Le 10 novembre 2021, les États-Unis s’alarment de mouvements de troupes russes à la frontière ukrainienne. L’alarme se transforme en crise ouverte entre Moscou et Washington : les Occidentaux (l’Otan, les USA et l’UE, surtout le couple franco-allemand, considéré comme le noyau dur de l’Union) mettent en garde la Russie contre toute velléité belliqueuse.
Le 7 décembre, un entretien virtuel Biden-Poutine tente de désamorcer la situation, suivi d’une semaine de pourparlers à Genève et au siège de l’Otan. Les discussions s’avèrent stériles. Moscou fait monter les enchères en lançant une cyberattaque massive contre les sites du gouvernement ukrainien. Le 14 janvier, la Russie procède à des « exercices » militaires avec le Belarus, encerclant donc l’Ukraine à l’Est. Washington redoute un danger plus grand : la réinstallation au Belarus d’armes nucléaires. Une énième crise russo-occidentale en conséquence, qui rappelle l’atmosphère et le décor de la Guerre froide, et qui laisse beaucoup d’interrogations sur les évènements à venir.
Qu’est-ce qui dérange Poutine ?
Tout d’abord en parlant de la Russie postsoviétique, il faut impérativement parler de Vladimir Poutine, puisque ce dernier a été élu président en 2000, il préside ainsi depuis 22 ans aux destinées de son pays (même s’il était « Premier ministre » entre 2008 et 2012, par souci de conformité à la Constitution).
Ex-agent du KGB en poste en Allemagne de l’Est, Poutine est devenu chef du FSB, clone russe des SR soviétiques. De son propre aveu, il reste grandement traumatisé par la chute de l’URSS, qu’il considère comme « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe. Siècle ».
Vladimir Poutine, en tant qu’ex-agent des services de renseignements et ancien membre de la caste privilégiée de la nomenklatura, vit toujours dans la logique de la Guerre froide. Même si la Russie a eu d'autres ennuis, comme tous les pays, avec les fléaux « modernes », comme le terrorisme islamiste ou l’émergence de nouveaux géants comme la Chine (avec qui l’ex-URSS avait des rapports pas très amicaux depuis 1956).
La menace essentielle, pour le président Poutine, reste l’Occident, c’est-à-dire l’Otan en premier lieu, l’Union européenne aussi. Les tentatives de rapprochement opérées par l’Alliance atlantique et l’UE n’ont pas eu les résultats escomptés. Poutine s’accroche à ses phobies obsolètes et voit d’un (très) mauvais œil l’élargissement de l’UE vers l’Est, avec l’adhésion, dès 2004, des ex «Démocraties populaires», les pays satellites qui gravitaient dans le cosmos soviétique, et même d’ex-républiques soviétiques faisant partie de l’URSS, comme les pays baltes. Et, outrage ultime, leur intégration au sein de l’Otan. Le président doit non seulement «contenir» cette avancée occidentale, dangereuse à son avis, mais en plus, sévir avec ses interventions musclées dans quelques ex-républiques soviétiques comme la Géorgie, la Moldavie, le Belarus, le conflit arméno-azéri et… l’Ukraine.
Pourquoi l’Ukraine ?
L’Ukraine est un pays peuplé par des Slaves, comme les Russes et les Bélarusses, il est lié historiquement et ethniquement à la Russie depuis la naissance de cette dernière à… Kiev. Comme leurs voisins russes et bélarusses, les Ukrainiens sont de tradition orthodoxe, à la différence des Polonais, à titre d’exemple, qui ont toujours été catholiques et tournés vers l’Occident.
Plusieurs tentatives d’émancipation des Ukrainiens ont, certes parfois réussi, mais surtout échoué durant l’histoire moderne et contemporaine. Le nationalisme ukrainien est essentiellement visible et revendiqué au centre et à l’Ouest du pays, à la frontière polonaise et bélarusse. Ce noyau ukrainien tranche avec la russophilie naturelle de l’Ouest du pays, où se trouve le bassin minier et industriel du Donbass, un des centres majeurs de l’industrie soviétique. C’est cette région russophile et russophone qui a été «annexée» de facto par la Russie, puisque les «séparatistes» de l’Est (en fait des groupes armés à la solde de Moscou) ont proclamé les deux «Républiques populaires» (décidément) de Donetsk et de Lougansk, du nom des deux grandes villes et «oblast», c’est-à-dire région ou département dans le système territorial russe. Les deux «républiques» projettent même de s’unir dans une confédération appelée la «Nouvelle-Russie». L’avenir, bien évidemment, de ces deux républiques sécessionnistes est bien tracé : elles seront annexées au territoire russe, tout comme, en 2014, Poutine avait annexé la Crimée, «cadeau» de Khrouchtchev à la République socialiste soviétique d’Ukraine et, surtout, territoire dans lequel se trouve les principales bases navales russes de la mer Noire, et donc débouchant sur les «mers chaudes», par opposition aux bases du cercle arctique.
Il est en conséquence évident pour le camarade Poutine de s’opposer par tous les moyens à une présence de l’Otan dans la région. Pour illustrer cette idée, on pourrait penser à des craintes françaises suite à des investissements allemands massifs en Alsace, à la différence près que ces investissements existent bel et bien, et ils sont même souhaités avec impatience par la France qui espère redynamiser une région industrielle en déclin. Français et Allemands ont oublié leurs querelles d’antan et raisonnent, depuis les années 1950’, en partenaires égaux dans une Europe prospère et en paix… Mais à l'Est, rien de nouveau.
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