4 août: sans l'accord du Liban, le CDH peut-il enquêter?

 
Quelles seraient les suites des propos du haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, qui avait annoncé lundi qu’«il est peut-être temps d’envisager une mission d’établissement des faits», en rapport avec l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth?
Dans le meilleur des scénarios – du moins c’est ce que l’on peut espérer pour le moment – cette mission serait créée, ce qui ferait bouger l’enquête, bloquée depuis janvier 2023.
Dans son discours à l’ouverture de la 54e session du Conseil des droits de l’homme (CDH), lundi, M. Türk avait déploré qu’«aucune responsabilité n’a été établie» jusqu’ici dans cette affaire et qu’«il est temps d’envisager une mission d’établissement des faits internationale pour examiner les violations des droits [de la personne] liées à cette tragédie».
Dans le pire des scénarios, lequel, aux yeux de bon nombre de juristes interrogés par Ici Beyrouth, serait le plus probable, l’État libanais entraverait son travail, au cas où elle verrait le jour, dans une tentative de dissimuler la vérité sur l’explosion meurtrière de plusieurs centaines de tonnes de nitrate d’ammonium entreposées sans précaution dans le hangar n°12 au port. L’accord du gouvernement libanais reste, en effet, une condition incontournable pour que la mission d'établissement des faits puisse mener à bien sa mission.
Pour l'heure, les véritables motifs qui ont poussé le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, à se déclarer favorable à la création de cette mission demeurent inconnus.
Ce qui est certain, selon une source proche du dossier, «c’est qu’il ne s’agit pas d’une réaction à la pétition signée par une majorité de députés du Parlement libanais en faveur de la mise en place d’une telle mission». Ses motivations seraient ailleurs et pourraient être liées à la déclaration commune en vertu de laquelle une trentaine d’États, dont la France et l’Australie, s’étaient dits favorables à une telle initiative, lors la 52ᵉ session du CDH en mars dernier.
Paul Naggear, père de la petite Alexandra tuée dans la déflagration meurtrière qui a pulvérisé plusieurs quartiers de la capitale libanaise, le pense. «Ce dont nous pouvons être fiers, c’est que les opérations de lobbying menées par le collectif du 4 août, sont en train d’aboutir», se réjouit-il, avant d’ajouter: «Notre prochaine démarche consiste à pousser les États-membres à adopter une résolution dans ce sens».

Rappelons qu'en janvier 2021, le Collectif du 4 août, qui travaille en étroite collaboration avec des organisations non gouvernementales comme Legal Action Worldwide, Human Rights Watch et Amnesty International, a entamé une campagne de lobbying pour pousser à la création d’une mission d’établissement des faits qui n’engage pas des frais supplémentaires pour l’État libanais.
La déclaration de M. Türk constituerait-elle une base solide pour l’adoption d’une résolution à cet effet? Il faut dire que les modalités d’exécution de cette déclaration sont telles que pour qu’il soit procédé à la création de cette mission, un vote à la majorité simple (24 pays) est requis.
Mission (im)possible?
Une mission d’établissement des faits peut être créée, mais pas imposée à l’État sur le territoire duquel elle entend opérer. En d’autres termes, l’accord du gouvernement libanais reste une condition incontournable. Assentiment qu’il sera difficile d’obtenir, étant donné l’absence de volonté — politique – des autorités du pays de faire la lumière sur cette affaire.
Même si le lien entre la compétence d’enquêter et la responsabilité principale du CDH de traiter, entre autres, les situations de violation des droits de l'homme et de formuler des recommandations à leur sujet rend de telles missions obligatoires, le consentement de l’État où elles sont envoyées est impératif. Dans le cas contraire, une mission d’établissement des faits aura du mal à mener à bien une investigation.
Au lendemain de l’explosion du 4 août, l'ancien président de la République libanaise, Michel Aoun, avait exprimé son opposition à une enquête internationale. Il avait considéré que «le but visé à travers cette demande était de dissimuler la vérité», estimant que «la justice tardive n’est pas une justice équitable et que celle-ci doit être immédiate, mais obtenue sans précipitation».
Or, il s'est avéré avec le temps que la justice locale est inéquitable, lente et entachée de vices parce que rongée par les multiples ingérences politiques qui ont entraîné la suspension de l'enquête menée par le juge d'instruction Tarek Bitar.
 
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