Si vous voulez vous amuser à réciter les entraves à l’investissement et au développement économique dans le pays, vous avez amplement le choix. D’ailleurs, je ne suis pas sûr que les mégabytes alloués à cette rubrique soient suffisants.
Pêle-mêle, on peut citer: les administrations fermées, semi-fermées ou entrebâillées, de sorte que les formalités deviennent un parcours de combattant perdu d’avance. Puis le budget de l’État qui ne prévoit presque aucune dépense d’investissement. Puis le blocage bancaire qui a paralysé leur rôle économique. Puis le «risque géopolitique», terme savant qui désigne tout bêtement une faction de têtes brûlées, qui se croient sorties de la cuisse du Mollah suprême.
Mais, rassurez-vous, on ne va pas refaire le monde, ni rêver, le temps d’un article, d’un paradis de business, à l’image d’un certain Dubaï. Pour la petite histoire, son chef, cheikh Mohammed ben Rached, qui venait souvent au Liban avec ses parents alors qu’il était encore tout jeune, a confié dans une autobiographie sortie en 2019: «I had a dream for Dubai to become like Beirut some day» («Je rêvais de faire un jour de Dubaï un autre Beyrouth»).
Mais, mettons de côté ces nostalgies assassines et essayons de lister quelques pistes qui peuvent insuffler des gorgées d’oxygène dans l’économie locale.
Une première piste est de miser sur des projets financés par des organismes étrangers. Là où il n’y a presque pas de contribution des autorités locales. Cela paraît évident d’en profiter. Eh bien non, vous n’y êtes pas. C’est qu’on a l’habitude ici de tellement tergiverser et atermoyer sur de tels projets… jusqu’à l’éclatement de la vésicule biliaire du donateur.
La ratification de chacun de ces projets prend souvent des années. Et, même avec cet aval, tout peut arrêter un projet qui doit booster une région ou un secteur, faire travailler des entrepreneurs locaux et injecter de la liquidité.
Prenons le grand projet d’élargissement de l’autoroute du nord Dbayé-Tabarja, financé par la Banque européenne d’investissement et vital pour tout le nord du pays. Le concept date de 2006, mais ce n’est que des années plus tard que le projet a été avalisé. En octobre 2019, les travaux ont démarré… et se sont arrêtés quelques jours plus tard, à la suite du déclenchement de la crise. Théoriquement, rien n’empêche leur reprise, car le budget, en euros, est entièrement couvert, mais cela paraît peu probable, personne ne semble s’y intéresser.
En réalité, ne se comptent plus les projets initiés à un moment ou un autre par des organismes internationaux, puis avortés par les autorités locales sans raison apparente, juste par insouciance, ou parce qu’on ne peut en tirer un profit personnel. Dont des projets vitaux comme celui mettant en place une structure de transport en commun, initié et défendu avec acharnement par la Banque mondiale pendant des années, mais décapité par nos dirigeants.
On se demande vraiment pourquoi ces bailleurs de fonds n’ont pas encore désespéré et poursuivent leur travail de Sisyphe. Dont justement un projet d’amélioration de 700 km de routes promu par la Banque européenne d’investissement, qui vient d’être approuvé par le Parlement. Mais ceci ne présage pas nécessairement qu’il va être exécuté.
Un autre exemple: après une demi-douzaine de tentatives échouées d’appels d’offres, le service de la poste agonise avec ses anciens opérateurs qui n’ont plus envie de faire des investissements. Que s’est-il donc passé? Rien de très original. Le groupe CMA CGM, de la famille Saadé, a été, à chaque fois, le seul candidat, et à chaque fois débouté, car le berryiste Wissam Achour semble vouloir remporter l’affaire à prix cassé et sans candidater.
Et c’est ainsi que l’affaire s’est bloquée, lésant des millions d’individus et des milliers d’entreprises qui dépendaient du service de la poste. Pour l’anecdote, CMA se présente juste par souci philanthropique; on imagine mal leur intérêt là-dedans alors qu’ils ont fait un profit net de 25 milliards de dollars en 2022, plus que le PIB du Liban.
Terminons avec le secteur bancaire, encore lui. On sait que les banques n’offrent plus de crédits, même en dollars frais, malgré les quelques milliards de dépôts qu’elles ont amassés ces dernières années. Pourquoi? Pour deux raisons réglementaires. D’abord, une circulaire de 2021 de la banque centrale oblige les banques à placer à l’étranger 100% des dollars frais déposés dans leurs caisses locales; histoire de tranquilliser les déposants sur leur argent. Mais, une circulaire peut être modifiée, afin de permettre une levée partielle de cette obligation et l’ouverture d’une lucarne de crédit.
L’autre raison est qu’une ancienne loi donne le droit à tout débiteur de rembourser son prêt en LL au taux officiel (soit 15.000 LL le dollar). Autrement dit, vous pourriez rembourser un crédit de 1.000 dollars frais par une liasse de 15 millions de LL. Évidemment, nos députés, fervents législateurs comme ils sont, n’ont pas pensé à amender cette loi absurde, qui empêche tout crédit bancaire. Et ce, au moment où les crédits sont plus que jamais un élément vital pour les individus et les entreprises et un facteur de développement indispensable.
En plus, cela donnerait l’occasion aux banques de dégager quelques liquidités, ce qui leur permettrait d’être un peu plus généreuses avec leurs déposants. Tout le monde y gagne et c’est peut-être cela qui inquiète nos dirigeants.
Pour résumer, toutes les fois que vous aurez besoin d’un service vital, vos dirigeants se feront un plaisir de vous dire comment vous en passer.
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