©À l’occasion d’une conférence organisée par MENA Prison Forum, "Ici Beyrouth" a interrogé l’avocat des droits de l’homme Fritz Streiff, créateur du podcast «Branche 251».
À l’occasion d’une conférence organisée par MENA Prison Forum, Ici Beyrouth a interrogé l’avocat des droits de l’homme Fritz Streiff, créateur du podcast «Branche 251», qui reconstitue le calvaire des détenus dans les geôles syriennes et traque leurs tortionnaires du régime Assad.
Combien de criminels du régime syrien courent encore dans la nature ? Cette question, l’avocat des droits humains Fritz Streiff tente d’y répondre, en regroupant les sources et témoignages disponibles, en Allemagne et en Europe. Avec son podcast intitulé «Branche 251», l’avocat a retracé le parcours des bourreaux et des victimes du régime syrien, épisodes après épisodes.
Commencée le 1er mai 2020, la série audio en est désormais à son 75ᵉ épisode. Ce travail documentaire a couvert de manière continue les enquêtes judiciaires ouverte à l’encontre notamment d’Anwar Raslan et de Eyad el-Gharib.
En janvier 2022, à Coblence, en Allemagne, Raslan a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité, dont le meurtre de 27 détenus, et condamné à la perpétuité.
À l’occasion d’une conférence organisée par MENA Prison Forum – organisme créé et conceptualisé par Monika Borgmann et Lokman Slim –, les experts, acteurs de la société civile et ex-détenus ont retracés leurs propres parcours. Ici Beyrouth a questionné Fritz Streiff à cette occasion.
«Aucun ex-détenu ne connaît le motif de sa libération. En réalité, le régime opère de façon tout à fait calculée, pour terroriser mentalement les détenus», explique Fritz Streiff. «Tous ceux que j’ai rencontré se demandent pourquoi eux se retrouvent libres du jour au lendemain et pas leurs amis, sur quelles bases, etc. La torture mentale est dans la continuité des traitements subis. Cela permet de garder les dissidents du régime dans un état d’insécurité. Si le régime venait à justifier ces libérations, il se mettrait lui-même en danger, puisque ces arrestations sans fondement ni procès sont totalement illégales», selon l’avocat.
Le «momentum» Coblence
Le procès d’Anwar Raslan, premier haut-gradé du régime à avoir été condamné, a connu un retentissement considérable dans la communauté syrienne. Si la justice allemande a été efficace, l’avocat tiens à souligner le rôle des Syriens eux-mêmes. «Ces dossiers ouverts à l’encontre d’un régime qui est toujours en place sont très importants, puisqu’il est extrêmement difficile d’obtenir des documents sur place. Cela implique de se fier globalement aux témoignages des ex-détenus», explique M. Streiff.
«Sans ces courageux survivants, aucun procès n’aurait vu le jour ici en Allemagne. Je pense qu’il faut souligner leurs contributions, car la notion de crime contre l’humanité a aussi été reconnue. À cela, il faut ajouter les photos exfiltrées par César, montrant des milliers de personnes tuées sous la torture».
À Coblence, lors de l’audience, plusieurs moments forts ont émaillé la séance. «La projection des photos du rapport César était le moment le plus profond et le plus grave du jugement. La nature explicite des photos et l’impact de ces clichés servent à comprendre la notion intrinsèque de crime contre l’humanité». Le second moment fort concerne un témoignage relatif aux fosses communes, relate M. Streiff. «Il devait transporter les corps montrés dans le rapport César, de l’hôpital militaire vers les fosses communes, via des camions frigorifiques. Son témoignage a été déterminant pour prouver à la cour que l’organisation était millimétrée».
Enquêtes en série
D’autres investigations sont en cours envers le régime, et ce, depuis 2012. Elles sont regroupées en différentes catégories. Premièrement, les enquêtes qui ont débuté dès 2012, lorsque la Cour fédérale allemande a ouvert un dossier à l’encontre de la Syrie. «Cette procédure ne visait personne en particulier. Ceci avait pour but d’anticiper les futures arrestations de criminels du régime, afin d’avoir un cadre légal. Une enquête conjointe entre la France et l’Allemagne s’est également ouverte peu de temps après», explique Fritz Streiff.
La seconde catégorie regroupe les plaintes de réfugiés syriens en Europe, en Allemagne, en Suède et en Norvège, entre 2015 et 2018. Les plus connues émanent des avocats Mazen Darwich et Anwar al-Bunni contre des responsables de l’armée de l’air, dont Jamil Hassan est le chef. Suite à ces dossiers, un mandat d’arrestation a été émis à l’encontre de Jamil Hassan. «Certaines personnes oublient ces faits, mais dès 2018, le procureur fédéral l’a mis sur la liste des personnes recherchées. Il s’est rendu à Beyrouth à l’hôpital de l’AUB et n’a pas été arrêté par les autorités libanaises», souligne Fritz Streiff, qui rappelle le cas d’Ali Mamlouk, recherché par la France et l’Allemagne. «C’était un désastre absolu, Ali Mamlouk a pu voyager librement et sans entrave vers l’Italie. Cela rappelle comment les influences politiques peuvent entraver les processus judiciaires».
La troisième catégorie de procès concerne ceux qui ont eu lieu à Coblence et Francfort. Ils visent des personnes qui sont sur le sol européen. «D’autres crimes ont fait la Une de l’actualité, mais n’ont pas débouché sur des procès. Je parle des attaques à l’arme chimique, pour lesquelles des enquêtes sont ouvertes à Paris. Concernant les bombardements d’hôpitaux par l’armée russe, un dossier est en préparation contre la Russie à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)», relate M. Streiff.
«Concernant les attaques chimiques, nous avons ouvert des procédures en Allemagne, en Belgique et en Suisse en 2019, contre des entreprises belges et suisses pour violation des lois en vigueur. Cela concerne l’envoi de matériaux nécessaire à l’élaboration d’armes chimiques. Au début de l’année, un businessman franco-syrien a été arrêté à Marseille. Il est suspecté d’avoir procuré et vendu des composants nécessaires au régime syrien pour produire des armes chimiques», conclu Fritz Streiff, qui espère désormais voir s’accélérer les enquêtes et procédures judiciaires en cours, ajoutant que «les mandats d’arrestation ne sont pas obligatoirement publics. D’autres personnes pourraient être arrêtées lors de prochains voyages».
Le podcast « Branch 251 » (en anglais) est disponible sur Spotify.
Combien de criminels du régime syrien courent encore dans la nature ? Cette question, l’avocat des droits humains Fritz Streiff tente d’y répondre, en regroupant les sources et témoignages disponibles, en Allemagne et en Europe. Avec son podcast intitulé «Branche 251», l’avocat a retracé le parcours des bourreaux et des victimes du régime syrien, épisodes après épisodes.
Commencée le 1er mai 2020, la série audio en est désormais à son 75ᵉ épisode. Ce travail documentaire a couvert de manière continue les enquêtes judiciaires ouverte à l’encontre notamment d’Anwar Raslan et de Eyad el-Gharib.
En janvier 2022, à Coblence, en Allemagne, Raslan a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité, dont le meurtre de 27 détenus, et condamné à la perpétuité.
À l’occasion d’une conférence organisée par MENA Prison Forum – organisme créé et conceptualisé par Monika Borgmann et Lokman Slim –, les experts, acteurs de la société civile et ex-détenus ont retracés leurs propres parcours. Ici Beyrouth a questionné Fritz Streiff à cette occasion.
«Aucun ex-détenu ne connaît le motif de sa libération. En réalité, le régime opère de façon tout à fait calculée, pour terroriser mentalement les détenus», explique Fritz Streiff. «Tous ceux que j’ai rencontré se demandent pourquoi eux se retrouvent libres du jour au lendemain et pas leurs amis, sur quelles bases, etc. La torture mentale est dans la continuité des traitements subis. Cela permet de garder les dissidents du régime dans un état d’insécurité. Si le régime venait à justifier ces libérations, il se mettrait lui-même en danger, puisque ces arrestations sans fondement ni procès sont totalement illégales», selon l’avocat.
Le «momentum» Coblence
Le procès d’Anwar Raslan, premier haut-gradé du régime à avoir été condamné, a connu un retentissement considérable dans la communauté syrienne. Si la justice allemande a été efficace, l’avocat tiens à souligner le rôle des Syriens eux-mêmes. «Ces dossiers ouverts à l’encontre d’un régime qui est toujours en place sont très importants, puisqu’il est extrêmement difficile d’obtenir des documents sur place. Cela implique de se fier globalement aux témoignages des ex-détenus», explique M. Streiff.
«Sans ces courageux survivants, aucun procès n’aurait vu le jour ici en Allemagne. Je pense qu’il faut souligner leurs contributions, car la notion de crime contre l’humanité a aussi été reconnue. À cela, il faut ajouter les photos exfiltrées par César, montrant des milliers de personnes tuées sous la torture».
À Coblence, lors de l’audience, plusieurs moments forts ont émaillé la séance. «La projection des photos du rapport César était le moment le plus profond et le plus grave du jugement. La nature explicite des photos et l’impact de ces clichés servent à comprendre la notion intrinsèque de crime contre l’humanité». Le second moment fort concerne un témoignage relatif aux fosses communes, relate M. Streiff. «Il devait transporter les corps montrés dans le rapport César, de l’hôpital militaire vers les fosses communes, via des camions frigorifiques. Son témoignage a été déterminant pour prouver à la cour que l’organisation était millimétrée».
Enquêtes en série
D’autres investigations sont en cours envers le régime, et ce, depuis 2012. Elles sont regroupées en différentes catégories. Premièrement, les enquêtes qui ont débuté dès 2012, lorsque la Cour fédérale allemande a ouvert un dossier à l’encontre de la Syrie. «Cette procédure ne visait personne en particulier. Ceci avait pour but d’anticiper les futures arrestations de criminels du régime, afin d’avoir un cadre légal. Une enquête conjointe entre la France et l’Allemagne s’est également ouverte peu de temps après», explique Fritz Streiff.
La seconde catégorie regroupe les plaintes de réfugiés syriens en Europe, en Allemagne, en Suède et en Norvège, entre 2015 et 2018. Les plus connues émanent des avocats Mazen Darwich et Anwar al-Bunni contre des responsables de l’armée de l’air, dont Jamil Hassan est le chef. Suite à ces dossiers, un mandat d’arrestation a été émis à l’encontre de Jamil Hassan. «Certaines personnes oublient ces faits, mais dès 2018, le procureur fédéral l’a mis sur la liste des personnes recherchées. Il s’est rendu à Beyrouth à l’hôpital de l’AUB et n’a pas été arrêté par les autorités libanaises», souligne Fritz Streiff, qui rappelle le cas d’Ali Mamlouk, recherché par la France et l’Allemagne. «C’était un désastre absolu, Ali Mamlouk a pu voyager librement et sans entrave vers l’Italie. Cela rappelle comment les influences politiques peuvent entraver les processus judiciaires».
La troisième catégorie de procès concerne ceux qui ont eu lieu à Coblence et Francfort. Ils visent des personnes qui sont sur le sol européen. «D’autres crimes ont fait la Une de l’actualité, mais n’ont pas débouché sur des procès. Je parle des attaques à l’arme chimique, pour lesquelles des enquêtes sont ouvertes à Paris. Concernant les bombardements d’hôpitaux par l’armée russe, un dossier est en préparation contre la Russie à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)», relate M. Streiff.
«Concernant les attaques chimiques, nous avons ouvert des procédures en Allemagne, en Belgique et en Suisse en 2019, contre des entreprises belges et suisses pour violation des lois en vigueur. Cela concerne l’envoi de matériaux nécessaire à l’élaboration d’armes chimiques. Au début de l’année, un businessman franco-syrien a été arrêté à Marseille. Il est suspecté d’avoir procuré et vendu des composants nécessaires au régime syrien pour produire des armes chimiques», conclu Fritz Streiff, qui espère désormais voir s’accélérer les enquêtes et procédures judiciaires en cours, ajoutant que «les mandats d’arrestation ne sont pas obligatoirement publics. D’autres personnes pourraient être arrêtées lors de prochains voyages».
Le podcast « Branch 251 » (en anglais) est disponible sur Spotify.
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