Devant la petite gare en basalte noir d'Akyaka, en Turquie, dernier arrêt avant l'Arménie, les rails sont abandonnés aux oiseaux et aux chiens errants depuis près de 30 ans.
Depuis cette rupture, le trafic est suspendu et toute la région comme assoupie, avec une hémorragie de sa population.
Akyaka est devenue "la gare de la nostalgie" pour ses habitants. Tout le contraire de la fébrilité qui l'habitait avant, quand les convois s'y croisaient dans les deux sens.
"En 91, les gens se sont rués de part et d'autre de la frontière pour se retrouver. Pendant deux ans, c'était l'effervescence", se souvient Vedat Akçayoz, historien local et spécialiste des minorités.
Aujourd'hui, puisque le conflit du Karabakh est réglé grâce à l'accord signé sous les auspices de Moscou, après une résurgence du conflit en novembre 2020, "le dernier obstacle" a été levé, estime-t-il.
"Le gouvernement est pour la réouverture et je crois que l'Arménie aussi", renchérit M. Yildirim. "Les habitants ici suivent ce qui se passe avec sérénité. Nous, on a aucun problème avec les Arméniens, ni eux avec nous", assure ce quadragénaire.
Après la désignation des émissaires - Serdar Kiliç pour la Turquie et Rouben Roubinyan pour l'Arménie -, Erevan a annoncé fin décembre la levée de l'embargo commercial sur les produits turcs décrété en 2020, lors de la dernière guerre du Karabakh.
Fourrures et samovars
"On faisait de bonnes affaires avec les Arméniens", se souvient Husseyin Kanik dans son échoppe à Kars (la capitale régionale à 50 km d'Akyaka), posant devant l'armoire réfrigérée où s'empilent ses fromages, la spécialité de Kars.
"Certains parlaient très bien turc, sans accent" reprend M. Kanik. Même du temps de l'URSS, "ils arrivaient avec des fourrures et des samovars et repartaient avec nos produits... On va revenir aux jours anciens", se réjouit-il.
Devant son hôtel, l'ancienne demeure de riches Russes, bâtie en 1896, Gaffar Demir aussi fait le pari de la paix. "Alors qu'on a une route, une voie ferrée, on n'a aucune relation avec les Arméniens!" s'insurge-t-il en espérant l'afflux prochain de touristes arméniens.
La présence du consulat d'Azerbaïdjan et d'un hôtel "Karabag" à proximité n'est pas un sujet.
"Pour tous, il est plus que temps que les gens vivent en paix", insiste Vedat Akçayoz en rappelant la dimension multiculturelle de la région, où se côtoient Turcs, Arméniens, Géorgiens, Azéris, Kurdes et de nombreuses minorités.
1915
Personne n'évoque le point noir des relations turco-arméniennes, le génocide de plus d'un million de civils arméniens en 1915 qu'Ankara refuse de reconnaitre, évoquant des "massacres des deux côtés". Un monument édifié sur la route entre Kars et Akyaka ne salue que la mémoire des "victimes turques".
Mais le gouvernement arménien a de lui-même proposé de laisser "1915" de côté dans les discussions qui s'amorcent.
"Pendant la guerre froide, nous avons été élevés dans l'hostilité envers les Arméniens: pour les gens de Kars, 'Arméniens' était une insulte", rapporte l'ancien maire de la ville, Naif Alibeyoglu, très engagé pendant son mandat en faveur d'un rapprochement avec l'Arménie au milieu des années 2000.
"Il peut y avoir des éléments fanatiques, mais il n'y a aucune animosité entre les peuples" assure-t-il, se disant "très enthousiaste pour le processus de normalisation en cours".
"On se ressemble tellement, on rit et on pleure des mêmes choses. Nous avons vécu ensemble durant mille ans ici", appuie son frère, Alican Alibeyoglu, fondateur de la chaine de télé locale Serhat TV, impatient d'envoyer ses reporters "en Arménie.
"La feuille de route est tracée, je suis sûr que la date de la réouverture de la frontière est déjà fixée".
A quelques encablures, les soldats turcs patrouillent paisiblement sur la ligne de crête, face aux postes arméniens - et à une base russe. Les drapeaux se font face au-dessus de la faille qui marque la frontière. Et le réseau arménien s'affiche sur les portables turcs.
AFP
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