La plume humaine de Madeleine Chapsal n’est plus

Dans la nuit du 11 mars, Madeleine Chapsal nous a quittés, à l'âge de 98 ans, s'éteignant paisiblement. Cette écrivaine, devenue l'une des voix les plus célèbres de la littérature française, avait côtoyé de près le monde journalistique aux côtés de son ex-époux, Jean-Jacques Servan-Schreiber, lors du lancement de L'Express en 1953.
Consacrée comme romancière de l’amour et de ses affres – reflétant souvent ses propres tourments dans ses écrits – Madeleine Chapsal laisse derrière elle une œuvre prolifique comprenant une centaine d’ouvrages. Ses contributions, embrassant principalement le roman mais s’étendant également aux récits, essais, littérature jeunesse, théâtre et poésie, attestent de sa fécondité littéraire. Rien qu’en 1997, elle publiait six livres.
Née à Paris le 1er septembre 1925, elle est la fille d’un conseiller à la Cour des comptes et la petite-fille d’un ancien ministre. Sa mère se distingua comme couturière de renom. Son existence bascule en 1942 lorsque, fuyant avec sa tante mariée à un juif, elle part à Megève, se remettant d’une tuberculose. C’est là qu’elle fait la rencontre déterminante de Jean-Jacques Servan-Schreiber, un jeune homme de 18 ans, prêt à rejoindre de Gaulle à Londres. Leur union en 1947 prendra fin en 1960. Madeleine Chapsal, restée à L’Express, s’y établit comme critique littéraire réputée, saluée pour ses entretiens mémorables avec des personnalités comme Jorge Luis Borges, Jean Giono, Henry Miller ou Claude Lévi-Strauss, jusqu’au début des années 1970.
Après son départ du magazine, elle se consacre pleinement à l’écriture, principalement de fiction. Son œuvre, empreinte de romantisme, d’impudeur et de mélancolie, la consacre rapidement comme une observatrice aiguë des passions humaines, se revendiquant davantage comme défenseuse de la féminité que du féminisme. «J’écris tous les matins sans préconstruire, l’inspiration me vient la nuit.» Je suis «écrite», confiait-elle, ajoutant avec humour qu’elle se lançait dans un roman à chaque événement marquant de sa vie. Parmi ses œuvres majeures figurent Un été sans histoire, La Maison de Jade (700.000 exemplaires vendus), Une saison de feuilles, Mère et filles, David, Ce que m’a appris Françoise Dolto, L’Inoubliée, etc. Elle s’est illustrée dans des thématiques souvent avant-gardistes, abordant des sujets comme le sida, la maladie d’Alzheimer ou la chirurgie esthétique, qu’elle défendait. Se définissant comme une «indéfectible amoureuse», elle se maria de nouveau en 2019, à 93 ans, avec Jean-Marc Vallet, optométriste rencontré lors de l’achat de ses lunettes, révélait-elle dans la presse de l’époque. «Les lecteurs me disent que j’écris ce qu’ils ressentent, que je leur donne les mots qu’ils n’ont pas trouvés. Je me sens comme un écrivain public. Ils ajoutent que mon style est clair et accessible», confiait-elle. Certains critiques, tels qu’Éric Naulleau et Pierre Jourde, la considéraient cependant avec ironie, la nommant pour le «grand prix du tirage à la ligne». Son ouvrage L’Homme de ma vie (2004), retraçant son histoire avec JJSS, est peut-être son livre le plus connu, mélangeant l’intime et l’Histoire avec des figures telles que François Mauriac, Pierre Mendès France ou François Mitterrand. Ce récit, souvent empreint de tristesse, illustre comment la sphère personnelle de Chapsal s’entremêle avec les grands événements et personnalités de son époque.

Au début des années 1950, la rencontre de Jean-Jacques Servan-Schreiber avec Françoise Giroud, alors rédactrice en chef chez Elle, marque un tournant. Devenus amants, ils fondent L’Express, un nouvel hebdomadaire qui, selon Jean-Jacques Servan-Schreiber, fut «la chance de L’Express» mais, selon Madeleine Chapsal, «peut-être pas la chance de mon mariage». L’incapacité du couple à avoir des enfants, alors que son mari en désirait, ajoute à la complexité de leur relation. Jean-Jacques Servan-Schreiber se remaria finalement avec Sabine de Fouquières, avec qui il eut quatre fils, qui devinrent les fils de cœur de Madeleine Chapsal, car son ex-mari et elle restèrent proches. Avec le temps, elle devint même complice avec Françoise Giroud. Malgré d’autres désillusions dans sa vie, Madeleine Chapsal tenta de mettre fin à ses jours puis entreprit une thérapie avec la psychanalyste Françoise Dolto. Ces épreuves nourrirent son écriture et sa réflexion sur les complexités de l’amour et de la vie.
Elle adapta plusieurs de ses œuvres pour le cinéma, dont La Maison de Jade, réalisé par Nadine Trintignant en 1988, La Femme abandonnée, réalisé par Édouard Molinaro en 1992, ou L’Inventaire, réalisé par Caroline Huppert en 1998, montrant ainsi l’ampleur de son influence dans divers domaines artistiques. Membre du jury du prix Femina dès 1981, elle fut brutalement exclue en 2006 après avoir critiqué les conditions d’attribution du prix de 2005, qu’elle jugeait trop favorables aux éditions Gallimard. Fidèle à son esprit indépendant et critique, elle transforma cette expérience en un livre, L’Exclusion.
Madeleine Chapsal laisse derrière elle un héritage littéraire riche et diversifié, témoignage de sa quête inlassable pour explorer les profondeurs de l’âme humaine et des relations amoureuses. Sa disparition marque la fin d’une ère pour la littérature française, mais son œuvre, imprégnée d’une analyse fine des passions humaines et d’une écriture à la fois claire et accessible, continue de vivre auprès de ses nombreux lecteurs.
Avec AFP
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