Chercher une querelle d’allemand à quelqu’un, c’est rechercher la dispute avec lui, c’est lui faire une mauvaise querelle. C’est le provoquer sous un prétexte fallacieux. Et c’est ce qui désigne l’offensive médiatique dont a injustement fait l’objet Mgr Moussa el-Hage. Serions-nous redevenus des dhimmis pour que le vicaire patriarcal maronite de Haïfa ait à se justifier? Et devant qui, des mamluks? (1). Voilà qu’il vient d’être accusé par certaines officines d’avoir fait partie de la délégation qui a présenté ses vœux au président israélien Isaac Herzog le 21 décembre dernier (2). C’était, aux yeux de ceux qui rapportaient l’incident, commettre une félonie alors que les Gazaouis se faisaient massacrer. Or Mgr El-Hage n’était pas du nombre des dignitaires chrétiens qui se sont prêtés à la cérémonie du «salamalec»: on n’avait qu’à consulter la photo-souvenir qui a immortalisé l’instant incriminé de cette pseudo-concorde judéo-chrétienne.
Mais le maronite a bon dos et c’est lui qu’il faut abattre en priorité! Car c’est lui qui toujours crâne. Déjà en juillet 2022, ce même dignitaire religieux avait subi un interrogatoire de plusieurs heures au poste frontalier de Naqoura, comme il avait été convoqué devant un tribunal militaire contrairement à tous les usages attestés. C’est que le parti iranien est aux commandes; il a noyauté l’administration. On n’est plus chez nous.
L’exercice de dhimmitude
Les chrétiens n’ont jamais connu un tel régime discriminatoire depuis la proclamation de l’État du Grand Liban en septembre 1920. Ils ont beau détenir des postes qui leur sont exclusivement alloués au plus haut niveau de l’État, le pouvoir leur échappe insensiblement et le duo chiite n’a qu’une ambition, celle de les remplacer ou de les domestiquer.
Un porteur de la bonne parole pouvait nous assurer que tout ce qui arrivait était malheureux et que les nasara devraient faire preuve d’un peu plus de souplesse maintenant que la balance ne penche plus en leur faveur puisque la France les a abandonnés. Mais que, par ailleurs, ils n’avaient pas à se faire du souci: l’homme fort, qui bénéficie de l’appui de Téhéran, est tout disposé à les protéger mais pour cela point d’illusions, point d’ambitions excessives.
Gözümüz yok
Il nous est demandé de faire preuve d’un peu plus de diplomatie, d’un peu plus de malléabilité. Quel intérêt à résister puisque celui qui domine fera toujours prévaloir son point de vue? Qu’est-ce qui nous empêche d’être de vils adulateurs pour assurer notre survie? Et puis, on n’a qu’à faire antichambre chez les maîtres de l’heure pour éviter le régime des avanies et celui des vexations publiques! Comme celle qu’on vient d’imposer à Mgr El-Hage.
Un peu moins de raideur, voyons! Un peu de savoir-faire! Du doigté, nous dit-on.
Dans son autobiographie, le metteur en scène américain Elia Kazan, fils d’immigrés grecs originaires d’Anatolie, parle des «distorsions caractérielles» de son propre père qui, même installé aux États-Unis, vivait encore dans le culte du gözümüz yok: ce qui veut dire en turc «nous n’avons pas d’yeux». En d’autres termes, certaines personnes ne veulent rien savoir des humiliations qu’on leur inflige. Et c’est là peut-être le secret de leur survie (3). Charmantes perspectives en ce début d’année 2024.
Querelle d’allemand ou d’iranien, face à cette tentative de downgrading, nous n’aurions qu’à entrer en résistance, comme d’autres prendraient le maquis. Et qui vivra verra!
L’ennui c’est que le Hezb et son parèdre ont pu croire que nous avons perdu nos mauvaises habitudes: celle de dire Non et celle de dire Zut.
Youssef Mouawad
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1-Youssef Mouawad, Tiens me revoici dhimmi !, OLJ, 29 septembre 2015.
2-Amine Iskandar a très bien détaillé les phases de l’opération: Amine Jules Iskandar, Du takfirisme de Daech au «takhouinisme» du Hezb, Ici Beyrouth, 30 décembre
3- Youssef Mouawad, «Exercice de Dhimmitude: Patriarche Elias Hoyek versus Jamal pacha», dans Maronites dans l’Histoire, De Rebus Maronitarum, 2017, pp.119-142.
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