. Savonitto, Les discours constitutionnels sur la violation de la Constitution sous la Ve République», in Jus Politicum, n°16.
2- Lauréline Fontaine, «La violation de la Constitution : autopsie d’un crime qui n’a jamais été commis», in Revue du Droit Public (RDP), 2014, n°6, pp. 1617-1638.
3- Emer de Vattel, Le Droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des nations et souverains, Paris, 1758, p. 121, cité in Lauréline Fontaine,  op.cit. , pp. 1617-1618.
4- Équivalent français du #MeToo, pour dénoncer les agressions sexistes. 
 
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