©(Photo by Wakil KOHSAR / AFP)
A Jalalabad, les talibans au pouvoir avaient promis de ramener la paix. Mais entre les attaques attribuées à leurs ennemis du groupe Etat islamique (EI), leurs représailles et de mystérieux cadavres qui apparaissent dans les cours d'eau, c'est surtout la peur qui règne.
Le soir, les habitants de cet important carrefour de l'est afghan se pressent pour rentrer chez eux avant que la nuit tombe et que les armes ne parlent, craignant à la fois les violences de l'EI et les ripostes parfois aveugles des talibans.
Autrefois marginal en Afghanistan, l'EI a, selon plusieurs experts, été dopé par l'accord américano-taliban de Doha en 2020. Des combattants islamistes radicaux en tout genre, opposés à tout compromis avec l'Occident, ont choisi de le rallier.
Les analystes attribuent à l'EI 2.000 à 4.000 combattants en Afghanistan, face à 80.000 talibans. Jalalabad, où le groupe a émergé en 2014, est son principal bastion.
L'EI "a été renforcé quand les talibans sont arrivés au pouvoir" mi-août, et qu'un grand nombre de ses combattants aguerris sont sortis de prison, explique Ibraheem Bahiss, spécialiste de l'Afghanistan à l'International Crisis Group.
Depuis, selon lui, "la violence contre les talibans augmente", même si ces derniers tentent de minimiser.
Ainsi, dans son QG gardé par des dizaines de talibans surarmés, le très craint chef des services de renseignement du Nangarhar, "Docteur Bachir", est formel: "l'EI n'existe plus" dans la ville et le reste de la province.
Docteur Bachir, barbiche, verbe haut et regard déterminé sous son turban noir, n'admet que de "petits incidents".
Mais dans les rues de Jalalabad, ses combattants ne cachent pas, en privé, leur appréhension.
"L'EI est très présent ici", explique à l'AFP Sajjad, un chef d'unité talibane. A la mi-décembre, il évoquait "au moins une attaque par semaine".
Ses hommes sont sur leurs gardes en permanence face à des assaillants qui viennent "à deux ou trois dans un rickshaw et nous tirent dessus à la kalachnikov ou au pistolet".
Comme quelques jours plus tôt dans le quartier de Chel Metra, où au moins trois talibans ont été tués: "un bain de sang" sur la chaussée, se souvient Mohammad Kabir, gérant d'une boutique en face.
Depuis la mi-septembre, l'EI a revendiqué plus de 90 attaques dans le pays, dont 85% visant les talibans, selon Abdul Sayed, universitaire spécialiste des réseaux jihadistes.
Jalalabad est en première ligne: les talibans disent y avoir récemment dépêché 1.500 combattants en renfort et multiplient les raids. Avec, semble-t-il, des résultats: selon plusieurs sources locales, les attaques dans Jalalabad ont cessé fin décembre.
"On traque les jihadistes jour et nuit", explique le commandant Sajjad.
Les talibans ont arrêté ces derniers mois 400 membres de l'EI, affirme Docteur Bachir. Et tué combien ? "Je n'ai pas le chiffre exact", élude-t-il.
Les talibans sont accusés d'éliminer clandestinement leurs ennemis. L'ONU leur attribue au moins 72 assassinats, dont ceux d'une cinquantaine de membres de l'EI présumés dans le Nangarhar.
Des découvertes macabres nourrissent le soupçon, comme ces cadavres retrouvés le mois dernier au fil d'un canal des faubourgs de Jalalabad.
Un peu à l'écart du village de Bakhtan, un laveur de rickshaw a dit à l'AFP avoir vu "quatre ou cinq" corps repêchés, un entrepreneur local "trois" .
Dans toute la province, des sources locales concordantes évoquent au total jusqu'à 150 corps retrouvés dans les cours d'eau.
Les talibans visent les salafistes, implantés dans la région depuis la lutte contre les Soviétiques des années 1980. Des dignitaires de ce mouvement religieux fondamentaliste se sont émus d'arrestations et disparitions "massives" après des raids talibans. Or, s'ils ne nient pas que l'EI recrute dans leur communauté, ils soulignent que tous les salafistes n'en sont pas membres.
"Très souvent, ce sont des innocents qui se font prendre, et parfois tuer", souligne l'analyste Ibraheem Bahiss, qui avertit que cette répression aveugle des talibans contre les salafistes risque de renforcer l'EI plutôt que de l'affaiblir.
"La persécution continue de la communauté salafiste favorise potentiellement le recrutement par l'EI", explique M. Bahiss. Et même si, selon lui, l'EI n'a pas encore la capacités d'agir au-delà de l'Afghanistan et du Pakistan, "les pays occidentaux observent la menace et la prennent au sérieux".
Mais à Jalalabad, les accusations contre les talibans se sont tues, par peur des représailles -- d'autant qu'il n'y a guère de preuves et que les cadavres, abîmés, ne sont pas toujours identifiables.
Même silence chez les militants des droits de l'Homme, surtout depuis l'assassinat en octobre de l'un d'eux.
Abdul Rahman Mawen "sortait d'un mariage, il était en voiture à Jalalabad avec ses deux enfants, et des hommes armés arrivés à moto l'ont abattu", raconte un de ses proches.
L'EI a revendiqué l'attaque, mais lui en doute. Il accuse les chefs talibans locaux d'agiter la menace jihadiste tout en faisant disparaître leurs ennemis. Et reste très discret, pour ne pas finir lui non plus "au fond d'un canal".
Les médias locaux ont tout aussi peur, comme ce journaliste qui avait évoqué sur les réseaux sociaux une attaque qui venait d'avoir lieu en ville.
Il a ensuite reçu la visite de talibans, qui lui "ont dit qu'il n'y aurait pas d'autre avertissement". Depuis, comme beaucoup d'autres, il ne parle plus des violences.
Le soir, les habitants de cet important carrefour de l'est afghan se pressent pour rentrer chez eux avant que la nuit tombe et que les armes ne parlent, craignant à la fois les violences de l'EI et les ripostes parfois aveugles des talibans.
Autrefois marginal en Afghanistan, l'EI a, selon plusieurs experts, été dopé par l'accord américano-taliban de Doha en 2020. Des combattants islamistes radicaux en tout genre, opposés à tout compromis avec l'Occident, ont choisi de le rallier.
Les analystes attribuent à l'EI 2.000 à 4.000 combattants en Afghanistan, face à 80.000 talibans. Jalalabad, où le groupe a émergé en 2014, est son principal bastion.
L'EI "a été renforcé quand les talibans sont arrivés au pouvoir" mi-août, et qu'un grand nombre de ses combattants aguerris sont sortis de prison, explique Ibraheem Bahiss, spécialiste de l'Afghanistan à l'International Crisis Group.
Depuis, selon lui, "la violence contre les talibans augmente", même si ces derniers tentent de minimiser.
Ainsi, dans son QG gardé par des dizaines de talibans surarmés, le très craint chef des services de renseignement du Nangarhar, "Docteur Bachir", est formel: "l'EI n'existe plus" dans la ville et le reste de la province.
Docteur Bachir, barbiche, verbe haut et regard déterminé sous son turban noir, n'admet que de "petits incidents".
Mais dans les rues de Jalalabad, ses combattants ne cachent pas, en privé, leur appréhension.
"L'EI est très présent ici", explique à l'AFP Sajjad, un chef d'unité talibane. A la mi-décembre, il évoquait "au moins une attaque par semaine".
Ses hommes sont sur leurs gardes en permanence face à des assaillants qui viennent "à deux ou trois dans un rickshaw et nous tirent dessus à la kalachnikov ou au pistolet".
"Un bain de sang"
Comme quelques jours plus tôt dans le quartier de Chel Metra, où au moins trois talibans ont été tués: "un bain de sang" sur la chaussée, se souvient Mohammad Kabir, gérant d'une boutique en face.
Depuis la mi-septembre, l'EI a revendiqué plus de 90 attaques dans le pays, dont 85% visant les talibans, selon Abdul Sayed, universitaire spécialiste des réseaux jihadistes.
Jalalabad est en première ligne: les talibans disent y avoir récemment dépêché 1.500 combattants en renfort et multiplient les raids. Avec, semble-t-il, des résultats: selon plusieurs sources locales, les attaques dans Jalalabad ont cessé fin décembre.
"On traque les jihadistes jour et nuit", explique le commandant Sajjad.
Les talibans ont arrêté ces derniers mois 400 membres de l'EI, affirme Docteur Bachir. Et tué combien ? "Je n'ai pas le chiffre exact", élude-t-il.
Dizaines de cadavres
Les talibans sont accusés d'éliminer clandestinement leurs ennemis. L'ONU leur attribue au moins 72 assassinats, dont ceux d'une cinquantaine de membres de l'EI présumés dans le Nangarhar.
Des découvertes macabres nourrissent le soupçon, comme ces cadavres retrouvés le mois dernier au fil d'un canal des faubourgs de Jalalabad.
Un peu à l'écart du village de Bakhtan, un laveur de rickshaw a dit à l'AFP avoir vu "quatre ou cinq" corps repêchés, un entrepreneur local "trois" .
Dans toute la province, des sources locales concordantes évoquent au total jusqu'à 150 corps retrouvés dans les cours d'eau.
Les talibans visent les salafistes, implantés dans la région depuis la lutte contre les Soviétiques des années 1980. Des dignitaires de ce mouvement religieux fondamentaliste se sont émus d'arrestations et disparitions "massives" après des raids talibans. Or, s'ils ne nient pas que l'EI recrute dans leur communauté, ils soulignent que tous les salafistes n'en sont pas membres.
"Très souvent, ce sont des innocents qui se font prendre, et parfois tuer", souligne l'analyste Ibraheem Bahiss, qui avertit que cette répression aveugle des talibans contre les salafistes risque de renforcer l'EI plutôt que de l'affaiblir.
"La persécution continue de la communauté salafiste favorise potentiellement le recrutement par l'EI", explique M. Bahiss. Et même si, selon lui, l'EI n'a pas encore la capacités d'agir au-delà de l'Afghanistan et du Pakistan, "les pays occidentaux observent la menace et la prennent au sérieux".
Mais à Jalalabad, les accusations contre les talibans se sont tues, par peur des représailles -- d'autant qu'il n'y a guère de preuves et que les cadavres, abîmés, ne sont pas toujours identifiables.
Même silence chez les militants des droits de l'Homme, surtout depuis l'assassinat en octobre de l'un d'eux.
Abdul Rahman Mawen "sortait d'un mariage, il était en voiture à Jalalabad avec ses deux enfants, et des hommes armés arrivés à moto l'ont abattu", raconte un de ses proches.
L'EI a revendiqué l'attaque, mais lui en doute. Il accuse les chefs talibans locaux d'agiter la menace jihadiste tout en faisant disparaître leurs ennemis. Et reste très discret, pour ne pas finir lui non plus "au fond d'un canal".
Les médias locaux ont tout aussi peur, comme ce journaliste qui avait évoqué sur les réseaux sociaux une attaque qui venait d'avoir lieu en ville.
Il a ensuite reçu la visite de talibans, qui lui "ont dit qu'il n'y aurait pas d'autre avertissement". Depuis, comme beaucoup d'autres, il ne parle plus des violences.
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