Les lois libanaises protègent-elles les enfants apatrides du trafic humain?

 
L’absence de données officielles concernant les changements démographiques au Liban ne découle pas uniquement des conditions internes des pays voisins, mais aussi des pratiques illégales que nous observons, telles que la non-inscription des enfants libanais dans les registres d’état civil. Cela les prive d’une pièce d’identité et les expose davantage au risque de trafic humain. Et la question qui se pose est celle de savoir quel est le rôle de l’État dans la protection de ces enfants?
Dans ce contexte, la présidente de la Commission nationale pour régulariser la situation des enfants libanais apatrides, l’avocate Alice Kairouz Sleiman, a souligné dans un entretien accordé à notre confrère Houna Loubnan, qu’est considéré comme apatride, tout enfant libanais dont les parents ne l’ont pas enregistré, dès sa naissance, dans les registres d’état civil. Par conséquent, cet enfant n’existe pas sur le plan légal, puisqu’il ne possède aucun document officiel. De ce fait, c’est une personne qui n’existe pas pour l’État.
«Cet individu est marginalisé et exposé à divers dangers tels que le suicide, le désespoir et la traite, poursuit Mme Sleiman. Il pourrait être poussé à travailler dans des bars, à se livrer au trafic de drogue ou à toute autre activité illégale. C’est pourquoi nous œuvrons pour assurer que l’enfant marginalisé dès sa naissance puisse jouir de tous ses droits fondamentaux tels que proclamés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention internationale des droits de l’enfant ou toute autre loi internationale ou traité portant sur des droits fondamentaux.»
Abordant les lois libanaises sur les apatrides, Mme Sleiman a affirmé que le Parlement libanais a adopté une loi sur la traite des êtres humains, assortie de sanctions et d’amendes à l’encontre de toute personne reconnue coupable. Cette loi est déjà mise en application. Elle souligne qu’il existe plusieurs autres lois sur les apatrides, comme la loi sur l’enregistrement des documents de statut personnel adoptée en 1951, la loi sur la protection des mineurs en conflit avec la loi et exposés au risque de délinquance, ainsi que certains articles du Code pénal relatifs à la traite des êtres humains, à leur exploitation ou aux actes de violence commis à leur encontre.
Selon Mme Sleiman, la commission qu’elle préside a soumis trois propositions de loi à certains députés, lors d’un récent atelier de travail organisé au Parlement. La première définit les parties habilitées à engager une action en justice pour enregistrer un enfant et lui permettre, par conséquent, de se munir d’une pièce d’identité. Il s’agit naturellement du père et de la mère. Mais la commission a inclus, dans sa proposition, le juge des mineurs puisque c’est lui qui assure la protection juridique de l’enfant.

Selon la deuxième proposition de loi, les apatrides sont considérés comme des personnes vulnérables qui risquent de se retrouver dans la délinquance. Par conséquent, ils ont besoin de protection que peut leur assurer le juge des mineurs.
Enfin, la troisième proposition de loi se rapporte au Code pénal et vise les parents qui tardent à inscrire leur enfant au registre d’état civil. Ce qui constitue une infraction pénale passible d’une amende et d’une peine d’emprisonnement.
Mme Sleiman explique que, dans le passé, plusieurs commissions chargées de se pencher sur le travail des mineurs et de comparer les législations libanaises aux conventions internationales sur les droits des enfants avaient été formées. Toutefois, les apatrides n’étaient pas englobés dans le travail de ces commissions, jusqu’à ce que Najib Mikati ait, lors d’un mandat précédent en tant que Premier ministre, changé le nom de la commission qui est devenue la Commission nationale pour régulariser la situation des enfants libanais apatrides. En 2016, Rachid Derbas, alors ministre des Affaires sociales, avait fixé au 25 février la journée nationale de l’enfant apatride.
Actuellement, la commission comprend des représentants de six ministères impliqués par la remise de pièces d’identité aux enfants. Elle œuvre à organiser des campagnes de sensibilisation dans les différentes régions, comme dans les médias. «Il incombe aux parents d’inscrire leur enfant dès sa naissance dans les registres d’état civil après avoir obtenu les documents requis du médecin, de l’hôpital et du moukhtar, afin qu’il puisse obtenir son identité dans le cadre d’une procédure administrative normale», insiste Mme Sleiman.
«Si, dans l’année qui suit sa naissance, l’enfant n’a pas été inscrit auprès du registre d’état civil pour des raisons liées à la négligence, l’ignorance, aux conflits conjugaux ou autres, il ne peut obtenir sa pièce d’identité que par le biais d’une action en justice engagée devant le juge civil unique, explique-t-elle. Dans le cadre de cette action judiciaire, des procédures routinières sont menées, comme les tests ADN et d’autres pour prouver la filiation.»
Et Mme Sleiman de conclure: «Nous avons présenté une proposition qui prévoit la création d’un lien pour coordonner le travail entre le ministère de l’Intérieur – auquel sont rattachés les bureaux de l’état civil libanais – et le ministère de la Santé, les hôpitaux privés et les moukhtars. Les ligues des moukhtars de Beyrouth et de Tripoli ont un rôle important à jouer pour l’enregistrement des enfants.»
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