La francophonie par la plume des élèves du Liban-Sud

Mars est le mois de la francophonie célébré au Liban comme partout au monde. Depuis des années, la culture libanaise a toujours été imprégnée de francophonie, un mot qui va bien plus loin que la langue de Molière. Malgré l’invasion de la langue anglo-saxonne et la facilité par laquelle on peut l’acquérir, le français garde sa place de choix dans l’enseignement scolaire. Il reste une langue bien vivante, sous l’effet des savoureux libanismes et du franbanais. Être francophone est signe de savoir, de culture et surtout de valeur sûre. La francophonie est un laboratoire de diversités et une communauté de valeurs.
Depuis le 7 octobre, au Liban-Sud, les jeunes et les écoliers apprennent à vivre avec le danger et à se protéger. Normalement, des événements culturels, des ateliers d’écriture et d’autres activités liées à la francophonie sont organisés dans les collèges et les lycées de la région de Marjayoun, mais la situation conflictuelle entre Israël et le Hezbollah ont poussé les organisateurs à les annuler. Place aux activités en ligne.
Témoins de la guerre
Le ministère de l’Éducation propose aux élèves des lycées et des collèges publics et privés de participer à des activités d’écriture et à des compétitions dont l’objectif est non seulement de permettre aux jeunes de se projeter dans un avenir professionnel, mais d’améliorer aussi leur langue française. Ces concours ont révélé des talents insoupçonnés de conteurs, d’auteurs, de poètes… En ces temps d’incertitude et de guerre, cela fait chaud au cœur de voir le nombre d’élèves qui ont participé à ces compétitions malgré toutes les contraintes, comme l’accès difficile à Internet et l’insécurité.
Dans leurs écrits, les élèves ont insisté sur leur quotidien et leur vécu. Ils sont des témoins de la guerre et racontent leur perception particulière de cette période agitée. Chaque élève se retrouve avec une mémoire et sa propre histoire des événements.
Zahra, une élève en baccalauréat inscrite au lycée public de Khiam, raconte son vécu quotidien et exprime sa lassitude de ne pas pouvoir célébrer la francophonie comme auparavant. «Pendant ces cinq mois de guerre, les élèves du sud suivent leur cours en ligne, ce qui rend la mission éducative difficile, dit-elle. Au lieu de célébrer le mois de la francophonie avec mes camarades de classe et mes enseignants, je participe à ce concours d’écriture. Je me sens prise au piège dans un tourbillon d’anxiété. Et, malgré la douleur et la désolation, je refuse de me laisser engloutir par le désespoir.»
Zahra s’exprime facilement en français. Cette langue l’a aidée à renforcer sa personnalité. Elle la considère comme un passeport pour un avenir meilleur.

Bouffée d’oxygène
La francophonie est une bouffée d’oxygène dans une région où l’espace culturel est en constante régression. Layal, une autre élève du lycée public de Marjayoun, parle de son attachement à la langue française et considère cette langue comme une ouverture vers un nouvel horizon. Elle témoigne de son quotidien dans son village à Khiam et traduit sa mélancolie en ces temps moroses. «Les jours, pendant ces cinq mois de guerre, sont devenus routiniers, écrit-elle. Nous assistons impuissants aux attaques visant mon village, et sommes témoins de scènes que nous ne pouvons que subir. Cette guerre a ravagé et dévasté ma maison, mon seul refuge. Une profonde cicatrice demeure toujours gravée dans mon cœur et dans mon esprit.»
Ces écrits, rédigés par un bon nombre d’élèves en français, annoncent tout de même un avenir optimiste, où les jeunes veulent le meilleur des deux cultures, des deux mondes, pour édifier un pays où ils se sentent plus à l’aise.
Le français «résiste» malgré tout
Les temps sont compliqués, mais «la francophonie continue assurément d’offrir, face à l’anglais, une belle résistance», affirme la directrice du lycée public de Marjayoun. «Les profs de français n’ont pas baissé les bras, assure-t-elle. Ils ont persévéré dans l’accomplissement de leur mission s’adaptant, dans l’urgence, aux nouvelles méthodes d’enseignement en ligne. Les profs de français de la région avancent vers un seul but, celui de promouvoir la langue française dans sa diversité, parce que l’avenir de la francophonie repose sur une forte francophonie scolaire, sur les compétences, l’implication et le dévouement des enseignants et des élèves.»
«Bien que notre région soit très affectée par la guerre, il ne faut pas que les élèves du Liban-Sud perdent leur plurilinguisme», déclare une enseignante de français.
Rima, professeur de français au Collège des Saints-Cœurs à Marjayoun, s’explique: «Je fais découvrir à mes apprenants(es) la richesse du français dans des francophonies plurielles et polyphoniques. Je leur fais découvrir de nouveaux horizons. Je les aide à se doter d’outils de compréhension d’un monde complexe dans lequel le plurilinguisme et le pluriculturel sont des atouts indispensables.»
Force est de constater que le français est encore bien implanté au Liban-Sud. Mais, face aux pressions incessantes qu’il subit de la part d’une langue anglaise, il est essentiel de mieux mettre en valeur l’utilité de la langue française et de ne pas laisser les prétextes budgétaires contrarier les efforts de ceux qui luttent pour garder au Liban son visage francophone. Selon la directrice du Collège des Saints-Cœurs à Marjayoun, sœur Hiam Habib, «le défi est triple, parce que nos élèves doivent sortir parfaitement trilingues, pour répondre aux besoins anglophones des entreprises». «Notre mission est de maintenir le français à travers des programmes attractifs avec l’anglais. La langue française est un moyen d’accès à la modernité, un outil de communication, de réflexion et de création qui favorise l’échange d’expériences. Nous devons défendre la francophonie avec acharnement.»
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