«L'apôtre ultime de la revanche» a-t-il encore frappé?
La mort de Evguéni Prigojine dans le crash de son Embraer Legacy 600 fait l'objet de tous les soupçons. Accident mécanique? Assassinat? Tir de missile? D'aucuns jugent que la série de morts suspectes impliquant des critiques de Poutine donnent du poids à la théorie selon laquelle la fin de l'ancien patron de Wagner a été décidée par le Kremlin. Pour le directeur de la CIA, William Burns, "Poutine est l'apôtre ultime de la revanche".



Quand Prigojine se vantait d'être victorieux aux portes de Bakhmout.

 

Quand un journaliste lui avait demandé dans un documentaire en 2018, s'il savait pardonner les erreurs de son entourage, Vladimir Poutine avait répondu : "Oui. Mais pas tout". La ligne rouge : "la trahison".

Lorsque son allié de longue date, Evguéni Prigojine, avait lancé sa brève mutinerie en juin, beaucoup pensaient donc que le patron des mercenaires de Wagner serait immédiatement emprisonné, porté disparu ou éliminé.

Mais le plus humiliant défi jamais lancé à Poutine en 24 ans de règne s'était soldé par un accord en vertu duquel Prigojine et ses combattants étaient autorisés à s'exiler au Bélarus voisin.

La réalité fut plus trouble. Prigojine avait en fait été discrètement reçu trois heures au Kremlin fin juin, puis invité au sommet Russie-Afrique à Saint-Petersbourg, en juillet. Il est mort mercredi dans un accident d'avion à 300 km de Moscou, qui fait l'objet de tous les soupçons.



"Poutine est quelqu'un qui pense que la vengeance est un plat qui se mange froid", avait déclaré le directeur de la CIA, Bill Burns, lors d'un forum sur la sécurité à Aspen le mois dernier. C'est même "l'apôtre ultime de la revanche".

Le président américain Joe Biden, qui a déclaré mercredi ne pas être surpris par la disparition de Prigojine, avait lui-même plaisanté en juillet, déclarant : à la place du chef de Wagner, "je ferais attention à ce que je mange".

Le crash mercredi suscite de nombreuses questions. Accident mécanique, mise en scène par Prigojine de sa disparition ? Assassinat ?

Prigojine comptait de nombreux ennemis, comme le chef de l’armée Valéri Guérassimov ou le ministre de la Défense Sergueï Choïgou, sans oublier l'Ukraine qui l'accusait de crimes de guerre.

Mais beaucoup d'observateurs jugent que la série de morts suspectes impliquant des critiques de Poutine donnent du poids à la théorie selon laquelle la fin de Prigojine a été scellée avec l'approbation du Kremlin.



La vidéo, devenue virale, de Prigojine traitant les chefs militaires russes de tous les noms, car ils refusaient de lui fournir plus de munitions...

 


"Poutine ne pardonne et n'oublie jamais", a déclaré Bill Browder, un homme d'affaires anglo-américain qui fut autrefois l'un des plus grands investisseurs étrangers en Russie avant de devenir un fervent critique du Kremlin après la mort de son juriste Sergueï Magnitski en prison.

"Prigojine a donné l'image d'un Poutine faible et pour Poutine, c'est impardonnable, a-t-il déclaré. "Poutine reste au pouvoir parce qu'il a réussi à soumettre tout le monde par la peur et l'asservissement".

Jeudi, la ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna a noté avec ironie "le taux de mortalité particulièrement élevé parmi les alliés de Poutine".

Les affaires qui ont forgé la réputation du dirigeant russe ont notamment concerné certains anciens collègues au sein des forces de sécurité.

Une enquête britannique avait conclu qu'il avait "probablement" ordonné le meurtre en 2006 de l'ancien officier du FSB Alexandre Litvinenko, empoisonné avec une substance radioactive alors qu'il buvait un thé dans le bar d'un hôtel de Londres.



En 2018, la Grande-Bretagne avait accusé la Russie d'avoir tenté de tuer Sergueï Skripal, un ancien officier du renseignement militaire russe établi en Angleterre.

S'y ajoutent les meurtres de critiques, dont celui de la journaliste Anna Politkovskaïa, toujours en 2006, ou d'un des principaux opposants, Boris Nemtsov, en 2015.

De nombreuses autres personnes sont mortes dans des circonstances mystérieuses, comme le magnat en exil Boris Berezovski, retrouvé pendu dans sa salle de bain en Angleterre en 2013.

En 2020, Alexeï Navalny, opposant numéro 1 au Kremlin, a été victime du novitchok, un agent innervant alors qu'il voyageait dans l'est de la Russie. Il n'a survécu qu'après avoir été transféré d'urgence en Allemagne. Revenu en Russie, il a été condamné à 19 ans de camp.



Dans cette infographie, quatre personnes ont été attaquées par des agents présumés russes: Navalny, Skripal, Litvinenko et l'ancien président ukrainien Iouchtchenko. La Bulgarie communiste, la Corée du Nord et Israël figurent parmi les auteurs de ces empoisonnements célèbres.

 

La répression s'est intensifiée depuis l'invasion de l'Ukraine l'an dernier, avec une vague de suicides présumés et de décès prématurés parmi d'éminents hommes d'affaires. Autant de cas suscitant des spéculations sur une purge visant des membres de l'élite moscovite sceptiques sur la guerre lancée contre l'Ukraine.

Parmi eux figure Ravil Maganov, président du groupe pétrolier Lukoil, tombé d'une fenêtre du sixième étage en septembre – un sort subi par plusieurs autres lanceurs d'alerte, exilés et détracteurs de Poutine.

"Poutine aime assassiner ses opposants en opposant officiellement un démenti plausible", constate Bill Browder. "Mais officieusement, il peut regarder tout le monde dans les yeux et leur dire: "c'est ce qui arrive aux traîtres".

Georges Haddad, avec AFP
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