Après huit années d'investigations minutieuses, la justice française a décidé de renvoyer en procès Bill Pallot, éminent expert de l'art du mobilier français du dix-huitième siècle, pour avoir fabriqué de faux meubles d'époque. Ces derniers ont été acquis par le château de Versailles entre 2008 et 2015, constituant l'un des plus grands scandales de contrefaçon de ces dernières années.
Selon une ordonnance du juge d’instruction, en date du lundi 13 septembre, que l’Agence France-Presse a consultée mercredi, six personnes physiques et une prestigieuse galerie d’antiquaires parisienne seront jugées par le tribunal correctionnel de Pontoise. Cette affaire a ébranlé le monde discret des antiquaires et des monuments historiques. Ce dossier trouve son origine dans le «pari» de deux hommes, enivrés par leur capacité à duper les spécialistes et acquéreurs de l’art français du dix-huitième siècle. Bill Pallot, surnommé le «Père La Chaise», âgé de 59 ans, reconnu pour ses élégants costumes trois-pièces et ses cheveux longs, est notamment mis en cause pour tromperie. Spécialiste incontesté du mobilier royal du dix-huitième siècle, il est l’auteur d’un ouvrage de référence mondial sur le sujet. Bruno Desnoues, ébéniste et meilleur ouvrier de France du quartier historique du Faubourg Saint-Antoine à Paris, est également impliqué.
À partir de 2007-2008, le duo a produit et vendu une poignée de faux sièges, prétendument des pièces rarissimes du mobilier d’époque, ayant appartenu à des figures historiques comme Madame du Barry ou la reine Marie-Antoinette. Cette supercherie leur a rapporté des centaines de milliers d’euros. Les pièces acquises par des galeries renommées ont été revendues à des clients prestigieux, dont un prince qatari, avec des marges substantielles. «Il y en a qui se sont bien gavés au passage», a déclaré l’ébéniste lors de son interrogatoire, découvrant les prix pratiqués. Parmi les acquéreurs finaux, le château de Versailles a acheté de fausses chaises estampillées Louis Delanois, une chaise Georges Jacob et une bergère Jean-Baptiste Sené, célèbres ébénistes du dix-huitième siècle. Malgré certaines alertes, le stratagème est resté longtemps indétecté, comme l’a admis Bill Pallot devant le juge d’instruction. La chute du réseau a été initiée par la cellule anti-blanchiment Tracfin en 2014, qui a détecté des opérations financières et immobilières suspectes d’un couple de Portugais dans le Val-d’Oise. Les enquêtes ont révélé leur lien avec l’ébéniste du Faubourg Saint-Antoine, menant à la découverte de ce trafic de meubles.
Bien que le juge d’instruction ait prononcé un non-lieu pour un expert d’art intermédiaire et un doreur, impliqués dans l’affaire sans être au courant de la supercherie, la galerie d’antiquaires Kraemer et l’un des frères Kraemer, Laurent, sont renvoyés devant le tribunal. Bien que l’accusation d’escroquerie en bande organisée ait été abandonnée, ils sont accusés de ne pas avoir effectué de vérifications suffisantes sur les meubles. Les avocats de la galerie Kraemer, Mauricia Courrégé et Martin Reynaud, ont exprimé auprès de l’AFP leur impatience de démontrer l’innocence de leurs clients, victimes selon eux de cette affaire. Certains meubles initialement visés par l’enquête ont été écartés, comme une seconde paire de chaises «du Barry» et une veilleuse à la turque, achetées par Versailles.
Lorsque le scandale a éclaté en 2016, révélant cette affaire de contrefaçons, le ministère de la Culture a exigé une inspection approfondie des méthodes d’acquisition du château de Versailles. Un rapport, élaboré l’année suivante et intégré au dossier judiciaire, dénonce vivement les «dysfonctionnements» et le «défaut de vigilance» au sein de cet établissement public. L’administration a ainsi enjoint le château de Versailles à «réviser dans les meilleurs délais et en profondeur» ses procédures d’acquisition.
Avec AFP
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