Le projet de Budget 2022 qui sera entamé lundi par le gouvernement comprend deux points essentiels qui octroient des prérogatives exceptionnelles au ministre des Finances et qui constituent une hérésie constitutionnelle et fiscale.
Si l’étonnement est aux fondements de la philosophie, il n’est pas étranger non plus au « Droit » au Liban, s’il est encore possible de parler de Droit dans un pays où ceux qui sont supposés le faire (les députés), l’appliquer (les ministres) et le protéger (les juges et les forces de sécurité) faillissent lamentablement, tous les jours.
Nouveau motif d’étonnement, et nouvelle preuve de banqueroute économique, juridique et morale : le projet de loi des finances 2022 (le Budget) qui vient d’être remis par son auteur, le ministre des Finances, au Conseil des ministres.
Le Budget de l’an 3 de la faillite officielle de l’Etat libanais aurait dû, pour le moins, contenir des réformes structurelles, pour mettre fin à la gabegie et au pillage du Trésor public : inter alia arrêter l’hémorragie de l’Electricité, qui continue de saigner les réserves de la Banque du Liban (BDL); alléger le secteur public surdimensionné, qui a été illégalement gonflé après la promulgation de la loi No.46/2017, dont l’article 21 avait prohibé toute forme de recrutement. Et ce Budget aurait dû favoriser la reprise économique en s’appuyant, par exemple, sur le Rapport McKinsey, intitulé « Une Vision Economique pour le Liban » et publié suite à l’arrêté ministériel No.13669/2017.
Un budget pour le secteur public, aux dépens du secteur privé
En lieu de ceci, le Budget 2022 continue sans vergogne sur la lancée de ses prédécesseurs : grever d’encore plus de taxes, d’impôts et de droits douaniers ce qui reste du secteur privé (et encore, seulement la partie du secteur privé qui n’échappe pas au contrôle injuste et discriminatoire de l’Etat central, et qui n’a pas la « chance » d’être située dans les larges pans du territoire qui échappent à l’Etat … et à son Budget), pour gaver un secteur public pléthorique qui ne remplit plus ses fonctions les plus élémentaires. Impôts, taxes, droits douaniers pour le secteur privé ; aides exceptionnelles, allocations de transport, augmentations pour le secteur public. D’un côté, la « usual victim », et de l’autre le « usual suspect ». Comme l’a dit Jessy Trad, de la chaîne MTV, ce Budget « sanctionne celui qui travaille et qui déclare ».
Pour faire passer la pilule, un risible article du Budget (l’article 25) donne des avantages fiscaux aux « start up companies » (en anglais dans le texte) ; à se demander qui veut ou peut encore démarrer une société dans un pays où il faut des semaines pour enregistrer un simple procès-verbal auprès d’un Registre de commerce dont la politique est visiblement de faire fuir ce qui reste comme sociétés au Liban, sous couvert d’appliquer la réforme mal pensée de 2019 du Code de Commerce, et notamment son article 101 tel qu’amendé.
Mais surtout le Budget 2022 contient deux pépites qui retiennent toute notre attention : l’article 109, qui octroie au ministre des Finances un pouvoir qui viole l’article 82 de la Constitution ; et l’article 133, qui met ce ministre en position de rendre encore plus chaotique, si possible, la situation monétaire et fiscale.
L’article 109 du Budget ; une hérésie constitutionnelle
Commençons par l’article 109 du Budget 2002, en rappelant d’abord les dispositions de l’article 82 de la Constitution, inchangées depuis 1926 et que le Budget entend violer en 2022, pour ses 96 ans : « Aucun impôt ne peut être modifié ou supprimé qu’en vertu d’une loi ». Le pouvoir de lever et modifier l’impôt est au cœur des pouvoirs du Parlement, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision No.1 du 31/1/2002. Et que prévoit l’article 109 du Budget 2022 ? Tout simplement, que le ministre des Finances reçoit le pouvoir, pour une durée de deux ans (ce qui fait fi du principe de l’annualité de l’impôt), de modifier les abattements, les tranches et les taux de tous les impôts et taxes, par une simple décision émanant de lui, « en tenant compte des besoins de la situation économique et du taux de l’inflation » (sic).
S’il n’est pas inhabituel que le Parlement délègue à l’Exécutif certains pouvoirs (les décrets-lois en sont un exemple), cela est rare ; cela se fait généralement en faveur du Gouvernement ; et cela ne porte pas sur des questions aussi fondamentales et régaliennes que l’impôt, que la Constitution a singularisé et affecté au Parlement de manière exclusive. De surcroît, ce blanc-seing octroyé au ministre des Finances semble lui permettre de donner un caractère « mobile » à ses décisions, tenant compte de la situation économique et de l’inflation.
L’article 133 du Budget ; une hérésie fiscale et économique
Cette mobilité, source d’instabilité fiscale, ennemie de toute initiative privée, est renforcée par la seconde pépite du Budget 2022 : son article 133. Le ministre des Finances (mais aussi le Gouvernement) peut, dans le but de lever et de percevoir les impôts et taxes, fixer le taux de conversion des devises étrangères. Cet article 133, allié à l’article 109, sonne le glas de toute stabilité et ouvre la porte devant l’arbitraire. Illustrons, pour simplifier: un contribuable reçoit un montant en Lollars, qui rentre dans l’assiette de son impôt; la Banque du Liban (BDL) fixe, notamment dans la Circulaire 151, le taux de conversion des Lollars en Livres Libanaises (LL) ; la banque de ce contribuable fixe un plafond mensuel des montants en Lollars qui sont convertibles en LL et mis à sa disposition ; en vertu de l’article 133, le ministre des Finances fixe un taux de conversion en LL (pour déterminer l’assiette de l’impôt), qui est détaché/différent de ce que la BDL et la banque du contribuable ont décidé. Résultat : quel que soit le taux fixé par le ministère des Finances, il y aura immanquablement, une distorsion entre ce taux et celui fixé par la BDL, et le plafond fixé par la banque ; ce plafond fera que le contribuable qui reçoit des Lollars sera toujours lésé : souvent, il recevra moins de LL au taux de la Circulaire 151 que ce dont il a besoin pour payer l’impôt au taux du ministère des Finances et, en même temps, pour subvenir à sa consommation personnelle.
Pour éviter cette distorsion préjudiciable au contribuable, le taux de conversion du Lollar en LL, pour les besoins de la détermination de l’impôt, doit rester unifié entre la BDL et le ministère des Finances (comme c’est la cas actuellement), et ce taux doit tenir compte de la Circulaire 151. Donc, ce taux de conversion du Lollar en LL, pour les besoins de la détermination de l’impôt, doit rester entre les mains de la BDL (comme c’est le cas aujourd’hui) ; sinon, le taux de la Circulaire 151 et le plafond applicable par la banque du contribuable devraient tous deux être fixés par le ministère des Finances, ce qui est pratiquement impossible et contraire aux dispositions de l’article 70 et suivants du Code de la Monnaie et du Crédit.
Pour éviter ces conséquences néfastes et les distorsions économiques et financières résultant de la multiplicité des taux de change, il faudrait arriver à une unification des taux, dans le cadre d’un programme global de réformes macroéconomiques, bancaires, financières et fiscales.
Misère du citoyen-contribuable
Une banque centrale qui se débat dans une politique monétaire désordonnée, coûteuse et sans horizon ; un ministère des Finances qui interprète à sa manière la philosophie fiscale de la redistribution des richesses ; un Exécutif otage de forces extraconstitutionnelles ; un Parlement qui ne peut ni ne sait ; et un citoyen-contribuable miséreux qui n’attend plus ni réformes ni relance, mais seulement de nouvelles charges et de nouvelles injustices ; c’est le Liban/Bilan de 2022.
Si l’étonnement est aux fondements de la philosophie, il n’est pas étranger non plus au « Droit » au Liban, s’il est encore possible de parler de Droit dans un pays où ceux qui sont supposés le faire (les députés), l’appliquer (les ministres) et le protéger (les juges et les forces de sécurité) faillissent lamentablement, tous les jours.
Nouveau motif d’étonnement, et nouvelle preuve de banqueroute économique, juridique et morale : le projet de loi des finances 2022 (le Budget) qui vient d’être remis par son auteur, le ministre des Finances, au Conseil des ministres.
Le Budget de l’an 3 de la faillite officielle de l’Etat libanais aurait dû, pour le moins, contenir des réformes structurelles, pour mettre fin à la gabegie et au pillage du Trésor public : inter alia arrêter l’hémorragie de l’Electricité, qui continue de saigner les réserves de la Banque du Liban (BDL); alléger le secteur public surdimensionné, qui a été illégalement gonflé après la promulgation de la loi No.46/2017, dont l’article 21 avait prohibé toute forme de recrutement. Et ce Budget aurait dû favoriser la reprise économique en s’appuyant, par exemple, sur le Rapport McKinsey, intitulé « Une Vision Economique pour le Liban » et publié suite à l’arrêté ministériel No.13669/2017.
Un budget pour le secteur public, aux dépens du secteur privé
En lieu de ceci, le Budget 2022 continue sans vergogne sur la lancée de ses prédécesseurs : grever d’encore plus de taxes, d’impôts et de droits douaniers ce qui reste du secteur privé (et encore, seulement la partie du secteur privé qui n’échappe pas au contrôle injuste et discriminatoire de l’Etat central, et qui n’a pas la « chance » d’être située dans les larges pans du territoire qui échappent à l’Etat … et à son Budget), pour gaver un secteur public pléthorique qui ne remplit plus ses fonctions les plus élémentaires. Impôts, taxes, droits douaniers pour le secteur privé ; aides exceptionnelles, allocations de transport, augmentations pour le secteur public. D’un côté, la « usual victim », et de l’autre le « usual suspect ». Comme l’a dit Jessy Trad, de la chaîne MTV, ce Budget « sanctionne celui qui travaille et qui déclare ».
Pour faire passer la pilule, un risible article du Budget (l’article 25) donne des avantages fiscaux aux « start up companies » (en anglais dans le texte) ; à se demander qui veut ou peut encore démarrer une société dans un pays où il faut des semaines pour enregistrer un simple procès-verbal auprès d’un Registre de commerce dont la politique est visiblement de faire fuir ce qui reste comme sociétés au Liban, sous couvert d’appliquer la réforme mal pensée de 2019 du Code de Commerce, et notamment son article 101 tel qu’amendé.
Mais surtout le Budget 2022 contient deux pépites qui retiennent toute notre attention : l’article 109, qui octroie au ministre des Finances un pouvoir qui viole l’article 82 de la Constitution ; et l’article 133, qui met ce ministre en position de rendre encore plus chaotique, si possible, la situation monétaire et fiscale.
L’article 109 du Budget ; une hérésie constitutionnelle
Commençons par l’article 109 du Budget 2002, en rappelant d’abord les dispositions de l’article 82 de la Constitution, inchangées depuis 1926 et que le Budget entend violer en 2022, pour ses 96 ans : « Aucun impôt ne peut être modifié ou supprimé qu’en vertu d’une loi ». Le pouvoir de lever et modifier l’impôt est au cœur des pouvoirs du Parlement, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision No.1 du 31/1/2002. Et que prévoit l’article 109 du Budget 2022 ? Tout simplement, que le ministre des Finances reçoit le pouvoir, pour une durée de deux ans (ce qui fait fi du principe de l’annualité de l’impôt), de modifier les abattements, les tranches et les taux de tous les impôts et taxes, par une simple décision émanant de lui, « en tenant compte des besoins de la situation économique et du taux de l’inflation » (sic).
S’il n’est pas inhabituel que le Parlement délègue à l’Exécutif certains pouvoirs (les décrets-lois en sont un exemple), cela est rare ; cela se fait généralement en faveur du Gouvernement ; et cela ne porte pas sur des questions aussi fondamentales et régaliennes que l’impôt, que la Constitution a singularisé et affecté au Parlement de manière exclusive. De surcroît, ce blanc-seing octroyé au ministre des Finances semble lui permettre de donner un caractère « mobile » à ses décisions, tenant compte de la situation économique et de l’inflation.
L’article 133 du Budget ; une hérésie fiscale et économique
Cette mobilité, source d’instabilité fiscale, ennemie de toute initiative privée, est renforcée par la seconde pépite du Budget 2022 : son article 133. Le ministre des Finances (mais aussi le Gouvernement) peut, dans le but de lever et de percevoir les impôts et taxes, fixer le taux de conversion des devises étrangères. Cet article 133, allié à l’article 109, sonne le glas de toute stabilité et ouvre la porte devant l’arbitraire. Illustrons, pour simplifier: un contribuable reçoit un montant en Lollars, qui rentre dans l’assiette de son impôt; la Banque du Liban (BDL) fixe, notamment dans la Circulaire 151, le taux de conversion des Lollars en Livres Libanaises (LL) ; la banque de ce contribuable fixe un plafond mensuel des montants en Lollars qui sont convertibles en LL et mis à sa disposition ; en vertu de l’article 133, le ministre des Finances fixe un taux de conversion en LL (pour déterminer l’assiette de l’impôt), qui est détaché/différent de ce que la BDL et la banque du contribuable ont décidé. Résultat : quel que soit le taux fixé par le ministère des Finances, il y aura immanquablement, une distorsion entre ce taux et celui fixé par la BDL, et le plafond fixé par la banque ; ce plafond fera que le contribuable qui reçoit des Lollars sera toujours lésé : souvent, il recevra moins de LL au taux de la Circulaire 151 que ce dont il a besoin pour payer l’impôt au taux du ministère des Finances et, en même temps, pour subvenir à sa consommation personnelle.
Pour éviter cette distorsion préjudiciable au contribuable, le taux de conversion du Lollar en LL, pour les besoins de la détermination de l’impôt, doit rester unifié entre la BDL et le ministère des Finances (comme c’est la cas actuellement), et ce taux doit tenir compte de la Circulaire 151. Donc, ce taux de conversion du Lollar en LL, pour les besoins de la détermination de l’impôt, doit rester entre les mains de la BDL (comme c’est le cas aujourd’hui) ; sinon, le taux de la Circulaire 151 et le plafond applicable par la banque du contribuable devraient tous deux être fixés par le ministère des Finances, ce qui est pratiquement impossible et contraire aux dispositions de l’article 70 et suivants du Code de la Monnaie et du Crédit.
Pour éviter ces conséquences néfastes et les distorsions économiques et financières résultant de la multiplicité des taux de change, il faudrait arriver à une unification des taux, dans le cadre d’un programme global de réformes macroéconomiques, bancaires, financières et fiscales.
Misère du citoyen-contribuable
Une banque centrale qui se débat dans une politique monétaire désordonnée, coûteuse et sans horizon ; un ministère des Finances qui interprète à sa manière la philosophie fiscale de la redistribution des richesses ; un Exécutif otage de forces extraconstitutionnelles ; un Parlement qui ne peut ni ne sait ; et un citoyen-contribuable miséreux qui n’attend plus ni réformes ni relance, mais seulement de nouvelles charges et de nouvelles injustices ; c’est le Liban/Bilan de 2022.
Nasri Diab
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