Putsch militaire au Burkina
©Les putschistes ont investi le siège de la télévision burkinabé d'où ils ont annoncé la prise du pouvoir. (AFP)

Des militaires en uniforme ont annoncé lundi à la télévision publique avoir pris le pouvoir au Burkina Faso et chassé le président Marc Roch Christian Kaboré, plongeant dans une nouvelle crise ce pays sahélien miné par d'incessantes attaques jihadistes.


Le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) "qui regroupe toutes les composantes des forces de défense et de sécurité a ainsi décidé de mettre fin au pouvoir de M. Marc Roch Christian Kaboré ce 24 janvier 2022", a annoncé le capitaine Kader Ouedraogo, entouré d'une quinzaine de militaires à la télévision.

Conséquence de ce coup de force initié dimanche par des mutineries dans des casernes du pays, les frontières terrestres et aériennes seront fermées à partir de minuit, le gouvernement et l'Assemblée nationale dissous et la constitution "suspendue".

Un couvre-feu est instauré de 21h00 à 5H00 (locales et GMT) sur le tout le territoire, a poursuivi Kader Ouedraogo qui lisait un communiqué signé du leader du MPSR, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, commandant de la 3è région militaire, qui apparaît comme le nouvel homme fort du pays.

Le MPSR s'est par ailleurs engagé "à proposer dans un délai raisonnable (...) un calendrier de retour à un ordre constitutionnel accepté de tous".

Il "appelle les patriotes, les Africains intègres et tous les amis du Burkina Faso à le soutenir et l'accompagner en ce tournant décisif de l'histoire de notre pays".

Une question demeure: où se trouve Roch Marc Christian Kaboré, qui présidait depuis 2015 le "pays des hommes intègres"?

Les militaires se sont contentés d'indiquer que "les opérations se sont déroulées sans effusion de sang et sans aucune violence physique sur les personnes arrêtées qui sont détenues dans un lieu sûr dans le respect de leur dignité", sans mentionner de noms.

Plus tôt dans la journée, le flou régnait sur le sort de M. Kaboré, des sources sécuritaires affirmant qu'il était aux mains des soldats, tandis qu'une source gouvernementale assurait qu'il avait été "exfiltré" dimanche soir par des gendarmes de sa garde.

Cette même source expliquait que "des éléments armés avaient tiré sur les véhicules de son convoi".

Lundi matin, un journaliste de l'AFP a vu près de la résidence du chef de l'Etat trois véhicules criblés de balles. Des traces de sang étaient visibles sur l'un d'eux.

Des tirs avaient été entendus dimanche soir près de la résidence du chef de l'Etat et un hélicoptère avait survolé la zone tous feux éteints, selon des résidents.

Sur le compte Twitter de M. Kaboré, un message posté en début d'après-midi, dont il était impossible de savoir s'il avait été écrit par lui directement, ni dans quelles circonstances, invitait "ceux qui ont pris les armes à les déposer dans l'intérêt supérieur de la Nation" et appelait au "dialogue et à l'écoute".

Au pouvoir depuis 2015, le président Kaboré, réélu en 2020 sur la promesse de faire de la lutte antijihadiste sa priorité, était de plus en plus contesté par une population excédée par les violences jihadistes et son impuissance à y faire face.

Des soldats se sont mutinés dimanche dans plusieurs casernes pour réclamer le départ des chefs de l'armée et des "moyens adaptés" à la lutte contre les jihadistes qui frappent ce pays depuis 2015.


L'ONU a fermement condamné lundi le "coup d'Etat" militaire au Burkina, appelant leurs auteurs "à déposer les armes" et à protéger "l'intégrité physique" du président Kaboré.

Auparavant, les Etats d'Afrique de l'Ouest et l'Union africaine ont dénoncé une "tentative de coup d'Etat" et le parti du président Kaboré, a dénoncé une "tentative avortée d'assassinat" du chef de l'Etat.

Les Etats-Unis et l'Union européenne ont eux demandé la "libération immédiate" de M. Kaboré, la France appelant ses ressortissants à la prudence et à éviter tout déplacement au Burkina.

Ce putsch survient à l'heure où le Sahel est de plus en plus déstabilisé par les jihadistes qui frappent aussi le Niger et le Mali voisin, pays qui a été le théâtre de deux coups d’Etat en quelques mois.

Au-delà, en Afrique de l’Ouest, la fragilité des Etats s’est aussi manifestée avec un coup d'Etat en Guinée.

Plusieurs manifestations de colère ont eu lieu depuis plusieurs mois dans les villes du Burkina pour dénoncer l'incapacité du pouvoir à contrer les attaques jihadistes que se multiplient, souvent interdites et dispersées par les policiers anti-émeutes.

Tout au long de la journée de dimanche, des manifestants ont apporté leur soutien aux mutins, avant d'être dispersés par la police.

De nouvelles manifestations de soutien ont eu lieu lundi.

Le camp Sangoulé Lamizana de Ouagadougou où des tirs avaient été entendus dimanche et où pourrait se trouver le président Kaboré est aussi celui où est incarcéré le général Gilbert Diendéré, proche de l'ancien président Blaise Compaoré renversé en 2014.

Le général Diendéré a été condamné à 20 ans de prison pour une tentative de putsch en 2015 contre le président Kaboré et est actuellement jugé pour son rôle présumé dans l'assassinat, en 1987, du président d'alors Thomas Sankara, icône panafricaine.

Le procès des assassins présumés de Sankara, qui devait entrer lundi dans la phase des réquisitoires et plaidoiries devant le tribunal militaire de Ouagadougou, a été reporté à une date indéterminée, selon une source judiciaire.

Dans le sillage du Mali et du Niger, le Burkina Faso est pris depuis 2015 dans une spirale de violences attribuées à des groupes armés jihadistes, affiliés à Al-Qaïda et au groupe Etat islamique qui ont fait en près de sept ans plus de 2.000 morts et contraint 1,5 million de personnes à fuir leurs foyers.

AFP

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