Youmna, 40 ans, partage son expérience d’adultère. À travers une analyse de ce phénomène, nous tenterons d’appréhender, dans cet article, les raisons sous-jacentes qui poussent les individus à franchir les limites de la fidélité dans leurs relations amoureuses.
«Je m’appelle Youmna, aujourd’hui âgée de 40 ans. Mariée jeune à un homme aimé malgré son machisme, je me voyais en parfaite mère et épouse jusqu’à ce qu’une relation avec mon nouveau chef au travail me fasse voir autrement. Valorisée et désirée, cette liaison passionnée m’a plongée dans un questionnement profond. J’ai choisi de terminer cette aventure pour mon bien-être, sans jamais en parler à mon mari, en tirant une leçon de vie précieuse.»
Youmna est persuadée d’avoir trouvé chez un homme ce qui lui manquait auprès de son mari : une image narcissiquement valorisée. Elle a mis ensuite fin à cette aventure par peur d’être découverte, sans nous préciser ses états d’âme. Elle ne regrette rien, dit-elle. A-t-elle considéré cette affaire comme une infidélité ? En retournant auprès de son mari, a-t-elle vraiment résolu ses sentiments d’insatisfaction et de frustration ? Ou bien était-elle, inconsciemment, à la recherche d’une figure paternelle fantasmée et à jamais perdue ?
L’étymologie du vocable de fidélité explicite son sens : c’est la qualité d’un sujet constant dans ses sentiments, ses liens affectifs, sa conduite. Dans le cas d’un couple, c’est s’interdire de commettre un adultère. Dans ce sens, Youmna a été infidèle à son couple. Elle n’est certainement pas la seule dans cette situation : pour se débarrasser de l’inéluctable déception chaque fois qu’un sujet cherche à combler le vide qu’il recèle en lui, il recourt aux injonctions d’une société de consommation qui le pousse à rejeter tout sentiment de frustration et à trouver un produit humain ou matériel de satisfaction substitutive immédiate.
Se pose alors la question suivante : faut-il rejeter la notion de fidélité et la considérer comme encombrante et désuète, une empêcheuse de jouir instantanément d’un objet convoité ? Parvient-on, de cette façon, à éviter la souffrance et le sentiment de vide intérieur ? Rien n’est moins sûr.
Pour ceux qui en sont convaincus, être fidèle est un choix exigeant : il imprègne un sujet dans ses sentiments, ses pensées et ses actions. On est, en effet, d’abord fidèle à soi-même : aux valeurs auxquelles on adhère, à ses convictions, à une morale qui oblige au respect de l’autre, à une parole et à une promesse données, à une éthique dans l’exercice de sa profession ou de toute autre activité, etc.
Dans un couple, l’exigence de fidélité est un choix à partager : on est fidèle non par obligation, mais par conviction et ce choix doit être clairement exprimé au début d’une relation qui se veut durable : c’est un pacte de confiance partagé qui implique la responsabilité des deux partenaires, à la condition que cet idéal leur apparaisse, à tous les deux, fondamental à leur vie commune, déterminant le permis et l’interdit dans les relations. Certains, parmi la jeune génération actuelle, adoptent une position nuancée, ne considérant pas les aventures sexuelles de l’ordre de l’infidélité. Ils séparent la vie sexuelle de l’amour, ce qu’à l’époque S. Freud appelait un « ravalement de la vie amoureuse ». Car, affirment-ils, nul n’a l’assurance de ne pas séduire ou être séduit à l’avenir et de succomber à la pulsion. Ce qui est vrai. Cela signifie-t-il que l’un ou l’autre partenaire supportera une incartade sans souffrance ? C’est ce qu’ils expérimenteront tous les deux, avec l’espoir qu’ils en sortiront mûris. Car garder le sentiment amoureux ressemble à une course d’obstacles à surmonter, à tel point que J. Lacan a créé le néologisme d’«amur» pour illustrer ces pénibles épreuves.
Abordons maintenant la notion d’infidélité
Débarrassons-nous d’abord de trois stéréotypes culturels :
- De nos jours, l’infidélité est le fait des femmes aussi bien que des hommes.
- Les besoins sexuels et affectifs sont présents dans les deux genres, et la prétendue origine génétique de l’infidélité «naturelle» chez les hommes est une tarte à la crème dont se réjouissent les machos, et que certaines femmes acceptent trop passivement encore.
- Fantasmer érotiquement ou affectivement sur quelqu’un n’est pas de l’infidélité, tant que cela demeure dans le fantasme.
Quelles en sont les causes ? Elles sont diverses et peuvent se retrouver chez l’un et l’autre des partenaires.
Souvent, elles remontent à l’enfance : l’infidélité à l’âge adulte peut avoir pour source infantile un traumatisme subi, des carences affectives, une fragilisation du moi due aux conflits et aux tensions du couple parental. Certains ont eu le sentiment que leur naissance n’avait pas été désirée, d’autres ont souffert du départ ou de la mort précoce d’un parent auquel ils étaient très attachés, d’autres encore d’avoir été abandonnés aux soins d’une aide-ménagère dont le soudain départ a été traumatisant, etc.
La théorie de l’attachement, créée par le psychanalyste John Bowlby, lui-même ayant souffert d’un douloureux sentiment d’abandon, a mis en évidence que le type d’attachement avec lequel un enfant a été élevé peut être à l’origine de risques futurs d’infidélité conjugale.
Ainsi, un attachement de type anxieux chez certains enfants peut les conduire, à l’âge adulte, à vivre dans la crainte d’être rejetés par l’autre, menant à des difficultés de contrôle pulsionnel.
Si un enfant a vécu dans un milieu familial instable, peu fiable, insécurisant, l’adulte qu’il deviendra sera, peut-être, incapable d’établir des liens de confiance avec un partenaire. Ses actions seront plutôt imprévisibles et manqueront de la maturité affective indispensable à la construction de liens amoureux stables et durables.
Laissons les derniers mots à S. Freud : «Il est intéressant de voir que ce sont justement les tendances sexuelles inhibées quant au but qui aboutissent à des liens aussi durables unissant les hommes entre eux. Mais cela se comprend aisément par le fait qu’elles ne sont pas susceptibles d’une pleine satisfaction, alors que les tendances sexuelles non inhibées éprouvent, par la décharge survenant chaque fois que le but sexuel est atteint, une extraordinaire réduction. L’amour sensuel est destiné à s’éteindre dans la satisfaction ; pour pouvoir durer, il faut qu’il soit pourvu dès le début de composantes purement tendres, c’est-à-dire inhibées quant au but, ou bien qu’il subisse une transformation de ce type».
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