Les extrêmes français chatouillent avec délectation le point G
©Une femme musulmane couvre l'étoile jaune de sa voisine juive avec son voile pour la protéger. (Sarajevo 1941)

Mû par la curiosité inhérente à la nature humaine décrite par les philosophes des Lumières, vous vous êtes empressé de suivre le lien de cet article, attiré par son titre singulier qui laisse imaginer que je m’apprêtais à discourir sur cette mystérieuse zone érogène féminine de quelques centimètres carrés, foisonnant de terminaisons nerveuses et conceptualisée en 1950 par un gynécologue allemand. Votre étonnement est sans doute grand, en réalisant l’absence de lien manifeste entre le sujet annoncé et les partis d'extrême droite et d'extrême gauche de l’échiquier politique français. Je vous prie d'excuser ce subterfuge, car mon propos n’est point de disserter sur la découverte du gynécologue allemand Ernst Gräfenberg en 1950, mais plutôt d’évoquer la loi empirique énoncée par Mike Godwin – un avocat américain – au début des années 1990, connue sous l’appellation «point Godwin» et que j’ai malicieusement affublée du nom de «point G» afin d’éveiller votre intérêt.
Le point Godwin, quand les extrêmes politiques français versent dans la comparaison facile
Mais qu’est-ce que ce mystérieux «point Godwin»? Comme je l’avais évoqué dans mon précédent article – L'humanité à nouveau en proie à la banalité du mal – la vigilance linguistique est plus que jamais de mise dans nos échanges sur les réseaux sociaux. À l’aune des innommables actes terroristes perpétrés par le Hamas le 7 octobre dernier, et l’inévitable vengeance aveugle dont va faire montre l’armée israélienne, qui engendrera des milliers de victimes palestiniennes innocentes, la radicalisation des oppositions stériles au sein du débat public des extrêmes français se focalise sur ce que le philosophe Léo Strauss avait appelé en 1950 la «reductio ad hitlerum» (réduction à Hitler), consistant à déconsidérer son contradicteur en associant ses propos à Hitler ou à la Shoah. C’est ce qu’a théorisé Mike Godwin en l’appliquant aux discussions sur la toile. Dans le vaste paysage de la communication numérique, ce phénomène particulier émerge avec constance, connu sous le nom de «point Godwin». Ce principe souligne une tendance inévitable dans les discussions en ligne: à mesure que les échanges s’intensifient, la probabilité d’une comparaison invoquant Hitler ou les nazis se rapproche inexorablement. Plus qu’une simple observation, le «point Godwin» met en lumière les dynamiques complexes de l’exagération et de l’hyperbole dans nos interactions sociales, tout en posant des questions profondes sur la banalisation des atrocités historiques et l’éthique de la rhétorique. Il suffit de se balader sur X pour y voir avec désolation les affidés de l'extrême droite et de l'extrême gauche françaises se livrer une bataille acharnée, en tentant de démontrer que l’idéologie musulmane s’est nazifiée ou que les Israéliens utilisent des méthodes dignes de leurs anciens bourreaux. C’est la première hypothèse que nous allons étudier.

Islam et nazisme: un ignoble parallèle
L’extrême droite française profite de la terrible situation actuelle pour stigmatiser la population musulmane en traçant des parallèles entre l’Islam moderne et le nazisme. Ces assertions sont généralement fondées sur une perception erronée et réductrice de l’islam comme étant intrinsèquement violent ou intolérant, des traits associés abusivement au régime nazi. Pourtant, assimiler une religion pratiquée pacifiquement par des millions de citoyens à l’idéologie mortifère du nazisme relève d’une outrageante calomnie. C’est faire preuve d’une ignorance crasse de l’histoire et des nuances inhérentes à toute religion. Certes, l’islam n’est pas exempt de courants extrémistes et violents qui dénaturent ses enseignements. Certes, le rôle néfaste joué auprès des dignitaires nazis par le grand mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini, chantre de la guerre sainte contre les juifs, reste entaché d’une grande ambiguïté. Mais il serait tout aussi fallacieux de réduire le catholicisme à l’Inquisition ou le protestantisme au Ku Klux Klan.
Par ces raccourcis prétendument intellectuels, l’extrême droite cherche en réalité à justifier une rhétorique xénophobe et des politiques discriminatoires envers les musulmans. Elle joue sur les peurs irrationnelles d’une soi-disant «islamisation» afin de promouvoir un agenda nationaliste fondé sur le rejet de l’autre. Les prochaines élections européennes s’annoncent cruciales. Elles seront polluées par ce débat nauséabond et l’emploi abusif du «point Godwin». De nombreux historiens ont établi des liens entre l’islam et le nazisme. Le terrorisme islamique, avec son fondamentalisme haineux qui s’apparente au nazisme, ébranle désormais nos sociétés occidentales. Aujourd’hui, elle incline certains penseurs à assimiler islam et nazisme dans une idéologie commune. En 2014, Marine Le Pen estimait qu’il était légitime de comparer le Coran à Mein Kampf. Même si elle a désormais en apparence «poli» son discours, elle fut alors oublieuse que, parmi les membres fondateurs du parti de son père, on trouvait des anciens de la 33e division SS Charlemagne. Cet amalgame entre l’Islam et le nazisme est risqué, car des faits de résistance notables de musulmans contre les nazis, hélas méconnus ou volontairement occultés, nous invitent à la modération. Une occasion de démolir les préjugés et les poncifs sur les rapports entre l’islam et le nazisme durant la période la plus sombre de notre histoire.
Le grand Mufti et la division Handshar
Des musulmans au cœur de la seule mutinerie de la Waffen SS

En avril 1943, le grand mufti de Jérusalem, Amin al-Hussein, leader du mouvement arabe qui prêche la guerre sainte contre les juifs à la radio allemande, affirme que «les nazis sont les meilleurs amis de l’islam». Tout musulman qui perdrait la vie au combat pour l’islam et le Reich serait un «chahîd», un martyr. En Égypte, l’organisation des Frères musulmans ne cache pas sa sympathie pour l’Axe. C’est dans ce contexte qu’Adolf Hitler donne l’ordre de former des légions de volontaires musulmans des Balkans qui seront incorporés dans l’unité combattante la plus prestigieuse, celle de la SS, affirmant qu’ils sont «à classer parmi les peuples européens de race supérieure». Les dignitaires nazis prétendent alors que le Coran annonce la venue d’Hitler, non comme un prophète, mais en tant que «Issa» (Jésus), dont le retour est prédit dans le Livre saint pour rétablir la justice et triompher de l’Antéchrist. Grotesque! Si les dirigeants nazis avaient une fascination pour les musulmans, oubliant au passage qu’ils étaient sémites, c’était parce qu’ils considéraient l’islam comme une religion fanatique et guerrière, dépourvue de «délicatesse chrétienne». Ils vont en réalité connaître un terrible échec, car l’initiative du grand mufti de Jérusalem sera totalement isolée et se soldera par un cuisant échec.
En effet, le sultan du Maroc, Mohammed V, s’est fermement opposé aux lois anti-juives de Vichy et, en Algérie, les juifs n’ont jamais été inquiétés par les musulmans. En Tunisie, le bey de Tunis, au seuil de l’invasion allemande, proclame aux juifs qu’ils demeurent ses sujets au même titre que les musulmans. Quand la barbarie nazie tente de raviver les braises de la haine, certains résistent à l’aveuglement grégaire et au renoncement à leur fraternité. Tel Khaled Abdelwahab qui sauve de l’oppression 25 âmes juives réfugiées en sa ferme de Mahdia.
Mais c’est de la 13e division SS Handschar – une des trois divisions SS musulmanes – que va provenir l’un des actes les plus singuliers et méconnus de la Seconde Guerre mondiale. Un handschar est un cimeterre turc, un sabre à lame recourbée. Pourquoi une division de la Waffen SS arborait-elle cet emblème si étrange? Parce que, précisément, il ne s’agissait pas d’une unité allemande. Elle était majoritairement composée de musulmans bosniaques et Croates recrutés de force, comme la Das Reich l’était d’Alsaciens et de Lorrains. Cette division, composée de paysans analphabètes ne parlant pas l’allemand, est encadrée par un mollah et un imam SS par bataillon. Aux fins d’entraînement, avant de se rendre sur le front de l’Est, un de ces bataillons – le 13ᵉ – de la division SS Handschar, sous la coupe d’un imam fanatique et de chefs sanguinaires – des Allemands de souche – est cantonné à Montauban, puis en garnison à Villefranche-de-Rouergue, où les hommes sont victimes de mauvais traitements et de mesures vexatoires, ce qui va indigner la population. C’est dans cette ville de l’Aveyron que va se dérouler l’un des évènements les plus incroyables et mystérieux de la Seconde Guerre mondiale, au point qu’il a été passé sous silence, y compris par les Alliés. Dans la nuit du 16 au 17 septembre 1943, des sous-officiers SS bosniaques et croates vont se révolter contre leurs chefs allemands, qu’ils vont abattre sans autre forme de procès, avant de se rendre maîtres de la ville et de la délivrer de l’occupation allemande! Seul un officier parvient à s’échapper et à donner l’alerte. Très vite, une grande partie des mutins tient la ville. Contrairement à ce que veut bien nous dire l’Histoire, la première ville française libérée n’a donc pas été Bayeux le 7 juin 1944, mais symboliquement Villefranche-de-Rouergue neuf mois plus tôt! Mais ce qui a été le plus incroyable, c’est qu’elle l’a été par des SS, musulmans, et avec le concours actif de la population au sein de laquelle il n’y aura – par la suite – aucune dénonciation! Une ville française libérée par une unité SS musulmane: quelle symbolique! On comprend pourquoi cet évènement considérable a été occulté, d’autant qu’il s’agissait de la seule mutinerie notable ayant eu lieu dans l’armée allemande, et précisément au sein de la SS, censée être l’élite des troupes combattantes.
Hélas, les mutins vont commettre l’erreur de ne pas fusiller l’imam, un dangereux fanatique, qui parvient à galvaniser une partie de la troupe restée indécise. Il donne l’ordre – au nom d’Allah – de ne pas se révolter contre l’autorité légitime de Hitler. Des combats font rage entre les SS musulmans fidèles aux nazis, ayant reçu les renforts de la Wehrmacht, contre d’autres Waffen SS qui ont choisi le camp de la liberté en tentant de gagner le Maquis. La population fournit aux insurgés des vêtements civils et, dès l’arrivée des renforts venus de Rodez, les cache. C’est une impitoyable chasse à l’homme qui commence dans les rues durant laquelle les mutins tentent une percée désespérée. Nombre d'entre eux sont tués, d’autres – toujours grâce à la population – parviennent à s’échapper et à gagner le Maquis et les réseaux de résistance alors en formation. Ceux qui sont capturés connaissent un sort terrible. Quarante seront torturés, mutilés, fusillés sur place, puis ensevelis à la hâte dans le pré de Sainte-Marguerite. Deux cent cinquante seront envoyés en camps d’extermination, d’où seulement quelques-uns reviendront. Voilà pourquoi se trouve à Villefranche-de-Rouergue un mémorial en l’honneur des martyrs croates musulmans qui se sont révoltés contre l’occupant nazi.
Le grand Mufti et la division Handshar
La Grande Mosquée de Paris a sauvé des juifs de la déportation
N’en déplaise à certains historiens, la Grande mosquée de Paris a bien apporté une aide précieuse aux juifs, aux résistants et aux aviateurs alliés durant l’occupation allemande. Kaddour Benghabrit, recteur de la Mosquée de Paris, a aidé à sauver des Juifs, notamment le célèbre chanteur Salim Halali, en leur fournissant de faux certificats musulmans pour leur éviter la déportation. En plus de fournir des documents d’identité, la mosquée servait de refuge sûr, cachant les juifs durant les rafles de la Gestapo. Cette période a également vu des résistants algériens, connus sous le nom de «FTP Kabyle», venir en aide aux juifs. Ils ont secouru des enfants juifs lors des rafles, les emmenant à la Grande mosquée pour les mettre en sécurité. Ces actes de bravoure n’étaient pas motivés par des considérations religieuses, mais plutôt par un sentiment de fraternité humaine. Un autre héros méconnu de cette époque était Abdelkader Mesli, un imam et représentant de la Grande mosquée à Bordeaux. Il a rejoint un réseau de résistance et a fourni de faux papiers à des fugitifs, dont beaucoup étaient juifs. Arrêté par la Gestapo, il a survécu à la déportation dans les camps de concentration et est décédé en 1961.
Le grand mufti de Jérusalem a été directement responsable de la mort de milliers de juifs. Réfugié à Berlin à partir de 1941, grassement rémunéré par la SS et la spoliation de biens juifs, on s’étonne qu’il n’ait pas été inculpé pour «crimes contre l’Humanité» et traduit devant le Tribunal de Nuremberg. Recherché à la fois par les Britanniques et par les Yougoslaves comme criminel de guerre, après que la Suisse eut rejeté sa demande d’asile, il trouve refuge en France, laquelle refuse l’extradition aux deux gouvernements. En mai 1946, il parvient à quitter le pays sans difficulté grâce à un faux passeport fourni par le Quai d’Orsay. Il finira ses jours au Liban, toujours actif dans la propagande anti-juive et antisioniste, sans jamais être inquiété. Il fait figure d’exception dans le monde musulman.
L’amalgame entre l’islam et le nazisme est particulièrement perfide. Il prospère désormais sur les réseaux sociaux, révélant les travers d’une France et de partis politiques frappés d’une inquiétante amnésie. Plus que jamais, le «point Godwin» s’impose comme un poison intellectuel pour des cerveaux atrophiés et des polémistes bien connus, à court d’arguments et incapables du moindre raisonnement solide. Plus que jamais, Albert Camus a raison: «Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde
 
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