Zeina Saleh documente le crescendo musical des talents féminins libanais
Dans son dernier ouvrage intitulé «Figures musicales au féminin», publié aux éditions Guenther, Zeina Saleh Kayali explore avec passion la contribution souvent négligée des artistes libanaises. Elle met ainsi en lumière vingt compositrices et quatre pianistes marquantes du XXe siècle. Elle rend également hommage à Myrna Boustani, une personnalité emblématique qui a contribué, pendant plus de trois décennies, à l'épanouissement musical au Liban, en semant les graines d'une appréciation renouvelée pour la musique d'art occidentale.
Au cours des siècles précédents, conjuguer la musique au féminin n'était pas une entreprise aisée. Les femmes ont longtemps été reléguées aux marges de la scène musicale, confrontées à des barrières culturelles et sociales qui ont entravé leur plein épanouissement ou expression artistiques. Malgré leur talent indéniable, de nombreuses compositrices et interprètes ont dû lutter contre des préjugés tenaces et une sous-représentation criante pour s'affirmer. Certaines n'ont malheureusement pas pu tenir le coup face à ces obstacles, mais d'autres, plus déterminées, ont réussi à laisser une trace pérenne. Leur persévérance et leur dévouement ont contribué à briser toutes sortes de barrières, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles générations de femmes musiciennes. Zeina Saleh Kayali célèbre la richesse et la diversité du talent féminin libanais en rendant hommage à 25 compositrices, pianistes et mécène dans son nouvel opus intitulé Figures musicales au féminin, le neuvième de sa collection Figures musicales du Liban, récemment publié aux éditions Geuthner.

Disparité de reconnaissance


Le 16 février, dans le cadre de la trentième saison musicale du Festival al-Bustan, la musicographe libano-française a signé son ouvrage à la Fondation Charles Corm, en présence d’une assistance nombreuse. Avec sa verve habituelle et une pointe d'humour, elle a ensuite pris la parole, mettant brillamment en avant les talents féminins qu'elle égrène et explore dans son onzième volume. Elle a alors expliqué qu’au Liban comme en Occident, les œuvres musicales composées par des femmes étaient souvent maintenues dans l'ombre des créations masculines. Cette disparité de reconnaissance, voire cette négligence délibérée, a malheureusement eu des répercussions majeures, conduisant in fine à sous-estimer et à minimiser de manière significative la contribution artistique des femmes dans le domaine musical. Dans ses propos, Zeina Saleh Kayali a évoqué des figures emblématiques, telles que Maria Anna Mozart (1751-1829), mais surtout Fanny Mendelssohn (1805-1847) et Clara Schumann (1819-1896), qui avaient toutes deux joué un rôle essentiel dans l'histoire de la musique d’art occidentale, mais dont l'héritage n'a pas été pleinement reconnu et célébré à la hauteur de leur talent.
«Avec le mouvement actuel de découverte et de redécouverte des compositrices en Occident, il était crucial de se pencher sur la contribution des compositrices et interprètes libanaises», a affirmé la conférencière durant sa présentation. Ainsi a germé l'idée d'élaborer un ouvrage rassemblant une pléiade de femmes ayant laissé leur empreinte, qu'elle soit marquée par une contribution significative ou plus discrète, dans le domaine musical au Liban. Figures musicales au féminin se structure en trois grandes parties. Le premier chapitre met en lumière vingt compositrices libanaises «éparpillées à travers le monde», comme on peut lire dans le préambule. L'auteure dresse de chacune de ces artistes un portrait biographique concis, accompagné d'une liste exhaustive de leurs œuvres, offrant, de ce fait, une perspective globale sur leur contribution musicale. Le deuxième chapitre est dédié à quatre «pianistes puissantes» qui ont marqué le paysage musical libanais du XXsiècle, à savoir Wadad Mouzannar (1919-2005), Samia Flamant (1929-2022), Diana Takieddine (1933-2018) et Zvart Sarkissian (1934-2015). Enfin, la troisième et dernière partie est consacrée à Myrna Boustani, une «militante musicale», pour reprendre les mots de Zeina Saleh Kayali, qui a fondé et continue de diriger – quoique symboliquement – le prestigieux Festival al-Bustan.

Dénicheuse de talents


Tout au long de deux décennies, la musicographe s'est investie avec zèle à dénicher, mettre en lumière et valoriser des compositeurs libanais, manifestant une passion palpable pour l'enrichissement de la scène musicale, notamment à travers la promotion de la musique d'art occidentale composée par ces artistes. «Certaines compositrices figuraient déjà dans mon tout premier ouvrage, intitulé Compositeurs Libanais: XXe et XXe siècle (Séguier, 2011). Il a fallu les recontacter pour mettre leurs fiches à jour, car elles avaient bien évolué depuis», explique-t-elle pour Ici Beyrouth, affirmant par ailleurs que d'autres, non incluses dans cette première parution, ont manifesté leur volonté d'y être présentes. Parallèlement, certaines ont attiré son attention au fil de ses lectures de comptes rendus de concerts ou au gré de sa participation à divers événements musicaux. «La recherche sur le terrain est donc cruciale», insiste-t-elle.  «J’ai appris l’existence de deux compositrices résidant et travaillant à New-York, car l’une d’elles m’a contactée pour m’informer de la fondation d’un ensemble instrumental, «Phoenicia», qui joue des pièces orientales, ajoute-t-elle. Il s’agit de Noémie Chemali et Mary Kouyoumjian, mais il était trop tard pour les inclure dans l’ouvrage!»

Manque de documentation


Zeina Saleh Kayali met en exergue le défi persistant découlant de l'insuffisance, voire parfois de l'absence, de sources écrites et d'archives pour appréhender de manière exhaustive l'évolution historique de la musique au Liban. Néanmoins, elle rend un vibrant hommage à l’héritage légué par d'éminentes figures de la scène musicale, à l'instar du compositeur Georges Baz (1926-2012). Celui-ci, durant de longues années, a tenu une chronique musicale dans L’Orient, intitulée «Beyrouth écoute» (de 1957 à 1962), puis dans La Revue du Liban, intitulée «Vie musicale» (de 1963 à 1976). Grâce à son dévouement, des archives substantielles éclairent désormais la vie musicale du XXe siècle au Liban, mettant notamment en lumière les quatre interprètes qui figurent au sein du nouvel ouvrage. «C'est une source extrêmement précieuse», souligne l’auteure avec vigueur, en précisant que la famille de Baz avait remis toutes ses archives au Centre du patrimoine musical libanais (CPML) lorsqu'il est décédé: «En puisant dans ces documents, j'ai pu rédiger un ouvrage sur sa vie et approfondir ma compréhension lors de l'élaboration de ce nouveau livre».
Bien que des progrès aient été accomplis, il reste encore du chemin à parcourir pour parvenir à une véritable égalité dans le monde de la musique, et la lutte pour conjuguer la musique aussi bien au masculin qu’au féminin se poursuit aujourd'hui. «J’espère que mon travail donnera aux compositrices libanaises un petit coup de projecteur! Et qu’il donnera aux interprètes et aux programmateurs de concerts l’envie de découvrir, de jouer et de programmer leurs musiques», espère Zeina Saleh Kayali. La conclusion de l'ouvrage se teinte d'une profonde admiration pour Myrna Boustani, que l'auteure considère comme son «idole». À travers ce dernier chapitre, elle témoigne de son respect profond pour cette figure éminente qui a admirablement façonné la scène musicale classique au Liban. Alors que d'autres festivals ont malheureusement dévié vers la musique de variété, Myrna Boustani a su préserver avec finesse l'héritage de la musique classique. «C’est une femme d'une grande bravoure qui a défié de nombreux interdits de son époque pour s’affirmer. Elle a marqué de manière notable toute une génération, à une époque où les femmes étaient souvent confinées au rôle d'épouses et de mères, sans voix significative dans d'autres domaines. Elle mérite plus que quiconque le titre de militante musicale», conclut la musicographe.
Commentaires
  • Aucun commentaire