La France à la rescousse du Jabal Amel
Elle court, elle court, la rumeur d’après laquelle la diplomatie française assurerait une sortie honorable au Hezbollah. Pour ne pas subir les foudres israéliennes, le parti des ayatollahs se retirerait avec armes et bagages des régions s’étendant au sud du Litani, régions libanaises, faut-il le rappeler. Seule notre armée nationale et la Finul pourraient se cantonner et se mouvoir dans les zones évacuées, la milice chiite ne gardant que des points d’observation symboliques. Ce serait un franc succès pour la France qui assurerait un rôle de supervision.
Fini le prétexte des fermes de Chebaa, et aux oubliettes la libération de la Palestine et de la mosquée al-Aqsa! Serait-ce un premier pas en direction du désarmement des brigades pro-iraniennes? Si cela se faisait, Paris aurait épargné au Liban des épreuves similaires à celles que subit Gaza en ce moment, de même qu’elle aurait sorti le Hezbollah de l’impasse en lui sauvant quelque peu la face.
Certes, il s’agit du pays du Cèdre, et Paris se devait d’intervenir pour préserver ce dernier bastion de la francophonie au Moyen-Orient. Mais faut-il oublier pour autant l’histoire ancienne des relations tumultueuses entre les Français et le Jabal Amel? Rappelons que l’importance d’une diaspora chiite, francisée en Afrique de l’Ouest, n’expliquerait pas à elle seule l’intérêt que porte le Quai d’Orsay à cette région «en bisbille» avec Israël.
Sous le Mandat français
Avec la déclaration du Grand Liban, les chiites s’étaient rebellés contre l’autorité de la France mandataire, et l’épisode d’Adham Khanjar, qui lança une campagne de guérilla contre l’occupant, est encore vivace dans l’esprit des sudistes. Ce maquisard avait tendu en juin 1921 un guet-apens au haut-commissaire de l’époque, le général Gouraud, qui y réchappa par miracle. L’attentat coûta la vie au commandant Branet, et Khanjar dut se réfugier en Transjordanie. En juillet 1922, lors d’une de ces incursions en territoire syrien, il fut pris par les Français, condamné à mort et exécuté. Son arrestation en pays druze fut le signal d’une grande révolte; les troubles allaient gagner toute la Syrie et s’étendre jusqu’au Sud libanais, où les villages chrétiens allaient souffrir dévastations et pillages. Il n’en reste pas moins que le souvenir d’Adham Khanjar nourrit toujours le sentiment anti-impérialiste du Jabal Amel.
Mais les choses n’allaient pas en rester là. Des notables comme Youssef al-Zein et tant d’autres veillaient à ce que leurs coreligionnaires fissent la paix avec la puissance mandataire et par là même accédassent à l’État et aux services que celui-ci assurait. Écoutons le récit que nous fait Gabriel Puaux, haut-commissaire en Syrie et au Liban: «En octobre 1939, j’allais rendre visite à mes administrés du sud, à Saïda, Tyr, Nabatieh et Marjayoun. Il y eut des cavalcades et des arcs de triomphe. Nos automobiles, en entrant à Tyr, furent couvertes de pétales de fleurs et aspergées d’eau de rose. J’entendis louer les vertus de la France, «mère chérie des chiites»(1). De quoi rendre jaloux les maronites, qui considéraient la «tendre mère» (al-Umm al-Hanoun) comme leur exclusivité.
Quand Bonaparte assiégeait Acre…
Lors de cette visite, on n’a pas dû manquer de rappeler au représentant de la France l’appui que les chiites du sud avaient apporté à Bonaparte lors du siège d’Acre en 1799. Voyons ce qu’en dit Nicolas al-Turk, qui avait accompagné le jeune général français dans son expédition: «Quelque temps après, il (Bonaparte) accueillit les cheikhs métualis (sic), exilés depuis vingt-deux ans par Djezzar (Ahmad pacha al-Jazzar) et qui erraient aussi dans les montagnes et les déserts: le général en chef Bonaparte leur fit un accueil convenable, les revêtit de robes d’honneur et leur rendit l’autorité dont avaient joui leurs ancêtres dans le pays. Ils repartirent aussitôt et prirent possession de Tyr, des forteresses de Tebnin et de Hounin dans la montagne, ainsi que de tous les châteaux de la contrée des métualis. Dès qu’ils furent installés, ces cheikhs invitèrent toutes les villes à ravitailler le camp des Français de tout ce dont ils avaient besoin, moutons, bœufs et pain, menaçant d’incendier les villages qui s’abstiendraient.»(2) Ce ralliement des chefs chiites est également confirmé par Haïdar Chéhab(3), historien de la même époque qui élabore sur la question.
Ce n’est donc pas une première!
Tout concourt à perpétuer la tradition! Dès lors, pourquoi s’étonner que la France veuille se porter au secours du Hezbollah? Après tout, la diplomatie française s’est toujours singularisée dans le camp occidental en se démarquant de la ligne tracée par les États-Unis.
Mais, en somme, si le Hezbollah veut sauver sa peau, il le devra en grande partie à celui qui a martelé un certain 12 octobre: «Il ne peut jamais y avoir de oui mais... Israël a le droit de se défendre.» Et il s’agissait là du président français.

Cependant, le parti de Dieu peut choisir de garder la face. Dans une posture de bravade, il peut rejeter les conditions de Tel-Aviv, refuser d’évacuer unilatéralement le sud et exiger un retrait israélien équivalent, et jusqu’au sud de Haïfa. En crânant comme l’appelle à le faire le cheikh Naïm Kassem(4), il va pouvoir dire: «Le Jabal Amel, j’y suis, j’y reste.»
Alors là, nous entrerons dans un autre registre et les «pèlerins français de la paix» n’auront plus qu’à pourvoir à l’assistance humanitaire et dans l’urgence des appels au secours.
Youssef Mouawad
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  1. Gabriel Puaux, Deux années au Levant, Souvenirs de Syrie et du Liban (1939- 1940), Hachette, 1952, p. 160.

  2. Nicolas al-Turk, Chronique d’Égypte (1798–1804), éditée et traduite par Gaston Wiet, Le Caire, 1950, p. 58.

  3. Haydar Ahmad Chéhab, Loubnan fi ‘ahd al-oumara’ al-chéhabiyin, Beyrouth, 1969, tome I, p. 192.

  4. Naïm Kassem: «Non à l’affaiblissement du Hezbollah», Ici Beyrouth, 13 décembre 2023.

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