Alors que la nouvelle vague pandémique du Covid-19 alimentée par le variant Omicron ravage la planète, la vaccination demeure la seule arme actuelle dont dispose l’humanité pour y faire face. Des voix se sont élevées contre cette pratique ainsi que le pass sanitaire, évoquant une "atteinte aux libertés". Or durant la gestion des crises sanitaires, les choix personnels n’ont aucune autorité face au pouvoir coercitif de l’État. La vaccination relève alors du devoir citoyen.
Face aux effets délétères des vagues pandémiques du Covid-19, les campagnes de vaccination constituent à l’heure actuelle la seule bouée de sauvetage dont disposent les autorités de santé dans le monde pour tenter d’endiguer, ou du moins freiner, la propagation du virus. Une politique qui rencontre une résistance, les opposants à la vaccination dénonçant une atteinte à la liberté du choix et au principe d’inviolabilité du corps humain. Au Liban, comme ailleurs dans le monde, des voix se sont élevées fustigeant toute obligation vaccinale "déguisée", évoquant des théories conspirationnistes et réclamant le respect du libre-arbitre et du choix de refuser la vaccination. Aussi, la Fédération générale des syndicats des travailleurs au Liban s’est-elle mobilisée, le samedi 8 janvier, pour dénoncer la "dictature sanitaire" imposée par l’État. Des propos qui soulèvent une problématique majeure de santé publique: les libertés personnelles devraient-elles être prises en compte lors de la gestion des urgences sanitaires comme les pandémies?
Depuis la peste d’Athènes du temps d’Hippocrate (Vᵉ siècle avant J.-C..) jusqu’à l’épidémie à virus Ebola déclarée en Guinée fin mars 2014, en passant par la peste de Justinien au VIᵉ siècle, la peste noire au Moyen Âge, la peste de Marseille au XVIIIᵉ siècle, la peste de Chine au XIXᵉ siècle, l’épidémie de grippe espagnole en 1918, l’épidémie de SRAS en 2002, celle de la grippe A (H1N1) en 2009 et bien d’autres, une pléthore de maladies infectieuses avait décimé l’humanité. Des obligations d'État de protection de la santé publique avaient toujours été prises pour assurer la protection de la collectivité: les autorités instaurent des barrières, mettent les malades en quarantaine, limitent les déplacements, allant même jusqu’à les interdire, afin de circonscrire les zones épidémiques. Il est donc clair que les mesures imposées par le pouvoir pour assurer le bien public ont toujours été policières plutôt que médicales. À cette liste, s’ajoute la vaccination qui, entre choix personnel et obligation de santé publique, ne fait pas l’unanimité. Les gouvernements ont-ils ainsi le droit de rendre la vaccination contre le Covid-19 obligatoire?
"Je suis maître de mon corps, je ne suis pas un cobaye. Je refuse qu’on m’injecte des substances douteuses dont l’efficacité et l’innocuité n’ont pas été démontrées", martèle un manifestant. "Nous ne vivons pas dans une dictature, ajoute-t-il à Ici Beyrouth. De quelle éthique nous parle-t-on ?". Pour un autre manifestant, la pandémie et le vaccin seraient un "complot international mijoté par les grandes puissances dans le but de faire de nouvelles fortunes".
"Cette problématique est loin d’être d’ordre éthique mais plutôt de santé publique, explique à Ici Beyrouth Antoine Courban, médecin et membre du conseil du Centre Georges Canguilhem d’histoire et philosophie des sciences depuis 1999. "L’État dispose d’une autorité suffisante pour exercer son pouvoir coercitif sur les individus mais tout dépend du but, ajoute-t-il. Si c’est pour protéger la population, la question à se poser est celle de savoir si celle-ci est en danger et quelle est la réalité de ce dernier. C’est là que, médicalement parlant, les réponses peuvent varier."
Toute remise en cause de l’attribut régalien de la puissance coercitive de l’État entrave, en effet, l’instauration d’un plan de protection collective. À titre d’exemple, un patient présentant des symptômes graves de dérangement mental peut être interné d’office parce qu’on estime que sa condition médicale constitue un danger pour ce dernier, mais aussi pour la population générale. Par ailleurs, quand un malade atteint de la syphilis, une infection bactérienne sexuellement transmissible, très contagieuse et en recrudescence, refuse de prendre un traitement sous prétexte de liberté thérapeutique, le médecin est obligé, par la loi, d’alerter les autorités sanitaires, et de leur communiquer le nom et l’adresse du patient. C’est alors l’autorité publique qui s’occupe du problème.
Ce pouvoir coercitif ne s’oppose en aucun cas au droit du respect du corps de chacun. D’ailleurs, le philosophe allemand Emmanuel Kant définit le concept de droit, dans Doctrine du droit, par la coexistence de la liberté de chacun avec la liberté de tous. Ainsi, chacun dispose de son corps à condition que celui-ci ne soit porteur de danger pour la collectivité. Par conséquent, une personne qui refuse de se faire vacciner contre le Covid-19 peut compromettre, volontairement ou involontairement, la sécurité des autres en facilitant la transmission et la mutation du virus, et donc l’éventuelle contagion de personnes susceptibles de développer des formes graves de la maladie et d’en mourir dans certains cas. Toute personne refusant de se faire vacciner peut de ce fait être accusée de porter atteinte à la sécurité de la personne morale qu’on appelle la chose publique.
"Jusqu’aux années 1970, tout voyageur disposait, en plus de son passeport national, d’un passeport jaune de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui prouvait qu’il était vacciné entre autres contre le choléra, la malaria et la fièvre jaune, et cela en fonction de la destination du voyage", explique le Dr Courban. Jusqu’à présent, toute personne désirant se rendre en Afrique est obligée de se faire vacciner contre la fièvre jaune et de prendre un antipaludique.
"La problématique, aujourd’hui, n’est donc pas l’obligation elle-même de la vaccination qui est naturelle et nécessaire, mais plutôt la réalité du danger pandémique qui justifie d’obliger les gens à se faire vacciner", insiste le Dr Courban. Par exemple, au nombre des grands succès (sanitaire) de l’humanité au XXe siècle figure la généralisation de la vaccination antivariolique obligatoire par l’OMS en 1958, conduisant vingt-un ans plus tard à l’éradication mondiale du virus qui a causé plus de 300 millions de morts. Le dernier cas répertorié de variole remonte à 1977. Mais aussi de la vaccination contre la poliomyélite qui a permis l’éradication du virus dans plusieurs pays du monde, au nombre desquels le Liban.
Selon Salim Adib, professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’Université américaine de Beyrouth, les chiffres du rapport quotidien du ministère de la Santé parlent plus fort que les mots. "Parmi 684 patients hospitalisés (le 15 janvier, ndlr), 79% ne sont pas vaccinés. De plus, 56% des patients en soins intensifs ne sont également pas vaccinés", fait remarquer le Dr Adib, soulignant que "pratiquement, tous ceux qui sont sous ventilation mécanique ne sont pas vaccinés".
La vaccination a-t-elle donc un effet protecteur contre la maladie? "Quel que soit l’effet total de la vaccination, ce qui est absolument certain au Liban, c’est qu’elle est en train de mitiger les effets de l’infection, répond le Dr Adib. Par définition, la vaccination diminue la sévérité de n’importe quelle infection. Après le début de la campagne en février, on est descendu à pratiquement zéro cas par jour en avril. Il y a eu, par la suite, les vagues des variants Delta et Omicron, mais de toute évidence, depuis le début de la vaccination dans le monde, il n’y a plus eu de villes dévastées."
Finalement, en réponse aux détracteurs de la vaccination qui estiment que le nombre de morts ne constituent que 1 à 2% de l’ensemble des personnes contaminées, le Dr Adib souligne: "Il n’y a pas que le nombre de morts qu’il faut prendre en considération. L’intubation est une torture! De plus, dans un pays noyé dans une crise économique où un grand nombre de médicaments est en pénurie, les 7 à 8% de patients hospitalisés seront probablement sous-traités." Et d’insister: "Il est du devoir de chaque personne de se faire vacciner et de prendre la dose de rappel pour éviter d’être porteur à long terme et par la suite un pont de passage du virus vers d’autres personnes qui sont plus vulnérables."
Les opposants au vaccin contre le Covid-19, notamment certains avocats, évoquent le Code de Nuremberg dans le but de diaboliser l’obligation vaccinale qui, selon eux, constitue une violation des conventions internationales. Ce code est un ensemble de principes listés par le tribunal de Nuremberg dans son verdict rendu en 1947 contre des médecins jugés pour des expériences inhumaines sur des détenus dans les camps nazis. Le Code de Nuremberg évoque donc des critères que toute expérimentation pratiquée sur l’être humain devait satisfaire pour être considérée comme "acceptables". Aujourd’hui, ce texte est complètement dépassé et c’est bien la Déclaration d’Helsinki révisée en 2013, qui est en vigueur. De plus, n’étant plus en phase d’expérimentation, les vaccins administrés actuellement contre le Covid-19 ne suivent pas les règles éthiques requises pour tout essai clinique. Aucun consentement écrit préalable du patient n’est donc nécessaire. Le Code de Nuremberg et la Déclaration d’Helsinki n’ont ainsi aucune portée juridique qui empêcherait la mise en place d’une vaccination obligatoire.
Face aux effets délétères des vagues pandémiques du Covid-19, les campagnes de vaccination constituent à l’heure actuelle la seule bouée de sauvetage dont disposent les autorités de santé dans le monde pour tenter d’endiguer, ou du moins freiner, la propagation du virus. Une politique qui rencontre une résistance, les opposants à la vaccination dénonçant une atteinte à la liberté du choix et au principe d’inviolabilité du corps humain. Au Liban, comme ailleurs dans le monde, des voix se sont élevées fustigeant toute obligation vaccinale "déguisée", évoquant des théories conspirationnistes et réclamant le respect du libre-arbitre et du choix de refuser la vaccination. Aussi, la Fédération générale des syndicats des travailleurs au Liban s’est-elle mobilisée, le samedi 8 janvier, pour dénoncer la "dictature sanitaire" imposée par l’État. Des propos qui soulèvent une problématique majeure de santé publique: les libertés personnelles devraient-elles être prises en compte lors de la gestion des urgences sanitaires comme les pandémies?
Mesures policières
Depuis la peste d’Athènes du temps d’Hippocrate (Vᵉ siècle avant J.-C..) jusqu’à l’épidémie à virus Ebola déclarée en Guinée fin mars 2014, en passant par la peste de Justinien au VIᵉ siècle, la peste noire au Moyen Âge, la peste de Marseille au XVIIIᵉ siècle, la peste de Chine au XIXᵉ siècle, l’épidémie de grippe espagnole en 1918, l’épidémie de SRAS en 2002, celle de la grippe A (H1N1) en 2009 et bien d’autres, une pléthore de maladies infectieuses avait décimé l’humanité. Des obligations d'État de protection de la santé publique avaient toujours été prises pour assurer la protection de la collectivité: les autorités instaurent des barrières, mettent les malades en quarantaine, limitent les déplacements, allant même jusqu’à les interdire, afin de circonscrire les zones épidémiques. Il est donc clair que les mesures imposées par le pouvoir pour assurer le bien public ont toujours été policières plutôt que médicales. À cette liste, s’ajoute la vaccination qui, entre choix personnel et obligation de santé publique, ne fait pas l’unanimité. Les gouvernements ont-ils ainsi le droit de rendre la vaccination contre le Covid-19 obligatoire?
Pouvoir coercitif
"Je suis maître de mon corps, je ne suis pas un cobaye. Je refuse qu’on m’injecte des substances douteuses dont l’efficacité et l’innocuité n’ont pas été démontrées", martèle un manifestant. "Nous ne vivons pas dans une dictature, ajoute-t-il à Ici Beyrouth. De quelle éthique nous parle-t-on ?". Pour un autre manifestant, la pandémie et le vaccin seraient un "complot international mijoté par les grandes puissances dans le but de faire de nouvelles fortunes".
"Cette problématique est loin d’être d’ordre éthique mais plutôt de santé publique, explique à Ici Beyrouth Antoine Courban, médecin et membre du conseil du Centre Georges Canguilhem d’histoire et philosophie des sciences depuis 1999. "L’État dispose d’une autorité suffisante pour exercer son pouvoir coercitif sur les individus mais tout dépend du but, ajoute-t-il. Si c’est pour protéger la population, la question à se poser est celle de savoir si celle-ci est en danger et quelle est la réalité de ce dernier. C’est là que, médicalement parlant, les réponses peuvent varier."
Entre liberté et irresponsabilité
Toute remise en cause de l’attribut régalien de la puissance coercitive de l’État entrave, en effet, l’instauration d’un plan de protection collective. À titre d’exemple, un patient présentant des symptômes graves de dérangement mental peut être interné d’office parce qu’on estime que sa condition médicale constitue un danger pour ce dernier, mais aussi pour la population générale. Par ailleurs, quand un malade atteint de la syphilis, une infection bactérienne sexuellement transmissible, très contagieuse et en recrudescence, refuse de prendre un traitement sous prétexte de liberté thérapeutique, le médecin est obligé, par la loi, d’alerter les autorités sanitaires, et de leur communiquer le nom et l’adresse du patient. C’est alors l’autorité publique qui s’occupe du problème.
Ce pouvoir coercitif ne s’oppose en aucun cas au droit du respect du corps de chacun. D’ailleurs, le philosophe allemand Emmanuel Kant définit le concept de droit, dans Doctrine du droit, par la coexistence de la liberté de chacun avec la liberté de tous. Ainsi, chacun dispose de son corps à condition que celui-ci ne soit porteur de danger pour la collectivité. Par conséquent, une personne qui refuse de se faire vacciner contre le Covid-19 peut compromettre, volontairement ou involontairement, la sécurité des autres en facilitant la transmission et la mutation du virus, et donc l’éventuelle contagion de personnes susceptibles de développer des formes graves de la maladie et d’en mourir dans certains cas. Toute personne refusant de se faire vacciner peut de ce fait être accusée de porter atteinte à la sécurité de la personne morale qu’on appelle la chose publique.
Tirer les leçons du passé
"Jusqu’aux années 1970, tout voyageur disposait, en plus de son passeport national, d’un passeport jaune de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui prouvait qu’il était vacciné entre autres contre le choléra, la malaria et la fièvre jaune, et cela en fonction de la destination du voyage", explique le Dr Courban. Jusqu’à présent, toute personne désirant se rendre en Afrique est obligée de se faire vacciner contre la fièvre jaune et de prendre un antipaludique.
"La problématique, aujourd’hui, n’est donc pas l’obligation elle-même de la vaccination qui est naturelle et nécessaire, mais plutôt la réalité du danger pandémique qui justifie d’obliger les gens à se faire vacciner", insiste le Dr Courban. Par exemple, au nombre des grands succès (sanitaire) de l’humanité au XXe siècle figure la généralisation de la vaccination antivariolique obligatoire par l’OMS en 1958, conduisant vingt-un ans plus tard à l’éradication mondiale du virus qui a causé plus de 300 millions de morts. Le dernier cas répertorié de variole remonte à 1977. Mais aussi de la vaccination contre la poliomyélite qui a permis l’éradication du virus dans plusieurs pays du monde, au nombre desquels le Liban.
Aucune ville dévastée depuis la vaccination
Selon Salim Adib, professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’Université américaine de Beyrouth, les chiffres du rapport quotidien du ministère de la Santé parlent plus fort que les mots. "Parmi 684 patients hospitalisés (le 15 janvier, ndlr), 79% ne sont pas vaccinés. De plus, 56% des patients en soins intensifs ne sont également pas vaccinés", fait remarquer le Dr Adib, soulignant que "pratiquement, tous ceux qui sont sous ventilation mécanique ne sont pas vaccinés".
La vaccination a-t-elle donc un effet protecteur contre la maladie? "Quel que soit l’effet total de la vaccination, ce qui est absolument certain au Liban, c’est qu’elle est en train de mitiger les effets de l’infection, répond le Dr Adib. Par définition, la vaccination diminue la sévérité de n’importe quelle infection. Après le début de la campagne en février, on est descendu à pratiquement zéro cas par jour en avril. Il y a eu, par la suite, les vagues des variants Delta et Omicron, mais de toute évidence, depuis le début de la vaccination dans le monde, il n’y a plus eu de villes dévastées."
Finalement, en réponse aux détracteurs de la vaccination qui estiment que le nombre de morts ne constituent que 1 à 2% de l’ensemble des personnes contaminées, le Dr Adib souligne: "Il n’y a pas que le nombre de morts qu’il faut prendre en considération. L’intubation est une torture! De plus, dans un pays noyé dans une crise économique où un grand nombre de médicaments est en pénurie, les 7 à 8% de patients hospitalisés seront probablement sous-traités." Et d’insister: "Il est du devoir de chaque personne de se faire vacciner et de prendre la dose de rappel pour éviter d’être porteur à long terme et par la suite un pont de passage du virus vers d’autres personnes qui sont plus vulnérables."
La vaccination n’enfreint pas le Code de Nuremberg
Les opposants au vaccin contre le Covid-19, notamment certains avocats, évoquent le Code de Nuremberg dans le but de diaboliser l’obligation vaccinale qui, selon eux, constitue une violation des conventions internationales. Ce code est un ensemble de principes listés par le tribunal de Nuremberg dans son verdict rendu en 1947 contre des médecins jugés pour des expériences inhumaines sur des détenus dans les camps nazis. Le Code de Nuremberg évoque donc des critères que toute expérimentation pratiquée sur l’être humain devait satisfaire pour être considérée comme "acceptables". Aujourd’hui, ce texte est complètement dépassé et c’est bien la Déclaration d’Helsinki révisée en 2013, qui est en vigueur. De plus, n’étant plus en phase d’expérimentation, les vaccins administrés actuellement contre le Covid-19 ne suivent pas les règles éthiques requises pour tout essai clinique. Aucun consentement écrit préalable du patient n’est donc nécessaire. Le Code de Nuremberg et la Déclaration d’Helsinki n’ont ainsi aucune portée juridique qui empêcherait la mise en place d’une vaccination obligatoire.
Lire aussi
Commentaires