Ce vocable renvoie à des réalités géopolitiques et mentales tellement disparates qu’on finit par s’interroger sur sa pertinence et sa valeur analytique. Le seul point de jonction est celui d’une rhétorique anti-occidentale qui reprend des platitudes idéologiques empruntées à l’argumentaire de la guerre froide, au glossaire du wokisme ambiant, ou aux conflits que connaissent les régimes en quête de légitimité et de raison d’être qu’ils n’arrivent jamais à définir en dehors d’un pathos victimaire qui relève davantage de la psychopathologie, que de la typologie des régimes politiques. Le recours au triangle rhétorique du logos, de l’ethos et du pathos est indispensable pour pouvoir démêler les bigarrures d’une réalité aussi foisonnante que paradoxale.
En réalité, il s’agit de régimes et de sociétés qui ont du mal à se définir à partir de registres statutaires qui les aident à se normaliser, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leurs frontières aussi instables que leurs équilibres internes et leurs marqueurs identitaires. Aucune variable étatique, culturelle, économique et sociale n’aide apparemment à résorber cette crise identitaire composite et perdurable. Cette impossibilité à pouvoir se définir n’est, au bout du compte, que l’expression d’une crise originaire, celle de l’absence d’une culture démocratique où la conversation définit l’essence même du politique et les conditions de son déploiement et de sa pérennité. La récapitulation des crises mondiales en cours nous fournit une pléthore d’exemples qui interpellent.
La crise ukrainienne illustre de manière tragique les déboires de l’ère postsoviétique où les États, nommément russe et ukrainien, n’ont jamais pu s’extraire de la logique domaniale qui se définit à partir des liens de suzeraineté, plutôt que de la logique transactionnelle de l’échange égalitaire entre les parties du conflit qui se positionnent sur des axes identitaires et stratégiques divergents, mais pas forcément conflictuels. Les héritages impériaux et totalitaires sont difficilement réconciliables avec les normes discursives et consensuelles de la démocratie libérale et de l’ordre international qu’elle a institué au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Pour saisir le contraste, il suffit d’observer comment les pays de l’Europe centrale, de l’Est et du Sud ont fait leur entrée dans l’Union européenne sur la base de négociations prolongées, où l’apprentissage de la démocratie s’est effectué sur la base d’une acculturation progressive aux règles de la civilité démocratique, de l’État de droit et de ses lois de fonctionnement.
Les unions se sont faites ou défaites dans le cadre des arbitrages délibérés auxquels elles ont consenti. Alors que les drames répétés en Géorgie, en Tchétchénie, en Ukraine et en Arménie orientale ne font qu’illustrer les impasses de la logique impériale et génocidaire des diktats idéologiques et de la politique de la canonnière instrumentalisés par Poutine et ses émules islamistes – turc et azéri en l’occurrence – à l’endroit des pays concernés. Leur discours «historiographique» repose sur des rapports de vassalité ou, tout au mieux, de souveraineté limitée qui expliquent largement les politiques de discrimination, la pérennisation des haines ataviques, les dérives génocidaires et l’âpreté des conflits. Les Ukrainiens et les Géorgiens sont disqualifiés et renvoyés à leur statut de sujets subordonnés de l’empire, ou à des assignations idéologiques qui cherchent à entériner leur statut de subordination. L’argumentaire instrumentalisé à cette fin est soustrait à toute logique délibérative et constructionniste. Il est le produit de diktats et d’énonciations unilatérales et non discutables.
Les emboîtements conflictuels du Moyen-Orient ne font que reproduire les clôtures idéologiques, les autoritarismes, les diktats de l’islam érigé en principe de gouvernance et les rapports de force qui régissent les sociétés fortement segmentées. La conversation publique est préemptée au point de départ et les acteurs sont renvoyés à des assignations statutaires réifiées, ainsi qu’à des dynamiques conflictuelles à caractère irrémédiable et ouvert. Comment résoudre le conflit israélo-palestinien en l’absence d’une logique de reconnaissance, de résolution négociée des conflits et de politiques différentielles d’intégration? La récapitulation de tout un legs de résolutions internationales élaborées à la suite de négociations laborieuses et rendues caduques par un ethos tribal et religieux imperméable à la notion de pluralisme et à la culture des compromis négociés et librement consentis. La récurrence de la violence, voire son institutionnalisation, est loin de tout hasard. Elle est l’émanation d’une logique composite de verrouillages. Les impasses des conflits libanais et syrien procèdent des mêmes logiques d’exclusion, de déni des réalités et de volonté de domination et de leurs instrumentations multiples.
Il n’est pas fortuit que cette culture faite de violence et d’arbitraire serve de principe d’agrégation et de ciment à des coalitions internationales dont le seul lien repose sur des anathèmes idéologiques, des politiques de domination et d’expropriation de tous ordres et des marqueurs d’inimitié inamovibles. Il est inconcevable de mettre en marche une politique de réconciliation et de réparation des injustices, en l’absence d’un ethos qui permet aux parties du conflit de réhabiliter les notions de réciprocité morale et d’intention d’équité comme substituts aux rapports de force et aux dynamiques conflictuelles ouvertes.
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