Initiative koweïtienne: au-delà de l’incertitude, des mérites certains
Les mérites de l'intiative koweïtienne détaillés à Ici Beyrouth par deux analystes politiques. 

Les trois principaux mérites de l’initiative koweïtienne sont d’avoir établi que la question des armes du Hezbollah est « incontournable », d’avoir poussé le Liban officiel à calibrer son discours, et d’avoir arrêté - en tout cas gelé - l’escalade en cours dans les relations entre le Liban et les pays arabes du Golfe. C’est la conclusion sur laquelle s’accordent des analystes libanais interrogés lundi par Ici Beyrouth.

L’une des principales différences entre cette initiative et celle qui l’a précédée, à savoir l’initiative française, c’est que la feuille de route koweïtienne « est venue officialiser une approche internationale de la crise libanaise », estime Sami Nader, directeur du Levant Institute for Strategic Affairs, qui souligne qu’elle bénéficie d’un appui français et américain.

Mais l’autre point important qui distingue l’initiative koweitienne de tous les efforts qui ont été entrepris au cours des dernières années pour résoudre les crises libanaises, ajoute M. Nader, c’est qu’elle met le doigt sur le problème essentiel : le rôle du Hezbollah, qui sape la souveraineté libanaise.

Dans ce cadre, il considère que la tentative française « qui était en fait une initiative irano-française, avait occulté la question de la souveraineté et des armes du Hezbollah, et c’est pour cela que les pays du Golfe lui ont opposé une fin de non-recevoir ».

Sami Nader précise que cette feuille de route, qui a « mûri » durant la visite du président Emmanuel Macron en Arabie et sa tournée dans le Golfe en décembre 2021, vient « corriger le tir français ». Il relève une similitude de termes entre ce texte et le communiqué conjoint franco-saoudien publié à l’issue de l’entretien entre M. Macron et le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane, qui avait notamment évoqué « la nécessité pour le gouvernement libanais de mettre en place des réformes globales, de respecter l'accord de Taëf, et de rétablir son monopole de la violence légitime ».

Même s’il concède qu’appliquer la résolution 1559 - relative au désarmement de toutes les milices libanaises, dont le Hezbollah - qui figure sur la liste des demandes koweïtiennes, n’est pas très réaliste, il souligne que « toutes les options réalistes et les compromis ont été essayés, mais ont échoué. Sortir de la situation du « Failed State » (État failli) requiert l’application de la 1559 ».

Pour sa part, une source politique relève que « l’on ne sait pas encore s’il s’agit d’une initiative koweïtienne soutenue par les Saoudiens et les Occidentaux, ou d’une initiative collective des pays du Golfe que le Koweït a été chargé de présenter au Liban ». Dans tous les cas, « le fait de choisir les Koweïtiens est sage, puisque de tous les pays arabes du Golfe, ils sont les plus amicaux à l’égard du Liban, ceux qui le connaissent le mieux, et ceux qui ont le moins d’illusions sur ce qu’il peut réellement faire », ajoute la source. Elle note dans ce cadre que le Koweït et le Qatar ne sont pas entièrement d’accord avec la politique saoudienne d’abandon total du Liban, et adoptent une position plus nuancée, qui semble bénéficier d’un appui américain et français.

Si elle reconnaît que le texte koweitien place la barre très haut, « parce que le Koweït sait que le Hezbollah gouverne le Liban et exerce un pouvoir de veto sur l’application des résolutions internationales, notamment la 1559 », cette source politique note tout de même que l’initiative comporte des articles plus faciles à mettre en exécution, comme un meilleur contrôle des frontières et l’arrêt de « l’exportation » de Captagon vers le Golfe.

Une démarche d’apaisement

Second point important, selon les analystes, l’initiative koweïtienne a enrayé, ne serait-ce que pour l’instant, l’escalade de la tension entre le Liban et les pays arabes du Golfe.


« Ils auraient pu aller plus loin, et interdire par exemple les transferts d’argent et les vols aériens », note Sami Nader. Il ajoute cependant que si elle donne du temps à la diplomatie, la démarche constitue aussi une mise en garde claire, qui laisse prévoir que toute provocation aura des conséquences, dans la mesure où les règles du jeu ont cette fois été annoncées devant le monde entier avec un appui international, et le Liban et le Hezbollah ne pourront plus s’en sortir par de simples justifications ou promesses.

Changement de ton

Un troisième mérite, relève la source politique, est d’avoir imposé un changement de ton de la part de l’État libanais. « Le Liban est sensible au besoin de renouer ses liens avec les pays du Golfe. Il a souffert de leur boycott et du retrait de leurs ambassadeurs, auquel il n’avait pas vraiment réagi sur le moment », indique-t-elle. Et d’ajouter : « Maintenant, Beyrouth se retrouve acculé à se prononcer, du fait notamment du ralliement de plusieurs pays à la nécessité d’appliquer la résolution 1559 ».

De plus, « le Hezbollah est embarrassé d’être tenu responsable de cette crise avec les pays du Golfe, qui va à l’encontre des intérêts des Libanais, y compris des Libanais résidant dans ces pays, dont beaucoup de chiites », note encore la source.

Le FMI

Sami Nader établit en outre un lien entre l’initiative koweïtienne et les négociations requises entre le Fonds monétaire international (FMI) et le Liban pour sauver ce pays de la grave crise économique dans laquelle il se débat. En effet, les pays arabes du Golfe sont les seuls susceptibles d’assister le Liban financièrement, « et ils affirment clairement que, cette fois, il y a un minimum à assurer en politique, à savoir la neutralité du Liban et sa distanciation des dossiers régionaux, en actes et non en paroles ».

En effet, note M. Nader, le plan du FMI « est conditionné par des réformes économiques et sociales, mais il y a aussi des conditions politiques, qui ont été énumérées par Koweït dans la feuille remise au Liban, et qui s’appuient sur une position internationale unifiée ». « L’État libanais n’a plus de moyens financiers. Sa seule chance de subsister, c’est un programme avec le FMI », souligne-t-il.

Sur ce point, la source politique précitée a une opinion plus nuancée. Elle estime que « s’il y a un accord avec le FMI, cela voudra dire que la communauté internationale, notamment les Américains, veulent que les pays du Golfe aident le Liban. À ce moment-là, ils le feront, peut-être sans grand enthousiasme, mais ils le feront quand-même ».

Elle note que certains points, comme l’arrêt de l’envoi du Captagon en direction des pays du Golfe, ou un retrait de la guerre du Yémen, pourraient être requis dans ce cadre, mais estime que l’application de la 1559 ne peut pas être une condition pour un accord avec le FMI.

Un dernier mérite de cette initiative, selon cette source politique, est d’avoir créé une opinion libanaise et arabe encore plus défavorable à l’implication du Hezbollah au Yémen, qui le conduira peut-être à se retirer de ce conflit.
Commentaires
  • Aucun commentaire