Qui est semblable à Tyr? Et toutefois elle s’est tue dans le milieu de la mer.
J’essaime des lieux à l’instar d’une abeille qui jamais ne se lasse.
De lieu en lieu, j’essaime encore, à en emplir la ruche des souvenirs. Et jusqu’au débordement.
Souvenirs de lieux. Souvenirs d’un lieu que je me réapproprie, le temps de l’écriture. Et que dure le temps de l’écriture aussi longtemps que durera le fanar, ce phare qui veille depuis la nuit des temps sur Tyr, la cité de Cadmos; la cité d’Élissa aux joues vêtues de pourpre, aux flancs sertis de bois de cèdre; aux yeux nimbés de sel cristallin.
Du haut du fanar qui surplombe la mer de Tyr, veillant ainsi sur les pêcheurs séculaires, les guidant les nuits de tempête, je remonte à deux mains les filets de l’Histoire.
La pêche est bonne.
Là, nichés entre les mailles du filet, des oursins renferment en l’orange juteuse de leur chair iodée et acidulée, la mémoire des premiers Phéniciens.
Là, entre coquillages et crustacés, frétille le vestige romain d’une amphore aux éclats d’antan.
Dans les clameurs de la mer, je retiens soudain une rumeur.
Des cristaux de mots s’infiltrent dans mes oreilles:
il y a des années de cela, un marin téméraire se tenait là, au même endroit. Sur le phare de Tyr, six mètres au-dessus de la Méditerranée.
Il aurait entendu l’appel d’Élissa. Il aurait plongé, allant à sa rencontre.
Nul ne le revit jamais.
Élissa, la princesse phénicienne privée de son trône, la première reine de Carthage l’a embarqué sur ses flots.
Je tends l’oreille.
Qui sait?
Élissa me hèlera peut-être. Peut-être qu’à mon tour je plongerai du haut du fanar qui veille sur Tyr.
J’aspire à pleins poumons les embruns salvateurs. J’emplis la ruche de souvenirs, d’images «volées» à l’Histoire, de voix, de senteurs liquides.
Je l’emplis aussi de silences. De ces silences que sont les phares de l’écrit.
Mes yeux se perdent dans l’horizon que je devine, là-bas, au loin. Là où nul regard ne s’est jamais posé. Là où peut-être veillent sur les mers, d’autres phares, une autre Tyr.
Un autre fanar.
La patience aplanit les montagnes, dit le dicton.
Élissa reviendra sans doute. Probablement un jour.
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