Saad Hariri: C’est pas demain la veille!

«Tu veux ou tu veux pas?», fredonnait Marcel Zanini à la fin des années 1960, et il poursuivait: «C’est comme ci ou comme ça. Ou tu veux ou tu veux pas.» Cette chansonnette semble avoir été écrite pour les foules qui, dans leur spontanéité ou dans l’embrigadement, ne cessaient ces jours-ci de réclamer le retour de Saad Hariri sur la scène politique libanaise. Car, de son côté, l’ex-président du Conseil semblait vouloir se faire prier pour rester parmi nous!
D’ailleurs, il ne semble pas que ses affidés aient beaucoup insisté puisqu’en fin de compte, c’est-à-dire au bout d’une semaine de séjour auprès des siens, Saad Hariri a jugé utile de regagner ses pénates, aux Émirats arabes unis, où il a élu domicile.
La rumeur, «transmise de bouche à oreille ou via les médias informationnels», rapporte qu’il a suffi à Hariri junior d’apporter la preuve qu’il est toujours le véritable leader de la «rue sunnite» et toujours en mesure de cristalliser l’électorat de Beyrouth autour de sa personne et de son programme. Cependant, la diffusion d’une telle rumeur par ses partisans n’aura pas suffi à combler le vide généré par le désarroi de la communauté sunnite laissée à l’abandon. Beyrouth a un poids historique, et on ne peut l’imaginer sans un zaïm! Pas plus qu’on ne peut concevoir Bkerké sans un patriarche ou Moukhtara sans un bey. La légitimité sunnite a longtemps été sapée par le pouvoir bassiste de Damas, et sa déshérence a perturbé l’équilibre déjà instable entre les diverses factions confessionnelles qui composent la mosaïque libanaise.
Alors, lorsqu’on dit que le «haririsme est incontournable», il faut s’empresser d’ajouter que les masses humaines que ce courant mobilise n’ont pas de mihrab ni de guide bien inspiré!
Tariq el-Jdidé réclame un zaïm
Lors des événements de 1958, Basta fut un foyer de rébellion contre le régime du président Chamoun et constituait un levier «armé» face à Gemmayzé, bastion légaliste et libaniste. Saëb Salam disposait dans les quartiers ouest de la capitale d’une «force de frappe» pour s’affirmer, déclarer la désobéissance civile et faire entendre son point de vue, le moment venu, à la table des négociations. L’équilibre armé entre deux quartiers ou deux factions pouvait assurer la dissuasion et par conséquent la paix civile. Aujourd’hui, Basta n’est plus dans Basta, et c’est Tariq el-Jdidé qui représente grosso modo l’électorat sunnite. Cela aurait été sans conséquence si Saad Hariri avait pu jouer le rôle du regretté Saëb Salam, lequel n’aurait pas hésité à appeler à l’insurrection quand l’injustice frappant sa «millet» se serait révélée flagrante.

Aujourd’hui, il est clair et tout aussi regrettable que la communauté sunnite, même largement représentée à tous les niveaux de l’administration, ne fait pas le poids dans la formule nationale comme elle le faisait à l’époque où Riyad el-Solh et Rachid Karamé occupaient la présidence du Conseil. Si l’État libanais est bancal de nos jours, c’est bien parce que ladite composante confessionnelle n’a pas voix au chapitre et que, de ce fait, elle ne peut imposer son rythme sur le cours des événements. Et elle ne pourra pas le faire tant qu’elle ne disposera pas d’un bras armé ou d’un pouvoir de dissuasion.
Un zaïm pour sortir de l’ornière!
«Chaque chose en son temps», a dit Saad Hariri à ceux qui le pressaient de reprendre la place politique qui lui revenait de droit. Mais si, d’après lui, son heure n’est pas encore venue, il faut qu’il admette que la nature a horreur, voire une sainte horreur, du vide! Car en ce moment, un constat s’impose, à savoir que les sunnites, sauf à recourir à Daech, sont isolés et désarmés: les fedayin palestiniens n’ont plus leur mot à dire depuis 1982; les chiites ont pris le pouvoir à Bagdad et les alaouites en Syrie; l’Égypte s’est retirée de la course, alors que l’Arabie saoudite nous boude. Ces mêmes sunnites, qui assuraient au Liban une ouverture sur le monde arabe, ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes. Le raid du Hezbollah sur Beyrouth en 2008 fut aussi bien un sacrilège qu’un Waterloo dont n’allait pas se relever une composante majeure de notre tissu social. Si Tariq el-Jdidé avait résisté comme Aïn al-Remmané lors de l’incident de Tayouné en octobre 2021, on n’en serait pas là. Car dans la foulée, les sunnites allaient perdre avec l’accord de Doha signé en mai 2008 ce qu’ils avaient engrangé avec l’accord de Taëf de septembre 1989. Dans les faits, il ne faut pas se leurrer: tout se ramène à l’antagonisme et à la confrontation et, au bout d’un épisode, au triomphe d’une volonté sur l’autre!
N’est-ce pas que l’histoire du Liban est le récit de la récurrence des mêmes thèmes? Alors seule une épreuve de force, qui n’exclut pas la violence, serait en mesure de rétablir la situation d’une communauté laissée pour compte. Mais à cette fin, il faudrait un chef. Et pas nécessairement un démocrate, ni un golden boy, ni un héritier présomptif!
Youssef Mouawad
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