Netanyahou au péril de la paix


 
Pour le lecteur assidu d’une certaine presse israélienne, il est clair que Benjamin Netanyahou voulait passer à la postérité pour un personnage biblique. Moïse, Josué ou Gédéon, au choix! Cet homme, qui a marqué la politique de l’État hébreu ces vingt dernières années, comptait être reconnu dans l’Histoire: il aurait été celui qui avait poursuivi la colonisation de la Cisjordanie et démantelé ou mis à bas le nucléaire iranien. Or voilà qu’un certain 7 octobre 2023, le Hamas palestinien lui a fait un croc-en-jambe auquel il ne s’attendait pas. Monsieur «sécurité tous azimuts» a perdu de sa superbe. Fini les rêves de grandeur, et ce Premier ministre en exercice doit faire face à l’implacable réalité: l’opinion publique nationale, tout comme celle de la diaspora juive, le tient pour le premier responsable du désastre. D’après le quotidien Yediot Aharonot, 75% des Israéliens tiennent sa gestion pour comptable du raid sanglant qui a endeuillé le pays. «Il va falloir un règlement au sein de la société israélienne pour ce qui s’est passé», aurait déclaré un responsable au site Politico, avant d'ajouter «qu’en fin de compte, la responsabilité incombe au bureau du Premier ministre».

Netanyahou peut réduire Gaza à l’âge de pierre, mais c’en est fini de sa carrière politique. Napoléon, qui avait occupé Moscou en 1812, assista à l’incendie de cette ville, mais cet épisode allait marquer la fin de son ascension sur le théâtre européen des opérations. Comme l’empereur des Français, le Premier ministre israélien n’allait pas s’avouer vaincu pour autant. Il croit encore pouvoir offrir à son peuple des victoires éclatantes; il va profiter de l’union nationale autour de son armée en vue de poursuivre une guerre, qu’il prévoit longue, et surtout de se maintenir au pouvoir dans l’expectative d’un retournement de situation.
Les Falklands pour rappel
En somme, la poursuite des hostilités s’impose, non seulement pour éradiquer le Hamas, mais également pour assurer à l’équipe dirigeante une sortie honorable. Ce qui nous rappelle l’invasion des Malouines par l’Argentine. En 1982, à Buenos Aires, le gouvernement dictatorial était miné par la crise économique et par les violations des droits de l’homme. Sa légitimité étant largement contestée, il n’avait trouvé mieux que d’emprunter la voie de l’aventure militaire. À raison d’ailleurs, puisque l’invasion des Falklands cimenta aussitôt l’unité nationale autour de son pouvoir qui vacillait. Mais mal lui en prit: il eut affaire à Mrs Thatcher, Première ministre britannique, qui dépêcha ses forces aéronavales sur les lieux. On connaît la suite: le régime du général Videla succomba à son propre coup de poker. Mais aurait-il eu d’autres choix, pour se maintenir en selle, sinon l’escalade et la confrontation?
Dans le cadre d’un conflit, c’est le front intérieur qui insuffle l’élan. Cela vaut aussi bien pour l’Amérique latine que pour le Moyen-Orient. Au lendemain du 7 octobre, ce fut ce front intérieur qui commanda les cadences infernales qui ont abouti à un «domicide» à Gaza (1), à savoir la destruction indiscriminée des habitations. Et c’est ce front intérieur qu’il faut satisfaire dans un pays comme Israël qui est, ne serait-ce que formellement, démocratique (2).


Cette manifestation ne retiendra pas le bras armé de Benjamin Netanyahou... (Crédits : Ahmad Gharabli/AFP- Tel Aviv 28-12-2023) amas mais pour lui Hamas mais mmmmmmmm
Certes, dans certains milieux, on exige désormais des élections anticipées pour renverser le gouvernement (3), mais il n’en reste pas moins que le peuple israélien, disons-le, crie vengeance. Hochstein a beau faire la navette d’un continent à l’autre, les États-Unis ont beau insister, le Hezbollah a beau faire preuve de prudence et bien calibrer ses ripostes, il n’empêche que, hormis quelques cercles d’intellectuels, nul lobby ne va freiner le cabinet militaire dans sa course infernale (4). Tant que ce dernier frappe fort, il ne viendrait pas à l’idée d’un groupe consistant de le retenir, même si l’on parle de plus en plus de baisser la violence d’un cran, ou d’une «guerre de moindre intensité». Quoique délégitimé, Bibi dispose d’un blanc-seing pour poursuivre son ratissage. Et la surenchère est la voie qu’il emprunte pour assurer sa survie politique.
Et le Liban dans tout ça?
Alors, pour ce qui est du Liban, seule la légalité internationale peut le protéger du désastre annoncé par les dirigeants à Tel-Aviv. L’application intégrale de la résolution 1701 arracherait à la machine de guerre israélienne le prétexte qu’elle cherche pour commettre un autre «domicide» au pays du cèdre. Mais le temps court et les diplomates s’activent pour désamorcer la crise. Vainement, dirais-je, notre souveraineté étant prise en otage. Car, s’étant saisi du pouvoir décisionnel, le parti des ayatollahs trône sur nous; il ne survit qu’en mobilisant ses troupes et en maintenant la tension dans les rangs de ses affidés. Pour sa propre rédemption, ce Hezbollah millénariste va ouvrir les portes de l’enfer.
 
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1- United Nations, Human Rights, “Domicide” must be recognized as an international crime, UN expert, 28 octobre 2022.
2- On ne peut pas en dire autant du Liban où l’on ne demande jamais aux leaders de rendre compte !
3- Dozens of protesters forcefully dispersed after blocking Knesset entrance, chanting “elections now”, Haaretz, 8 janvier 2024.
4- On se souvient en 1982 des manifestations citoyennes à Tel-Aviv et ailleurs pour dénoncer l’invasion du Liban, à la suite des massacres de Sabra et Chatila. Il ne faut pas trop y compter cette fois. Pas plus qu’on ne doit s’attendre à un rapport Kahane pour établir les responsabilités des uns et des autres.

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