Entre censure et liberté: des livres contre l’ombre
Dans la bibliothèque George-Orwell à Ivanovo, une ville industrielle située à une distance de cinq heures de Moscou, Madame Alexandra Karasseva, âgée de 67 ans, choisit avec assurance des œuvres d'Orwell, de Sorokine et de Dostoïevski. Pour elle, ces auteurs éclairent les zones d'ombre de la Russie actuelle.
L’intérieur de la bibliothèque George-Orwell, imprégné d’un parfum d’huile que porte Mme Karasseva, est modeste: un ordinateur et quelques centaines de livres. Évoquant l’importance des ouvrages, elle dit: «Les livres nous montrent l’humanité présente même chez l’ennemi et nous aident à combattre toute forme de déshumanisation.»
Dmitri Siline, un entrepreneur local opposé au conflit ukrainien, a inauguré cette bibliothèque en 2022, envisageant de fournir des outils intellectuels pour contrer la propagande et la censure. Bien qu’il ait quitté la Russie par sécurité, son établissement perdure. La collection comprend des dystopies, des études sur le goulag, des œuvres critiquant le Kremlin, ainsi que des écrits légers pour détendre l’esprit. Certains de ces ouvrages, bien que légaux, sont dissimulés dans les librairies en raison de la loi sur les «agents de l'étranger». Mme Karasseva explique: «La lecture de dystopies élargit notre liberté, en mettant en évidence les dangers et les stratégies pour les surmonter.» La libraire, identifiable à ses lunettes épaisses, commente plusieurs chefs-d’œuvre, dont 1984 d’Orwell, et fait part de son expertise sur la transition de la République romaine à la dictature. Elle mentionne également une projection du film Barbie au sein de la librairie, affirmant qu’il possède une profondeur souvent sous-estimée.

Dmitri Chestopalov, un jeune militant, visite régulièrement la bibliothèque. Il décrit cet espace comme une bouffée d’air frais, un lieu de liberté et de réconfort face à l’oppression nationale. Anastassia Roudenko, avocate et cofondatrice de la bibliothèque, perçoit dans la Russie contemporaine des échos du totalitarisme dépeint dans 1984. Elle évoque notamment le slogan «L’ignorance, c’est la force», suggérant qu’en Russie, ceux qui choisissent l’ignorance semblent mieux vivre. Sur la place d’Ivanovo, Mme Roudenko, marquée par les récentes tensions géopolitiques, exprime sa douleur personnelle. Son frère et son mari, tous deux officiers, sont engagés dans l’«opération militaire spéciale» contre l’Ukraine. En 2023, elle a été sanctionnée pour avoir critiqué l’armée. Malgré la situation complexe, elle demeure attachée à son mari. Face aux jugements, elle réplique: «Qu’auriez-vous fait à ma place?»
Avec AFP
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