Aux quelque 2.500.000 Syriens (selon des chiffres non officiels) installés au Liban depuis le début de la guerre en Syrie, en 2011, viennent s’ajouter aujourd’hui, et en grand nombre, ceux «économiques». Un phénomène qui inquiète et qui prend de l’ampleur depuis que le pays voisin s’enfonce dans une crise socio-économique inextricable.
Depuis août, les passages illégaux au niveau de la frontière libano-syrienne connaissent une activité intensive liée à un nouveau mouvement de migration vers le Liban. À la fin du mois d’août et en l’espace d’une semaine, l’armée libanaise a réussi à arrêter 1.100 Syriens qui ont tenté de traverser la frontière, en toute illégalité. Des hommes, des femmes et des adolescents qui espéraient profiter des mêmes prérogatives qu’accordent le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et des organisations non gouvernementales à ceux qui les ont précédés et qui avaient fui leur pays durant la guerre.
Au Liban, où la présence syrienne pèse et où la crise ne fait que s’aggraver depuis 2020, cette nouvelle vague migratoire clandestine risque, selon certains observateurs, d’engendrer des incidents sécuritaires et une montée des tensions sur le territoire libanais.
Dans la province de Soueida, dans le sud de la Syrie, les conditions de vie sont vivement contestées par ses habitants, majoritairement druzes. Enfoncée dans la précarité, la population syrienne, dont les salaires ne suffisent plus pour pourvoir aux besoins les plus élémentaires, se révolte contre la levée des subventions sur les carburants, alors que la livre syrienne poursuit sa dégringolade, depuis le déclenchement du conflit en 2011. Le pain, l’essence et le riz sont vendus au compte-gouttes, suivant un rationnement draconien, et de nombreux villages sont, depuis des mois, sans eau et sans électricité – une situation qui deviendra intenable en hiver, avec l’arrivée du froid.
Fuyant la misère, ils sont ainsi nombreux à verser la somme de 100 dollars à des passeurs chargés d'organiser les entrées illégales au Liban et la contrebande de produits, à travers des frontières passoires, en l’absence d’une décision politique libanaise de contrôler sérieusement ces frontières.
Les nouveaux «déplacés économiques syriens ne sont pas originaires de Soueida», déclarent l’ancien ministre de l’Intérieur Marwan Charbel et le chef du Mouvement de la Terre, Talal Doueihy, interrogés par Ici Beyrouth.
«Ils viennent surtout du nord et du centre de la Syrie», où les conditions de vie sont lamentables, poursuivent-ils. Ils estiment cependant que les nouveaux-venus «peineront à recevoir les aides financières espérées et à trouver du travail sur le marché libanais, ne bénéficiant pas du statut de réfugiés tel que défini par le HCR.»
D’après eux, ceux qui ont récemment réussi à s’introduire au Liban, à travers les points de passage illicites au Liban-Nord et dans la Bekaa, et à s’installer dans les camps, ne sont pas inscrits auprès du HCR. «Ils n’ont donc aucun droit à réclamer auprès de cette instance onusienne. Ils ne réussiront pas non plus à trouver tous du travail, les Libanais se montrant de plus en plus réticents à recruter des Syriens», précisent MM. Charbel et Doueihy.
À moins qu’ils ne se fassent aider pour monter leurs propres petits commerces, ce qui accentuera la concurrence déloyale et favorisera les frictions entre les déplacés et les communautés hôtes qui ne cachent plus leur exaspération face à la déferlante syrienne et à l’absence de toute organisation de la présence des déplacés.
Reste à voir comment le HCR et les ONG qui s’occupent du dossier des déplacés syriens comptent réagir face à ce nouveau phénomène.
Quoi qu’il en soit, «face à de tels ‘obstacles’, ils (les déplacés) n’auront d’autre choix que de s’insurger, provoquant éventuellement des incidents sécuritaires au Liban», craint l’ancien ministre de l’Intérieur.
M. Charbel insiste sur «l’importance d’élire un président de la République et de former un nouveau gouvernement afin de relancer le processus de retour des déplacés syriens dans leur pays». Un retour d’autant plus important que la communauté internationale et les associations de défense des droits de l’homme s’y opposent, estimant que la situation en Syrie n'est pas propice à un retour des réfugiés.
L’ancien ministre s'est ensuite interrogé sur les raisons pour lesquelles le HCR et les ONG continuent de verser des aides aux Syriens au Liban, alors qu’ils peuvent continuer de le faire, au cas où ces derniers rentreraient chez eux, dans les régions devenues sûres. Pour lui, ces raisons sont éminemment politiques. «Nous savons que pour mettre fin à la guerre en Syrie et permettre le retour des Syriens ayant trouvé refuge dans les pays limitrophes tels que la Turquie, la Jordanie ou le Liban dans leur pays, la communauté internationale 'exige' la rédaction d’une Constitution pour l’après-guerre en Syrie qui ouvrirait la voie à de nouvelles élections», explqique M. Charbel. Or, d’après lui, «cela s’avère quasi impossible pour le moment».
Entre les cellules de passeurs terrestres et maritimes, les moukhtars qui «vendent» la nationalité libanaise pour quelques trois millions de livres libanaises en octroyant des actes de naissance falsifiés à des enfants syriens, les familles libanaises les plus démunies qui acceptent d’«adopter» ces enfants contre une certaine somme d’argent, l’on se demande si le fait d’«humaniser» la crise des réfugiés (comme le requiert la communauté internationale) connaît des limites…
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