En lisant les médias, qu’ils soient de gauche ou de droite, il est commun de tomber sur le terme «société de consommation» (ou «consumérisme»). L’expression peut sembler déroutante car, en fin de compte, tout le monde, dans tous les pays, consomme pour satisfaire ses besoins.
Des critiques de tous les côtés
Une société de consommation (SDC) se caractérise par une culture qui a pour élément central l’acquisition, toujours plus, de biens et services. Dans le domaine de la consommation alimentaire, cela peut se traduire par le taux d’obésité, qui ne cesse de gagner du terrain dans le monde, mais dans certains pays plus que d’autres.
Le dédain envers la SDC est un point de rencontre commun. D’un côté, la gauche affirme que le consumérisme ne fait que creuser les inégalités sociales. Quant aux conservateurs, ils soutiennent que la société de consommation mène à l’effritement de la culture en poussant les individus à se préoccuper uniquement des biens matériels.
Mais comment reconnaître à l’œil nu une SDC? Puisque tout le monde consomme, épargne et produit, comment peut-on dire qu’une telle société est une SDC, à la différence de l’autre? Il n’y a pas de réponse exacte, mais quelques indices: la quantité de déchets par habitant, l’omniprésence de la publicité et l’accent mis sur l’accumulation matérielle plutôt que sur le bien-être social ou la préservation de l’environnement.
D’autres indices concernent le ratio épargne/revenu ou épargne/consommation. Mais là encore avec une nuance: est-ce que l’épargne est réalisée pour parer aux mauvais jours, ou pour une consommation future massive (logement, voiture, investissement…)?
Haro sur la prospérité
Cela dit, avant de consommer quoi que ce soit, il faut d’abord produire et donc gagner un revenu. Les consommateurs sont alors également des producteurs. Et il se fait qu’ils sont de plus en plus efficaces. Résultat, le niveau de vie a dramatiquement augmenté au cours des deux derniers siècles et des biens qui étaient du luxe il y a encore quelques décennies, sont désormais à portée de main. Va-t-on alors s’offusquer parce que les gens vivent mieux?
Certains suggèrent que l’État devrait intervenir pour limiter la consommation par le jeu des taxes. Mais ce genre d’acrobaties ne marche jamais. Un prix fixé plus haut que le prix normal du marché engendre des surplus, alors qu’un prix fixé trop bas entraîne des pénuries.
La souveraineté du consommateur
La concurrence incite les entreprises à s’ajuster aux besoins des consommateurs. Le marché est donc une démocratie régie par les consommateurs.
Certes, les riches peuvent consommer plus que les individus moins aisés. Cependant, les riches sont beaucoup moins nombreux. Et historiquement, tous les nouveaux produits sur le marché ont d’abord un prix élevé qui finit par diminuer dramatiquement pour enfin être accessibles aux masses. Cela a été le cas de la voiture, de la télévision, des micro-ondes, et surtout des ordinateurs et autres outils technologiques.
Certains accuseront la publicité de créer une «demande artificielle» en manipulant les consommateurs. Là, les enquêtes empiriques ne sont pas unanimes. Bertrand Lemennicier, ancien professeur d’économie à Paris-Dauphine, a étudié l’impact de la publicité sur la demande de tabac et a conclu que les dépenses de publicité sur la consommation du tabac sur la période 1970-1994 n’a pas décelé une corrélation significative.
À l’opposé, selon une étude économétrique réalisée par les économistes Chulho Jung et Barry Seldon, il existe une relation bidirectionnelle entre la publicité et la consommation. L’une affecte et se nourrit de l’autre.
La consommation n’est pas la richesse
Si le consumérisme devait avoir un saint patron, il s’agirait de l’économiste britannique John Keynes. Pour lui, la demande globale (consommation, investissement, dépenses publiques et exportations) est l’indicateur central de l’état de santé d’une économie.
Les économistes libéraux ont tendance à être sceptiques à l’égard des poncifs keynésiens. L’économiste Jean-Baptiste Say soutient, au début du dix-neuvième siècle, qu’un mauvais gouvernement stimule la consommation, tandis qu’un bon gouvernement encourage la production et la création de richesses.
Qu’en est-il du Liban?
Peut-on octroyer au Liban l’attribut de société de consommation? Historiquement oui, vu le ratio des importations et d’achat de biens durables. Même au sein de notre crise depuis 2019, dès que la situation monétaire a eu l’air de se stabiliser, la consommation a connu des pics, comme durant l’été 2023.
Mais l’épargne était aussi importante, d’où des dépôts bancaires égaux à trois fois le PIB. Mais cet enflement excessif peut être aussi expliqué par la pénurie des opportunités d’investissement et par le fait qu’il n’y ait pas de filet social (couverture médicale suffisante, assurance chômage, salaire de retraite…). D’où la nécessité de parer à ces éventualités par l’épargne.
L’économiste Saifedean Ammous, ancien professeur à la LAU et auteur de trois livres d’économie, affirme que la qualité de la monnaie joue un rôle important sur les décisions de consommation. Les monnaies ont tendance à perdre leur valeur avec le temps. Cela pousse les gens à épargner moins et consommer plus aujourd’hui, sinon ils ne pourront plus consommer dans le futur. Le cas de la livre libanaise en est un exemple tragique. Sa dépréciation a incité les individus, du moins au début de la crise, à préférer dépenser leur argent en livres libanaises plutôt que de le conserver.
Certes, la SDC n’est pas une utopie idyllique. Mais si vous préférez avoir une société de pénurie, vous pouvez toujours vous installer en Corée du Nord ou au Venezuela.
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