Gaza: le couac des diplomaties française et américaine
Une diplomatie devrait avoir une harmonie au sein de ses effectifs pour mener à bien les objectifs de son pays. Mais les dernières révélations du Figaro en France et d’Axios aux États-Unis montrent que Paris et Washington passent par des zones de turbulences. En cause: la contestation de plusieurs diplomates et fonctionnaires des positions de leurs pays jugées excessivement pro-israéliennes.
Le 7 octobre, à la suite de l’opération-surprise du mouvement islamiste palestinien, les chancelleries occidentales ont fermement condamné l’attaque et ont unanimement soutenu le droit d’Israël à se défendre. Appels au président Isaac Herzog ou au Premier ministre Benjamin Netanyahou, visites éclairs de haut rang à Tel Aviv et dans la région, envoi d’aides militaires, etc., les capitales occidentales, Washington en tête, se positionnent fermement du côté d’Israël, tout en creusant le fossé avec les autres capitales influentes, notamment arabes, asiatiques et d’Amérique latine. Des différences déjà visibles entre ce qui est communément appelé le «Nord et le Sud globaux».
Cependant, alors que depuis le 24 février 2022, le soutien à l’Ukraine est sans faille, motivé par la volonté de «défendre la démocratie et les libertés» face à l’envahisseur russe, les bombardements de représailles menés par l'armée israélienne sur la bande de Gaza, qui ont fait des milliers de morts, en grande partie des civils, sont considérés par certaines chancelleries, notamment du Sud, comme étant disproportionnés. Malgré des appels au cessez-le-feu et/ou à des trêves humanitaires de la part de ses alliés «de l’Ouest», Tel Aviv refuse de suspendre ses opérations militaires à Gaza et en Cisjordanie.
Note au Quai d’Orsay et dissent memo
Aux États-Unis, depuis le début des hostilités au Moyen-Orient, une grogne ronge le Département d’État: le 18 octobre dernier, Josh Paul, haut-fonctionnaire au Bureau des affaires politiques et militaires, démissionne publiquement «en raison d’un désaccord politique concernant [l’]assistance létale continue à Israël». Selon le média américain Axios, trois télégrammes internes dissidents (dissent memo), signés par des dizaines de fonctionnaires du Département et de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) ont également été envoyés au secrétaire d'État, Antony Blinken, critiquant la position trop faible de Washington envers Tel Aviv. L'un des câbles a recueilli plus de 1.000 signatures d'employés de l'USAID, dont plus de 200 son affectés au Moyen-Orient, selon des informations du média américain The Post. Deux télégrammes ont même été envoyés dès la première semaine du conflit, appelant l’administration américaine à réexaminer ses positions vis-à-vis d'Israël, à appeler à un cessez-le-feu et à proposer un «plan sérieux» de paix durable avec la création d'un État palestinien. Le troisième télégramme demanderait aux dirigeants de rendre publiques certaines critiques formulées à l'encontre du Premier ministre israélien pour contrebalancer les prises de position pro-israéliennes de l'administration.
À Paris, une dizaine de diplomates d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (ANMO) ont collectivement rédigé une note de «dissidence» adressée au Quai d’Orsay, exprimant des regrets quant au virage pro-israélien d’Emmanuel Macron, selon des informations obtenues par Georges Malbrunot. Dans un article publié lundi soir sur le site du Figaro, le journaliste précise que les ambassadeurs contestataires «affirment que [la] position [de la France] en faveur d’Israël au début de la crise est incomprise au Moyen-Orient et qu’elle est en rupture avec notre position traditionnellement équilibrée entre Israéliens et Palestiniens». Les signataires «regrettent que dans plusieurs pays du Moyen-Orient et du Maghreb, les critiques les plus sévères soient adressées, certes, aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, mais aussi à la France, comme l’ont montré des manifestations devant leurs ambassades». La crise de confiance entre la France et le Moyen-Orient est «grave» et risque d’être «durable», avertissent les auteurs de la note, d’après Georges Malbrunot.

Diplomates versus Exécutifs
Ces divergences entre des membres des corps diplomatiques et leurs Exécutifs respectifs ne datent pas d’hier. De plus en plus de diplomates de carrière, dans différents pays occidentaux, se plaignent du fait que les politiques étrangères de leurs gouvernements sont décidées par des hommes et femmes élus au pouvoir pour des mandats courts, sans réellement consulter les fonctionnaires d’État qui se concentrent uniquement sur la politique étrangère de leurs pays pendant de longues années, voire tout au long de leur carrière. L’année dernière, le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères a connu une grève historique: plus de 600 diplomates français se sont mobilisés contre la réforme de la haute fonction publique d’Emmanuel Macron qui prévoit la suppression des corps des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires, les deux plus hauts grades du Quai d’Orsay, hormis le ministre. «Une faute historique», affirmait l’ancien ministre des Affaires étrangères et ancien Premier ministre Dominique de Villepin, soulignant le risque d’une «perte d’indépendance, de compétence, de mémoire qui pèsera lourd dans les années à venir».
https://twitter.com/Villepin/status/1516457489138692100
Aux États-Unis, les dissensions internes entre le Département d’État, le Département de défense et la Maison-Blanche sont inhérentes à la structure même de prise de décision, notamment au sein du Conseil de sécurité nationale qui est un acteur à part entière de la politique étrangère américaine. Le poids du militaire, du sécuritaire et du renseignement au sein du Conseil, ainsi que les intérêts politiques nationaux ou électoraux des responsables, prennent parfois le pas sur les recommandations des fonctionnaires diplomatiques. Ces derniers sont contraints de se conformer aux décisions de leur hiérarchie ou de démissionner.
En 1971 est mise en place la «dissent channel» («chaîne de contestation»), permettant aux fonctionnaires de contester les politiques des pouvoirs publics sans peur de représailles, les câbles diplomatiques étant supposés rester confidentiels. Ce système permet au secrétaire d’État de prendre le pouls de son département sans risquer de perdre ses fonctionnaires comme en 1968, lorsque 266 diplomates ont présenté leur démission pour protester contre les opérations militaires secrètes du président Lyndon Johson au Viêtnam. Ces télégrammes diplomatiques «dissidents» n’ont, pour l’instant, jamais eu d’effets concrets sur la diplomatie américaine.
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