Bernadette Houdeib, la bête de scène, rejaillit du «Magma»

Magma est le nom de la pièce écrite et mise en scène par Issam Bou Khaled, avec pour unique actrice, Bernadette Houdeib. Le duo scénique surprend encore un public assoiffé de théâtre et admirateur des deux artistes, par une idée, un texte, une scénographie et un jeu minutieux.
Magma, comme son nom l’indique, consiste en cette ébullition de feu prêt à jaillir à tout instant du volcan. «Tout comme ce magma, la femme que j’incarne, attend le moment propice pour exploser, prendre souffle et brûler. Cependant, sa voix demeure imperceptible, son anxiété est à son paroxysme et ses obsessions l’étouffent», raconte Bernadette Houdeib. Dans Magma, elle joue le rôle d’une femme dans toutes ses dimensions. «Cette pièce est le reflet même de l’angoisse de tout citoyen libanais, surtout durant la traversée de ces dernières années», poursuit-elle. «La femme pense incessamment aux évènements qui ont secoué son pays, notamment l’explosion du port de Beyrouth, entre autres. Magma est un cri social, politique, économique, le tout taillé dans un moule tragi-comique. C’est une pièce qui me représente aussi beaucoup personnellement, moi qui ai beaucoup souffert du racisme quand j’étais petite à cause de la différence de couleur de peau entre mes deux parents. Le personnage me ressemble à des détails près. Comme moi, cette femme ne boit pas d’eau.» En effet, Bernadette, de la vie aux coulisses, trimbale toujours avec elle, sa gourde de thé.
Acteur et metteur en scène, Issam Bou Khaled fait preuve, à travers ses créations, d’un talent et d’un esprit rebelle et novateur. Sa propre philosophie, trame et mise en scène accompagnée d’une scénographie réfléchie lui valent des coups de maître qui demeurent gravés dans notre mémoire collective. «Amusez-vous sérieusement», répète-t-il souvent, affirmant que travailler avec Bernadette Houdeib est un choix mûri, parce que nulle autre actrice ne pourrait aller jusqu’au bout – voire au-delà – de ses limites extrêmes de metteur en scène ni a cette expertise, ficelée de jeu. Sur les planches, elle est effectivement prête à se jeter, yeux fermés, dans la gueule du loup.

Son secret d’actrice accomplie pourrait être un mystère pour le public qui se demande d’où elle tire, à chaque fois, cette force d’interprétation pour des rôles aussi différents, elle qui atteste être à l’aise dans le comique aussi bien que dans le tragique. Cet éventail de jeu, même après une longue formation et une expérience cumulée, demeure presque inatteignable pour un acteur. «Je n’aime pas le comique gratuit, celui du texte qui fait rire, sans pour autant exprimer un message. Je suis plutôt pour le comique de situation», déclare-t-elle. Son premier atout est indéniablement son talent inné. Pour elle, le plus beau jour de sa vie était la première fois où, à l’école, elle avait mis les pieds sur les planches. C’était l’appel de la scène, le chant des sirènes auquel elle n’a pas résisté... celui qui sera à la base de son rêve de petite fille, son assiduité d’étudiante et sa discipline d’actrice.
L’actrice est infaillible face au trac de la scène: «J’ai toujours peur», dit-elle dans toute son humilité de grande actrice. Dans cette pièce précisément, il n’existe pas de répliques ping-pong; je n’ai pas d’interlocuteur. Normalement, je transpire beaucoup avant d’entrer en scène. Dans cette pièce, je suis en proie à des fourmillements. Je demeure figée. Je sens battre mon cœur, je n’arrive pas à sortir la voix et puis le rideau s’ouvre, je vois la lumière, j’effectue mon premier geste et je rentre dans le magma.» Ainsi évolue-t-elle sur scène, tel un poisson dans l’eau. Avant de mentionner la passion chez Bernadette Houdeib, il faudrait parler de son humanité. Elle a gagné le prix de la meilleure actrice en Tunisie pour la pièce Trio et pour Arkhabil, les deux mises en scène par Issam Bou Khaled. Elle a secoué les spectateurs jusqu’aux os dans le film Lamma Hekyit Mariam, face à Talal Jurdi – prix de la meilleure actrice à Paris, en Tunisie, à Alexandrie, au sultanat d’Oman et au Liban. Elle a cumulé rôle sur rôle, en est sortie victorieuse à chaque fois, devant un public admirateur, pleurant à chaudes larmes ou riant de tout son cœur, ovation après ovation. Elle ne s’est jamais pris la tête. Généreuse dans son jeu, comme dans les coulisses ou avec les personnes qu’elle rencontre dans la rue, au-delà de sa «persona», elle porte à chaque fois sur scène, la dimension humaine du personnage qu’elle joue. C’est toujours cela qui prime sur l’ego qu’une actrice de son calibre aurait pu avoir. Elle incarne ses rôles dans une mise à nu, faisant face aux émotions et à la difficulté physique ou mentale du jeu. Au-delà du paraître, elle décide d’être, tout simplement. Quant à son travail avec le metteur en scène, compagnon de vie et mari Issam Bou Khaled qu’elle a connu sur les bancs de l’université, elle affirme que c’est très dur pour elle de travailler avec lui. «Il est trop exigeant en tant que metteur en scène. Les répétitions sont très difficiles, tout comme son texte qui a beaucoup gagné en maturité au fil du temps. D’ailleurs, il est très méticuleux sur l’assemblage des mots. Pour lui, chaque mot, chaque syllabe, chaque point, chaque lettre, chaque souffle est important afin qu’il obtienne le résultat auquel il aspirait. Il est prêt à me pousser à bout pour faire ressortir le meilleur de ce que je pourrais donner en tant qu’actrice. À chaque nouvelle expérience, je me dis que c’est la dernière fois où l’on collaborera, tant les répétitions sont dures... mais quand je vois le résultat final et la réaction gratifiante du public, l’évidence ressurgit: cela en vaut vraiment la peine.»
Ce qui demeure une valeur sûre pour le public, c’est assister à une pièce d’Issam Bou Khaled, avec Bernadette Houdeib, la bête de scène, la belle de cœur.
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