Dolce Affetto: Une communion musicale émaillée de contrastes
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Au cœur des tumultes secouant le Liban, la musique classique tente, contre vents et marrées, de conserver son éclat. C'est dans ce contexte qu'a retenti, le 7 août, au Musée national de Beyrouth, un concert intitulé «Dolce Affetto», organisé par le Club social Bacchus, mettant en scène la soprano Marie-Josée Matar et le baryton-basse Bruno Khouri, accompagnées au piano par le pianiste Élie Sawma. Malgré les défis et la chaleur étouffante, une symbiose, toutefois contrastée, entre passé et présent a pris forme.
Au sein des tourmentes qui secouent le pays du Cèdre et des écueils qui accablent la scène artistique locale, la musique classique s’efforce inlassablement de préserver son éclat, voire même sa place d’antan au Liban. Un défi qui s’annonce de plus en plus ardu. Dans l’enceinte du Musée national de Beyrouth, où chaque pierre est imbibée du souffle silencieux des siècles révolus, s’épanouit une communion entre ce passé immuable et le présent évanescent. Pour concrétiser cette symbiose à travers l’art d’Apollon, le Club social Bacchus a organisé, le 7 août, un concert de musique lyrique, intitulé «Dolce Affetto», dans la nef dudit musée. Nonobstant la perspicacité inhérente à cette initiative, la qualité de ce récital s’est révélée singulièrement hétérogène, oscillant entre des moments empreints de pure poésie et d’autres teintés d’un désarroi manifeste. Les aigus cristallins de la soprano, Marie-Josée Matar, le timbre profond du baryton-basse, Bruno Khouri, et la narration d’Isabelle Zighondi, ont ainsi empli les recoins du musée, éveillant les sculptures gisantes et insufflant une âme nouvelle aux vestiges du passé. La chaleur étouffante de cette nuit estivale, rendue plus difficile par l’absence malheureuse de climatisation, a métamorphosé la performance du pianiste, Élie Sawma (littéralement trempé de sueur de la tête aux pieds), en une épreuve herculéenne.

Maturité vocale


Durant toute la soirée, l'érudition technique brillamment exposée par Marie-Josée Matar, conjuguée à une maîtrise louable de la partition, suscite un sentiment d’admiration au sein de l’auditoire. Si ses prestations constituent incontestablement la clé de voûte de la réussite de ce concert, il faut toutefois relever qu’un mélomane attentif pourrait par moments ressentir une certaine réserve à l’égard des variations de timbre discernables dans sa voix. Ces fluctuations, spécialement dans les registres les plus aigus, gagneraient assurément à être tempérées. En effet, bien que sa voix soit dotée d’une agilité technique de bon aloi, elle pèche lors des passages aigus nécessitant une diction rapide, manquant manifestement de flexibilité, de précision, de dynamisme et de fluidité constante, particulièrement dans des morceaux comme Je veux vivre et Trahir Vincent de Charles Gounod (1818-1893), qui conviendraient davantage à une soprano colorature qu’à une soprano lyrique-léger. Néanmoins, parfaitement à l’aise dans l’ensemble de sa tessiture, Marie-Josée Matar manie sa voix aux multiples harmoniques avec une habileté remarquable. Son vibrato, maîtrisé avec précision, même dans les passages en pianissimo, ajoute une touche d’élégance fine, particulièrement perceptible lors de certains passages du Caro nome de Giuseppe Verdi (1813-1901).
Il est indubitable que les compétences techniques et interprétatives de cette jeune chanteuse sont dignes d’une considération respectueuse. Les cinq dernières années témoignent, de manière éloquente, de l’évolution de sa maturité vocale, culminant dans des performances remarquables dans le domaine des répertoires sacré, classique et français. Cependant, ses prestations dans le bel canto et le romantisme passionné semblent être moins abouties. On appréciera, de ce fait, particulièrement, ses interprétations de la valse Les Chemins de l’amour de Francis Poulenc (1899-1963), O mio babbino caro de Giacomo Puccini (1858-1924), et Se a caso madama de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). La soprano interprète ces chefs-d’œuvre avec une finesse exemplaire, tout en préservant scrupuleusement l’intelligibilité des textes. Sa justesse irréprochable s’étend gracieusement aux ornementations, parmi lesquelles se distinguent les appoggiatures, les trilles et les portamenti, qu’elle parsème avec une délicatesse exquise à travers la partition puccinienne. Son timbre riche lui permet, par ailleurs, une transition appréciable entre le registre médium et l’aigu dans le duo de Mozart et offre aux nuances raffinées, requises dans la partition éclectique de Poulenc, une expression d’une subtilité rare.

Prestation perfectible


La prestation du baryton-basse, quant à elle, aura rendu les bémols interprétatifs de la soprano bien dérisoires, en comparaison avec sa prestation clairement perfectible. Bien que son timbre soit d’une beauté captivante, il n’est pas toujours d’une clarté optimale. Les lignes mélodiques pâtissent par moments d’un manque de fluidité, le legato étant souvent pris en défaut. S’il parvient à peaufiner son phrasé, notamment dans Come paride vezzoso de Gaetano Donizetti (1797-1848), il reste trop placide dans l’expression pour émouvoir, surtout dans ce style belcantiste qui requiert une attention active aux moindres détails. De surcroît, le baryton déploie une voix souvent engorgée (imputable à une maladie survenue quelques jours avant le concert, selon les organisateurs), ce qui entrave une adéquate projection sonore. Cette situation contraint fréquemment le chanteur à recourir à un usage excessif de son vibrato en vue de soutenir sa projection défaillante. Quelques moments de grâce, comme l’air Quand la flamme de l’amour de Georges Bizet (1838-1875) et le duo Lippen schweigen de Franz Lehár (1870-1948) ponctuent heureusement cette prestation quelque peu tiède, menée par un chanteur qui a encore du chemin à faire mais dont l’avenir semble prometteur.

Lien impétueux


Avec une gestuelle empreinte de discrétion, Élie Sawma se montre peu réceptif aux inflexions de ses partenaires. Son lien avec son Yamaha, instrument au registre aigu légèrement tranchant dans l’acoustique généreuse du musée, demeure également peu impétueux. La chaleur écrasante semble clairement affecter le pianiste accompagnateur dont le talent n’est toutefois pas à prouver. Le jeune musicien est néanmoins bien loin d’être complètement en retrait; il se révèle profondément investi à plusieurs moments-clés, notamment lors de l’interprétation de Chanson triste d’Henri Duparc (1848-1933), Quand la flamme de l’amour de Georges Bizet et Tristesse de Gabriel Fauré (1845-1924). Accordant une écoute attentive à l’ensemble de ces œuvres, Élie Sawma prend le temps de faire résonner l’harmonie présente dans les passages imprégnés de pure poésie. Sa dextérité et sa méticulosité technique, conjuguées à une expression à la fois épurée et chaleureuse, dépouillée de tout genre d’excès, s’entrelacent harmonieusement avec les voix des deux chanteurs. Hélas, ces moments de grâce se font rares au fil de cette soirée. Il est fort regrettable que la chaleur et le manque d’organisation (l’absence de climatisation surtout) aient privé le public d’un tel bonheur.
Néanmoins, il convient d’acclamer cette louable initiative dans son ensemble, tout en espérant que les futurs concerts viseront des sommets d’expression plus éthérés.
 
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