Le parcours de Fouad el-Saad: de l’importance de l’attachement aux fondamentaux 

Son nom a souvent été associé à l’emblématique chêne de Aïn Treiz, dans le caza de Aley. L’ancien député et ministre Fouad el-Saad, qui nous a quittés le 27 mars des suites d’une longue maladie, a personnifié, tout au long de son parcours politique, l’image d’un certain Liban, celui de l’adhésion à des fondamentaux qui ont forgé, à travers les siècles, le pluralisme libanais, les spécificités sociocommunautaires du pays du Cèdre. Sa disparition met en relief incidemment, dans le contexte présent, le profil qui malheureusement manque à nombre de personnalités qui occupent aujourd’hui le devant de la scène.
Se distinguant de la plupart des pôles parlementaires de son époque par son érudition, son ouverture d’esprit et une vision aussi bien critique que pragmatique des situations auxquelles il était confronté, il avait su incarner un certain libanisme, caractérisé par une sensibilité spécifiquement libanaise marquée par un attachement profond à la montagne du vivre-ensemble maronito-druze. Cette posture puise sa source dans ses origines familiales. Digne descendant de Habib Pacha el-Saad (le frère de son grand-père) – qui avait été Premier ministre et président dans les années 30 – il était issu d’une grande famille traditionnelle maronite de la montagne pour qui l’identité libanaise devait primer sur toute autre considération.
Se montrant soucieux de la chose publique, Fouad el-Saad représentait cette catégorie – rare au Liban – d’«honnête homme» politique, respectueux des valeurs humanistes et d’impératifs souverainistes, passage obligé pour la sauvegarde de la véritable indépendance du Liban et de sa raison d’être dans cette partie du monde constamment en ébullition. Il parvenait à concilier habilement ses principes nationaux avec un réalisme politique dicté par les données conjoncturelles du moment.
En 1992, à l’instar d’autres pôles politiques éminents de l’époque, tels que Nassib Lahoud et Camille Ziadé, il avait présenté sa candidature aux élections législatives en dépit du vaste boycott chrétien auquel l’opposition avait appelé pour protester contre la loi électorale inique et déséquilibrée que l’occupant syrien avait façonnée à la mesure de ses alliés locaux. Il s’était lancé dans la course malgré l’élan populaire favorable au boycott, estimant que les chrétiens ne devaient pas pratiquer la politique du vide et déserter l’arène parlementaire.
Élu député de Aley lors de ce scrutin largement contesté, il n’avait pas pour autant fait preuve de suivisme et s’abstenait de s’aligner sur la ligne de conduite que tentait d’imposer le tuteur syrien. Il s’opposera ainsi aux desiderata de Damas en 1995 et votera contre la reconduction du mandat du président Élias Hraoui.

Un différend l’opposera en outre à la même période au leader du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, qui l’écartera de sa liste électorale à Aley, en 1996, ce qui coûtera à Fouad el-Saad son siège parlementaire. Il réintégrera toutefois le Parlement en 2000 et sera réélu en 2005 et 2009 sur la liste de l’alliance du 14 Mars.
Son attachement aux fondamentaux libanistes et souverainistes se traduira par une succession d’actes politiques significatifs de la période historique du début des années 2000 sur la scène locale: très proche du patriarche maronite Nasrallah Sfeir (le père de la deuxième indépendance du Liban), il jouera un rôle important dans la «réconciliation de la Montagne» druzo-maronite en août 2001 sous l’égide du patriarche et de M. Joumblatt; nommé ministre d’État au sein du gouvernement de Rafic Hariri, il présidera, en 2001, une commission d’enquête sur le sort des Libanais détenus dans les geôles syriennes et, à ce titre, planchera avec assiduité sur ce dossier explosif, s’entretenant notamment à ce propos (ce qui brisait un tabou) avec un jeune journaliste et le responsable d’une association connus pour avoir été le porte-étendard de cette cause; en 2004, il sera l’un des 29 députés (qui seront désignés sous le terme de «la liste d’honneur») qui s’opposeront à la prorogation du mandat du président Émile Lahoud, comme le demandait le régime El-Assad…
Dans la foulée, Fouad el-Saad intégrera ce qui sera connu sous le nom de «Rassemblement du Bristol», qui regroupait des personnalités et des pôles politiques souverainistes de différents horizons communautaires et qui représentera en quelque sorte les prémices de la future coalition du 14 Mars, hostile à l’occupation syrienne et au régime El-Assad. Fidèle, en outre, à son esprit critique et à son refus de tout suivisme aveugle, il s’opposera en janvier 2011 – à l’instar d’autres députés du bloc Joumblatt, en l’occurrence Marwan Hamadé, Henry Hélou et Antoine Saad – au mot d’ordre du leader du PSP visant à désigner Najib Mikati comme Premier ministre, à la suite de la chute du gouvernement de Saad Hariri, provoquée par le tandem Hezbollah-Amal et le courant aouniste.
Si ce long parcours de Fouad el-Saad devait ainsi illustrer quelque chose dans la vie politique du pays, ce serait à n’en point douter l’importance de l’attachement à des fondamentaux, à l’esprit critique, au refus du suivisme aveugle et au respect des valeurs humanistes universelles. Une posture qui fait souvent largement défaut aujourd’hui dans certains cercles politiques locaux.
 
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