L’éditorial -  L’affaire Makram Rabah : l’immuable liberté d’expression

Durant la funeste période de l’occupation syrienne, un journaliste français en poste à Beyrouth avait souligné, fort à propos, que le régime Assad n’avait pas réussi en définitive à mettre au pas la presse au Liban et à contraindre les Libanais à abandonner leur ferme attachement à la liberté d’expression. Après le déploiement des forces syriennes en juin 1976 et dans le sillage de l’élection de feu Elias Sarkis à la présidence de la République, le pouvoir en place à Damas avait pourtant tenté – comme entrée en matière à son Anschluss – d’imposer une censure préalable aux quotidiens locaux. Cette mesure avait toutefois duré ce que durent les roses… Et pour cause: les Libanais, toutes tendances confondues et quel que soit leur horizon politique, n’avaient pas tardé à rejeter cette atteinte à la libre opinion.
Depuis le début de la guerre libanaise – et même avant, dans certains cas – les différents dirigeants qui se sont succédé au pouvoir, à quelques exceptions près, ont lancé par le biais des services de sécurité des «assauts» répétés contre les journalistes, les intellectuels et les universitaires dont la pensée était en déphasage avec les orientations des régimes en place. Le dernier épisode en date sur ce plan remonte à seulement quelques jours avec les poursuites engagées contre Makram Rabah, professeur à l’Université américaine, en raison de ses critiques acerbes contre le Hezbollah.
Connu pour ses positions particulièrement audacieuses, M. Rabah n’y va pas par quatre chemins pour stigmatiser, en se basant sur une argumentation sans failles, la ligne de conduite de la formation pro-iranienne. C’est son franc-parler à cet égard qui a déplu, à n’en point douter, aux responsables sécuritaires qui gravitent dans le giron du parti chiite. Le professeur universitaire «gêne», d’autant que la position qu’il défend reflète clairement le point de vue d’une écrasante majorité de Libanais, quelle que soit leur appartenance communautaire.

M. Rabah ne saurait être qualifié dans ce cadre de «chrétien de droite, isolationniste, partisan des Forces libanaises ou des Kataëb». Et c’est précisément ce qui déplait aux hautes sphères du Hezbollah. Car le cas Makram Rabah est significatif, au niveau national, à un double titre. Il confirme d’abord que quel que soit le tyran, local ou étranger, qui tente de réprimer la liberté d’expression au Liban, il finit par se heurter à ce sujet à un mur, à une détermination immuable, de surcroît transcommunautaire. Les principales phases de l’histoire du Liban, ancienne et contemporaine, plus particulièrement l’époque récente des occupations successives palestinienne et syrienne, et aujourd’hui iranienne par le biais du Hezbollah, ont illustré à différentes occasions à quel point l’attachement aux libertés est inscrit dans «l’ADN» des Libanais. Et les tentatives répétées de répression font, chaque fois, chou blanc. Sauf que dans certains cas bien particuliers, les jusqu’au-boutistes de la répression ont recours à l’assassinat politique…
Par ses audacieuses positions souverainistes, sans compromission ni demi-mesures, Makram Rabah illustre en outre par son témoignage éclairé un libanisme transcommunautaire, une sensibilité libanaise qui puise sa source dans la Révolution du Cèdre du printemps 2005. Un libanisme qui n’est pas nécessairement fusionnel, qui n’exclut pas – et ne doit pas exclure – le pluralisme, fondement depuis des siècles de la réalité sociocommunautaire libanaise. Une réalité qui apporte la preuve qu’il est possible – sauf cas extrêmes, comme le Hezbollah – de partager au niveau national un «tronc commun» bâti autour des droits humains, des libertés fondamentales, de valeurs humanistes, de l’attachement à l’option souverainiste, sans pour autant renier ou rejeter les spécificités culturelles et les traditions sociétales propres à chaque composante confessionnelle du pays.
La diversité pourrait être ainsi source de richesse dans le cadre de l’union à caractère libaniste… Il est sans doute grand temps à cet égard d’encadrer ce pluralisme en forgeant un nouveau pacte social, un nouveau système politique innovant capable de gérer sur des bases rationnelles et durables les postures, parfois contradictoires, des uns et des autres…                         
 
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