De retour à Beyrouth, le pianiste libano-français Billy Eidi a déployé, le 7 octobre 2023, à l'Assembly Hall de l'Université américaine de Beyrouth, un pianisme d’une éloquence rare, offrant à un public enthousiaste et à quelques rares mélomanes une épopée musicale d’une beauté exquise. Les recettes de ce concert seront entièrement affectées au financement de bourses d'études accordées à son ancienne école, l’International College.
Samedi 7 octobre 2023. Dans l'éclatante pénombre de l’Assembly Hall de l’Université américaine de Beyrouth empreint d'une attente fiévreuse, l'effervescence du public se fondait dans un murmure anticipatif. Même les murs de la salle, ces témoins silencieux de l’histoire, susurraient leur doux secret: Billy Eidi est de retour. Dans cette soirée automnale, l’imposant Steinway s’est mué en un trait d’union invisible entre l'âme de l'artiste et les émotions de l'auditoire. Le concert du 7 octobre, organisé par la promotion 1973 de l’école International College, fut, en effet, l'épopée d'un artiste dont la musique est parvenue à naviguer dans les abysses de plus de quatre ans d’absence du Liban pour ressurgir en vagues majestueuses, déversant son génie en une apothéose musicale. Les mélodies contées par ce virtuose des touches en ivoire se sont épanouies comme des fleurs écloses après un long hiver, emplissant l'air de leur parfum enivrant. Chaque note semblait être un fragment de l'âme du pianiste libano-français, portant avec elle les émotions, les rêves et les aspirations qui ont marqué son périple musical. En cette lumineuse soirée, Billy Eidi a ingénieusement marié les cathédrales contrapunctiques baroques de Jean-Sébastien Bach (1685-1750) aux envolées romantiques enflammées de Fréderic Chopin (1810-1849).
À peine les premiers accords effleurés, on pressent que cette aventure musicale ne saurait être ni conventionnelle ni insipide. Billy Eidi établit aussitôt le cadre esthétique de sa prestation et notamment de ses interprétations des œuvres baroques de Jean-Sébastien Bach, visiblement mielleuses. Dans le prélude et la fugue nº9 en mi majeur, BWV 878, du Clavier bien tempéré, le pianiste chevronné se lance dans une quête d’exploration aventureuse et surtout lyrique de la partition bachienne. Bien qu'il parvienne à en exhumer des trésors mélodiques enfouis et à en dévoiler la profondeur de la complexité harmonique et contrapunctique qu'il se permet d'accentuer et d’édulcorer avec le sostenuto de sa pédale, cette pièce pâtit, dans certains passages, d’un manque de dynamisme et de contrastes. Toutefois, l'équilibre général de l’œuvre est maintenu avec une précision et une limpidité appréciables.
Ensuite, Billy Eidi montre, dans le prélude en do dièse mineur op.45 de Fréderic Chopin, un jeu d'une fluidité et d'une élégance princières. Plutôt que de se laisser emporter par une passion enflammée, il choisit une approche plus introspective, invitant tout auditeur attentif à palper les modulations chromatiques et les fluctuations harmoniques de ce long et nostalgique soliloque. Sa sonorité iridescente, aux teintes manifestement impressionnistes, jette un éclairage nouveau sur ce prélude, où les frontières entre la composition et l’improvisation semblent s’effacer sous ses doigts. De prime abord, on pourrait être enclin à penser que la main droite de Billy Eidi dépeint un phrasé peu incrusté dans le clavier, mais cette impression est tout à fait fallacieuse. Ses couleurs miroitantes, son imaginaire onirique, ainsi que sa maîtrise subtile des nuances et des articulations, libèrent cette pièce d'un romantisme exubérant qui, bien trop souvent, l'enserre de manière étouffante.
La prestation de Billy Eidi se poursuit avec le prélude et la fugue nº13 en fa dièse majeur, BWV 858, de Jean-Sébastien Bach. Le pianiste sexagénaire prouve qu’il est, avant tout, un harmoniste et un polyphoniste capable de faire «chanter» son piano, comme disait feu le pianiste virtuose Henri Goraïeb (1935-2021). La maîtrise expressive et la véritable dentelle pianistique offertes par l'artiste séduisent de manière incontestable. La légèreté des trilles et du toucher met en exergue sa technique qui n'agresse nullement le piano, mais le magnifie. Chaque voix semble s'épanouir avec une clarté cristalline, permettant au public de suivre chaque ligne mélodique et contrapuntique de manière transparente, notamment au niveau de la fugue. Le jeu subtil et expressif de Billy Eidi a transformé cette composition baroque en une expérience musicale quelque peu romantique, offrant une nouvelle perspective fascinante sur cette œuvre intemporelle de Jean-Sébastien Bach.
Billy Eidi continue son exploration musicale en interprétant successivement les trois mazurkas op. 56 de Frédéric Chopin. Il réussit à restituer, avec finesse, toute une palette d'émotions enchâssées au cœur de ces pièces, évoquant ainsi une atmosphère paisible et bucolique dans la mazurka op.56 no.1 en si majeur, insufflant à cette danse polonaise un rythme vif et enjoué, tout en jonglant à travers les différentes variations rythmiques, dans la mazurka op.56 no.2 en do majeur, et plongeant avec une profondeur contemplative et introspective, teintée d’une délicieuse mélancolie, dans l'âme de la mazurka op.56 no.3 en do mineur. Ses qualités interprétatives sont mises au service d’un savoureux effet de dépaysement suscité par des mélismes et des tournures harmoniques basés sur des modes empruntés à l’art populaire polonais. Billy Eidi parvient ainsi à recréer ces toiles champêtres parfois d’une franche rusticité.
Après un entracte d’une dizaine de minutes, le maître du piano s’attaque aux Trois nouvelles études (dites op. posth.) de Fréderic Chopin. Contrairement aux titanesques études op.10 et 25, les études op. posth. se distinguent par leur simplicité mélodique et leur atmosphère introspective. Les sonorités de Eidi sont aérées et pourtant généreuses, accordant une place primordiale à l’art du legato et de la respiration (notamment, mais pas exclusivement, dans l’étude nº3 en ré bémol majeur). Si sa lecture est loin d’être très orthodoxe, au moins est-elle toujours convaincante, pertinente et passionnante. Il en est de même pour son interprétation du prélude et de la fugue nº22 en si bémol mineur, BWV 867, de Jean-Sébastien Bach. On est visiblement dans la confidence d’une âme exacerbée, propre à l’époque romantique, dans une sorte d’effraction d’une intimité. Si son Bach n’est pas celui des Allemands, il est clair que c’est celui qu’il devrait être.
Cette apothéose musicale culmine avec un point d’orgue final dédié à la Ballade nº4 en fa mineur, op.52 de Fréderic Chopin. La base rythmique adoptée par le pianiste dans ce chef-d’œuvre chopinien est remarquablement fluide, les temps forts étant mis en évidence par un doigté finement dosé. La richesse des coloris harmonique de Eidi éclaire d’une lumière diaprée les recoins les plus obscurs de cette partition. L’artiste libanais en est effectivement un maître. On pourrait parfois lui reprocher un manque de véhémence caractéristique de la tornade terrifiante que Chopin déchaîne, de temps à autre, comme un parfum héroïque de la strette dévastatrice qui clôt l’Allegro ma non troppo de la sonate nº23 (également) en fa mineur op.57, dite Appassionata, de Ludwig van Beethoven (1770-1827). Cependant, Billy Eidi se livre à une introspection pianistique d’une splendeur incomparable, la mettant au service d'une éthique qui le (et nous) guide vers l'essence même de la musique.
Samedi 7 octobre 2023. Dans l'éclatante pénombre de l’Assembly Hall de l’Université américaine de Beyrouth empreint d'une attente fiévreuse, l'effervescence du public se fondait dans un murmure anticipatif. Même les murs de la salle, ces témoins silencieux de l’histoire, susurraient leur doux secret: Billy Eidi est de retour. Dans cette soirée automnale, l’imposant Steinway s’est mué en un trait d’union invisible entre l'âme de l'artiste et les émotions de l'auditoire. Le concert du 7 octobre, organisé par la promotion 1973 de l’école International College, fut, en effet, l'épopée d'un artiste dont la musique est parvenue à naviguer dans les abysses de plus de quatre ans d’absence du Liban pour ressurgir en vagues majestueuses, déversant son génie en une apothéose musicale. Les mélodies contées par ce virtuose des touches en ivoire se sont épanouies comme des fleurs écloses après un long hiver, emplissant l'air de leur parfum enivrant. Chaque note semblait être un fragment de l'âme du pianiste libano-français, portant avec elle les émotions, les rêves et les aspirations qui ont marqué son périple musical. En cette lumineuse soirée, Billy Eidi a ingénieusement marié les cathédrales contrapunctiques baroques de Jean-Sébastien Bach (1685-1750) aux envolées romantiques enflammées de Fréderic Chopin (1810-1849).
Exploration introspective
À peine les premiers accords effleurés, on pressent que cette aventure musicale ne saurait être ni conventionnelle ni insipide. Billy Eidi établit aussitôt le cadre esthétique de sa prestation et notamment de ses interprétations des œuvres baroques de Jean-Sébastien Bach, visiblement mielleuses. Dans le prélude et la fugue nº9 en mi majeur, BWV 878, du Clavier bien tempéré, le pianiste chevronné se lance dans une quête d’exploration aventureuse et surtout lyrique de la partition bachienne. Bien qu'il parvienne à en exhumer des trésors mélodiques enfouis et à en dévoiler la profondeur de la complexité harmonique et contrapunctique qu'il se permet d'accentuer et d’édulcorer avec le sostenuto de sa pédale, cette pièce pâtit, dans certains passages, d’un manque de dynamisme et de contrastes. Toutefois, l'équilibre général de l’œuvre est maintenu avec une précision et une limpidité appréciables.
Ensuite, Billy Eidi montre, dans le prélude en do dièse mineur op.45 de Fréderic Chopin, un jeu d'une fluidité et d'une élégance princières. Plutôt que de se laisser emporter par une passion enflammée, il choisit une approche plus introspective, invitant tout auditeur attentif à palper les modulations chromatiques et les fluctuations harmoniques de ce long et nostalgique soliloque. Sa sonorité iridescente, aux teintes manifestement impressionnistes, jette un éclairage nouveau sur ce prélude, où les frontières entre la composition et l’improvisation semblent s’effacer sous ses doigts. De prime abord, on pourrait être enclin à penser que la main droite de Billy Eidi dépeint un phrasé peu incrusté dans le clavier, mais cette impression est tout à fait fallacieuse. Ses couleurs miroitantes, son imaginaire onirique, ainsi que sa maîtrise subtile des nuances et des articulations, libèrent cette pièce d'un romantisme exubérant qui, bien trop souvent, l'enserre de manière étouffante.
Œuvres intemporelles
La prestation de Billy Eidi se poursuit avec le prélude et la fugue nº13 en fa dièse majeur, BWV 858, de Jean-Sébastien Bach. Le pianiste sexagénaire prouve qu’il est, avant tout, un harmoniste et un polyphoniste capable de faire «chanter» son piano, comme disait feu le pianiste virtuose Henri Goraïeb (1935-2021). La maîtrise expressive et la véritable dentelle pianistique offertes par l'artiste séduisent de manière incontestable. La légèreté des trilles et du toucher met en exergue sa technique qui n'agresse nullement le piano, mais le magnifie. Chaque voix semble s'épanouir avec une clarté cristalline, permettant au public de suivre chaque ligne mélodique et contrapuntique de manière transparente, notamment au niveau de la fugue. Le jeu subtil et expressif de Billy Eidi a transformé cette composition baroque en une expérience musicale quelque peu romantique, offrant une nouvelle perspective fascinante sur cette œuvre intemporelle de Jean-Sébastien Bach.
Billy Eidi continue son exploration musicale en interprétant successivement les trois mazurkas op. 56 de Frédéric Chopin. Il réussit à restituer, avec finesse, toute une palette d'émotions enchâssées au cœur de ces pièces, évoquant ainsi une atmosphère paisible et bucolique dans la mazurka op.56 no.1 en si majeur, insufflant à cette danse polonaise un rythme vif et enjoué, tout en jonglant à travers les différentes variations rythmiques, dans la mazurka op.56 no.2 en do majeur, et plongeant avec une profondeur contemplative et introspective, teintée d’une délicieuse mélancolie, dans l'âme de la mazurka op.56 no.3 en do mineur. Ses qualités interprétatives sont mises au service d’un savoureux effet de dépaysement suscité par des mélismes et des tournures harmoniques basés sur des modes empruntés à l’art populaire polonais. Billy Eidi parvient ainsi à recréer ces toiles champêtres parfois d’une franche rusticité.
Pas très orthodoxe mais...
Après un entracte d’une dizaine de minutes, le maître du piano s’attaque aux Trois nouvelles études (dites op. posth.) de Fréderic Chopin. Contrairement aux titanesques études op.10 et 25, les études op. posth. se distinguent par leur simplicité mélodique et leur atmosphère introspective. Les sonorités de Eidi sont aérées et pourtant généreuses, accordant une place primordiale à l’art du legato et de la respiration (notamment, mais pas exclusivement, dans l’étude nº3 en ré bémol majeur). Si sa lecture est loin d’être très orthodoxe, au moins est-elle toujours convaincante, pertinente et passionnante. Il en est de même pour son interprétation du prélude et de la fugue nº22 en si bémol mineur, BWV 867, de Jean-Sébastien Bach. On est visiblement dans la confidence d’une âme exacerbée, propre à l’époque romantique, dans une sorte d’effraction d’une intimité. Si son Bach n’est pas celui des Allemands, il est clair que c’est celui qu’il devrait être.
Cette apothéose musicale culmine avec un point d’orgue final dédié à la Ballade nº4 en fa mineur, op.52 de Fréderic Chopin. La base rythmique adoptée par le pianiste dans ce chef-d’œuvre chopinien est remarquablement fluide, les temps forts étant mis en évidence par un doigté finement dosé. La richesse des coloris harmonique de Eidi éclaire d’une lumière diaprée les recoins les plus obscurs de cette partition. L’artiste libanais en est effectivement un maître. On pourrait parfois lui reprocher un manque de véhémence caractéristique de la tornade terrifiante que Chopin déchaîne, de temps à autre, comme un parfum héroïque de la strette dévastatrice qui clôt l’Allegro ma non troppo de la sonate nº23 (également) en fa mineur op.57, dite Appassionata, de Ludwig van Beethoven (1770-1827). Cependant, Billy Eidi se livre à une introspection pianistique d’une splendeur incomparable, la mettant au service d'une éthique qui le (et nous) guide vers l'essence même de la musique.
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